Pourquoi le masque sanitaire est-il si populaire au Japon ?

Je ne pense pas être la seule à avoir été surprise par cette habitude très japonaise de porter un masque sanitaire, aussi appelé « masque chirurgical », bien que cela ne soit pas tout à fait les mêmes matériaux.

Les raisons de sa popularité sont multiples. Et j’avoue qu’après plusieurs années de vie au Japon, le port du masque est devenu presque un réflexe.

masque sanitaire au Japon

Le masque sanitaire est avant tout une affaire de « germes ».

Après quelques recherches sur le sujet, j’ai découvert avec surprise que le masque sanitaire existe au Japon depuis longtemps. 

Il serait apparu après la pandémie de grippe espagnol (1918-19) qui a fait pas moins de 400,000 morts dans le pays. Cette maladie virulente et surtout très contagieuse a marqué les esprits. Aussi, lorsqu’une nouvelle épidémie pointe le bout de son nez en 1934, les japonais cherchent à prévenir la contagion en protégeant leurs voies respiratoires avec des masques.

Nous sommes encore loin des modèles que nous trouvons sur le marché actuellement ! À l’époque, le masque sanitaire se décline sur le modèle du masque d’usine qui protégeait les ouvriers contre la poussière et les particules.

Plusieurs entreprises développent des masques avec des filtres pour protéger non plus contre la poussière, mais contre les germes. Très rapidement, ces modèles sont vendus au grand public. 

masque sanitaire Japon

Illustration représentant les masques sanitaires disponibles au Japon dans les années 30. (source) 

Aujourd’hui, le masque sanitaire se porte pour tout un tas de raisons. 

Je les vois partout : dans les transports, au bureau, dans la rue… Impossible de sortir sans apercevoir un japonais ou une japonaise porter un masque.

Masque sanitaire au Japon - malade

Merci de garder vos crèves pour vous.

Au Japon, le masque se porte lorsque l’on est malade, afin d’éviter de transmettre la maladie. Mais aussi en prévention (si la moitié du bureau éternue, l’autre moitié viendra « masquée » le jour suivant !). C’est très drôle lorsque l’on sait que dans la culture populaire nipponne, le meilleur moyen de guérir vite, c’est encore de passer « sa crève » à quelqu’un d’autre. 

Pour en revenir au masque, je me suis souvent demandé s’ils étaient réellement efficaces. Mon mari en doute un peu, ou du moins, il m’explique souvent que « mal porté », il perd vite tout son intérêt. Cependant, les études semblent indiquer que, correctement mis sur le visage, le masque sanitaire serait efficace contre les virus. Il réduirait notamment de 80% le risque d’attraper la grippe. Plutôt pas mal ! 

Adios maux de gorge !

Si je porte le masque sanitaire, c’est bien pour ne pas avoir mal à la gorge, par exemple après un voyage en avion, à cause de l’air climatisé très sec.  Je ne le porte pas fréquemment, loin de là. Mais au moindre picotement, je ressors mes cartons (parce qu’ils peuvent s’acheter par lot de 30 masques ou plus !). 

En hiver, notamment, lorsque nous utilisons le mode chauffage de notre climatiseur, le masque m’évite vraiment de développer des maux de gorge. Ma belle-mère qui m’aussi a conseillé l’astuce d’en porter la nuit, surtout les soirs où j’ai le nez bouché par un petit rhume. Et le fait est que, passé l’inconfort de dormir avec le masque sur le visage et les élastiques derrière les oreilles, je ne me réveille plus en ayant l’impression d’avoir la gorge irritée ! (Par contre les oreilles elles, peuvent être un peu douloureuses…)

Le masque sanitaire est indispensable pour faire face au rhume des foins printanier AKA le kafunshô. 

Si les allergies au pollen se subissent toute l’année, le printemps est bien la PIRE période pour les malheureux souffrant du rhume des foins. Appelé kafunshô (花粉症) en japonais, il est carrément une affaire d’état.

Prédictions d’intensité, calendrier des pollens, recommendations sanitaires : à l’approche du printemps c’est le branle-bas de combat pour faire face à la vague de rhinite allergiques qui met à terre au bas mot plus de 25% de la population. Ce pourcentage peut atteindre jusqu’à 50% selon les préfectures. C’est le cas pour la population de Tokyo, victime des importantes forêts de cèdres que compte cette région.

Les japonais combattent le kafunshô tant bien que mal, avec lunette anti-pollens, médicaments, traitement de fond. Et le masque sanitaire est bien l’équipement de base pour survivre au printemps. Ne vous étonnez donc pas de voir des masques absolument partout si vous voyagez au Japon durant cette période !

Personnellement, après 6 ans au Japon, je touche du bois. Je ne souffre pas (encore ?) de kafunshô. Mais la communauté d’expats est plutôt formelle, tôt ou tard, le rhume du foin nous rattrape tous… 

Mais protège-t-il contre la pollution… ?

Contrairement aux apparences et au matraque marketing, le masque sanitaire n’est pas terriblement efficace contre la pollution de l’air. Déjà, une grande majorité des modèles en vente au Japon ne sont pas destinés à protéger contre les particules fines. Il faut donc bien lire leur descriptif. 

Ensuite, l’efficacité dépend de la qualité du masque, de ses filtres et bien entendu, de la manière de le porter. D’un article à l’autre, je trouve des chiffres diamétralement opposés. Ici il est écrit qu’ils ne peuvent protéger que contre 5 à 10% des particules, et , de 70 à 90% si porté très serré sur le visage. Bref, bilan plutôt mitigé. 

En revanche, une bonne astuce pour préserver son anonymat au pays des caméras.  

Paradoxalement, alors que la société japonaise est très sensible aux questions de droit à l’image, le pays a un nombre incroyable de caméras de surveillance. Elles sont omniprésentes.

Les japonais les plus soucieux de protéger leur anonymat n’hésitent donc pas à porter des masques systématiquement lorsqu’ils sortent. C’est en particulier le cas pour les militants et manifestants. En effet, lors de rassemblements, la police mais aussi la presse et d’éventuels détectives, prennent toujours de discrets clichés pour ensuite identifier les manifestants. Sachant que certaines entreprises exigent un « droit de regard » sur les engagements de leurs employés, être reconnu comme participant à telle ou telle manifestation peut menacer une carrière. 

masque sanitaire au Japon anonymat

Enfin, le masque permet d’échapper au diktat du maquillage. 

La société japonaise exerce beaucoup de pression sur les femmes, leur imposant un idéal de beauté très précis et… très maquillé.

Je suis toujours frappée de voir mes camarades de boxe venir aux cours fardées et pomponnées. D’ailleurs je me demande bien par quelle sorcellerie elles finissent la classe avec leur fard, leur mascara et rouge à lèvre intact ! Lorsque j’allais à la piscine, j’avais aussi noté à quel point les femmes japonaises passent un temps fou à se remaquiller et à s’apprêter dans les vestiaires. Il n’était pas rare qu’il faille faire la queue pour avoir accès à un sèche-cheveu et un bout de miroir. 

Alors les jours où elles ont envie de jeter leur valise de produits cosmétiques par la fenêtre, le masque permet se sortir « nature ».

J’imagine que vue de France, cette idée parait frivole mais le lobby du make-up japonais ne rigole pas. La publicité pour les soins de la peau et divers produits est omniprésente : panneaux publicitaires, affiches, pop-up sur nos applications. Même les écrans télévisés dans le métro diffusent en permanence des vidéos promotionnelles du genre « secret de beauté n°1 », « au secours j’ai un rendez-vous après le travail », « au secours ma peau est sèche » etc. 

Et de se laisser être soi-même le temps d’une journée.

Vous vous en doutez, porter un masque sanitaire permet aussi de limiter grandement ses interactions avec les autres. La voix est étouffée, les lèvres cachées… Mener une conversation lorsque l’on porte soi-même un masque ou avec une personne en portant un n’est pas très agréable. J’ai souvent vite envie d’y mettre fin, soit que je n’arrive pas à me faire entendre, soi que je n’entende pas mon interlocuteur. 

Et puis, au Japon où le contrôle de soi et de ses émotions impose à l’individu de taire ses besoins au profit du groupe, le masque permet de souffler le temps d’une journée. On se cache, soi et ses émotions, sans avoir besoin de grimacer ou de sourire. Nul besoin de prétendre ! 

Malheureusement, pour les personnes en manque d’estime de soi, le masque sanitaire peut aussi avoir pour effet de renforcer une phobie sociale. Elles sont appelées gamen hikikomori, gamen signifiant surface (le visage). Le mot hikikomori est déjà bien connu à l’étranger. Il désigne des personnes vivant cloitrées chez elles et ne sortant que pour des besoins impératifs.

Les gamen hikikomori sont des personnes qui ne sont plus capables de sortir sans porter de masque, soit qu’elles n’ont plus du tout confiance en elles, soit qu’elles complexent sur leur physique.

Au début, voir des masques sanitaires partout me faisait ressentir un certain malaise.

Je pense que c’est sans doute le cas pour beaucoup d’occidentaux (qu’en pensez-vous ?).

En y réfléchissant, je me dis que pour nous, la bouche est importante pour la communication. Nous exprimons nos émotions avec sourires, grimaces, pincements de lèvres…

Mais au Japon, ce sont les yeux que les gens regardent en premier pour lire les émotions profondes de leurs interlocuteurs. Il faut peut-être voir là la raison pour laquelle le marché du masque ne perce pas dans nos contrées ! 

 

12 Comments to “Pourquoi le masque sanitaire est-il si populaire au Japon ?”

  • 2 masques par foyer : l'annonce de Shinzo Abe est-elle un poisson d'avril ?

    […] Japon, où porter un masque sanitaire est commun et normal, la pénurie de masque qui dure depuis février met la population en […]

  • Renaud

    Merci pour cet article très intéressant et d’actualité malheureusement. L’année dernière, j’ai pu effectuer un 1 voyage au Japon et c’est vrai qu’au début, c’est déroutant de voir des personnes avec des masques et très vite, on s’habitue et on ne les voit plus. Intéressante la réflexion sur le pourquoi, les personnes portent un masque, j’ai appris des choses. Pour la référence à l’actualité en France voir des personnes avec des masques contrairement au Japon fait tout de suite penser à la maladie (malade donc peur de contaminer) ou alors à la peur (avec le contexte actuel de corona) Je profite de cet article ou je réagi pour t’écrire un merci général pour les différentes infos que cela soit cet article/ ce blog (pas encore tout parcouru) mais aussi ton twitter. C’est toujours intéressant un regard français sur un pays étranger surtout quand il y a un PVT cette année. Bon courage pour ton travail sur place et profitez bien du we férié et des sakuras qui commence

  • Le Japon face au Covid-19 : télétravail, écoles fermées, rupture de stock...

    […] Rien de tel que des rumeurs et la peur pour pousser les foules à se ruer dans les magasins. Les ruptures de stock s’accumulent, à commencer par les masques dès janvier. Les magasins de notre quartier ont commencé à afficher les uns après les autres des notices informant les clients d’une rupture de stock de masques sanitaires. […]

  • LUCILE RAJBANSHI

    Bonjour, c’est un article très intéressant et détaillé. Ma fille de 18 mois est tombée gravement malade et du jour au lendemain elle a été mise en chambre stérile avec obligation (parmis tant d’autres règles d’hygiène) de porter un masque pour entrer dans sa chambre (et de le garder même en dormant la nuit). On nous a indiqué que pour que cela fonctionne il fallait le porter bien serré, le changer à la moindre toux ou eternuement…ainsi que toutes les 2h environ pour que cela reste efficace. Au final malgré l’épidémie de grippe qui nous angoissait car très dangereux pour elle, nous n’avons rien attrapé de l’hiver et elle non plus…comme quoi ça doit quand même fontionner.

    Elle est rentrée à la maison et elle en porte dès qu’elle est en public, de notre côté nous en portons un dès que l’on a un doute sur notre santé pour ne pas prendre de risque comme elle est immuno déprimée depuis sa greffe. Cela devient un reflexe et même en France j’en trouve facilement pour nous, mais pour elle je dois les commander en ligne ou en récupérer à l’hôpital.

    Le seul bémol, c’est que comme vous le dîtes si bien, cela masque les émotions et la bouche, du coup ma fille qui va bientôt avoir 3 ans, a beaucoup de mal à bien prononcer les mots car elle est en plein apprentissage mais le masque gêne sa compréhension et ne lui permet pas d’apprendre en lisant sur nos lèvres (c’est ce que la psy nous a expliqué à l’hôpital). De notre côté l’inconvénient c’est qu’à force de le porter jour et nuit cela nous provoquait des démangeaisons et moi j’ai retrouvé une peau d’ado acnéique…le bon côté c’est que ça rajeunis!!!

    Nous n’en portions pas au début de notre voyage au Népal (juste après le tremblement de terre il y a 4 ans) et à cause de la poussière et de la pollution nous avons attrapé de violents maux de gorge et notre fils de 2 ans avait fait peu après notre retour en France une grosse crise d’asthme, donc depuis nous sommes vigilants et préférons nous protéger dans les lieux poussiéreux ou pollués.

  • mlsre

    Très instructif ton article, merci beaucoup! La différence bouche, regard… c’est vrai qu’avec mon compagnon on s’est dit le mois dernier en voyage au Japon qu’on ne voyait aucun nippon avec des lunettes de soleil. Par contre on s’est fait la réflexion aussi qu’on voyait beaucoup moins de masques que les autres fois où nous avions voyagé. Ça tient peut être de la saison alors si je comprends bien tes explications. En tout cas, mon compagnon, infirmier de son état, me dit toujours que l’efficacité d’un masque n’est pas terrible.
    En ce qui concerne l’isolement, repli sur soi, c’est vrai que j’avoue utiliser mes lunettes de soleil parfois, dans ce but :-p , surtout celles où les verres sont miroirs et on ne peut voir les yeux derrière 😉 Comme on dit en Belgique, chaque pays chaque mode ^^

  • Andreia Represas

    Très intéressant, cet article. Après mes voyages au Japon et en Corée, je me suis habituée vite à l’idée de porter un masque et je ne trouve plus ça bizarre. Même si chez nous dans les pays occidentaux (je suis portugaise et j’habite au Canada), c’est encore vu comme quelque chose d’étrange, maintenant je les porte chaque fois que je fais un voyage en avion. Je mets le masque pendant tout le trajet et finis les rhumes, laryngites et cie après les vols! 🙂

  • Philippe

    Perso j’adore porter un masque au Japon notamment l’hiver quand je suis en vélo pour se protéger du froid. J’aime également beaucoup dans le métro pour me sentir bien isolé du monde et recroquevillé sur moi-même. Plus qu’une protection, c’est bien la sensation qui me plait. Bel article que je conserve pour mes amis qui me posent souvent la question à ce sujet …

    • ameliemarieintokyo

      C’est vrai que c’est très bien en hiver lorsque l’on fait un jogging ou à vélo ! Merci pour le gentil commentaire et d’avoir apprécié la lecture :). Cela me fait très plaisir !

  • Maye

    Merci, comme toujours hyper instructif ! Et le commentaire plus haut était aussi tellement intéressant, l’importance des yeux ou de la bouche … C’est vrai qu’on met des lunettes de soleil chez nous pour cacher nos émotions ! Oh la prise de conscience c’est si intéressant !

    On quitte bientôt le Japon et j’aimerais beaucoup repartir avec des masques réutilisable (ça existe ? L’idée de partir avec un stock de jetable n’est ni réalisable ni souhaitable xD) parce que j’ai quand même bien aimé ça ici ! Effectivement pour toutes les raisons énoncée, mais surtout pour éviter les germes en hiver. C’est pas la panacée mais avec la puce qui ramène tout ce qui traine de la crèche on avait plus de chance de ne pas le faire tourner indéfiniment a la maison xD Je n’avais jamais eu l’idée de l’utiliser pour parer a la clim aussi mais ça a l’air pas mal.

    Bref moi je kiffe les masques 😀

    • ameliemarieintokyo

      Merci beaucoup de ce très gentil commentaire. Cela me fait très plaisir !

      Oui, il me semble que des masques réutilisables existent (notamment ceux qui sont décorés). Par contre je ne saurais où les trouver ! Il faut sans doute regarder sur internet ou demander à des japonais.

  • Crisitane Jeforu

    Et oui, les yeux. ce sont eux que j’aime regarder en premier. Les regards, nous en disent long sur les personnes. Je ne savais pas que le masque servait à se cacher. Lorsque je le veux, je porte des lunettes de soleil. Comme quoi, les us et coutumes des uns et des autres me réservent pas mal de surprises. Bon week end que je vous espère réparateur et joyeux.

    • ameliemarieintokyo

      Merci beaucoup d’avoir pris le temps de me lire, cela me fait très plaisir. C’est vrai que les lunettes de soleil opère un peu ce même rôle pour s’isoler des autres. D’ailleurs, les japonais ne me semble pas très portés sur les lunettes de soleil. Mon mari me dit même que ce n’est pas très bien perçu d’en porter car c’est déstabilisant de ne pouvoir lire les yeux des autres. Je vous souhaite une bonne journée ! 🙂

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