Sandrine Thommen

À la rencontre de Sandrine Thommen, illustratrice à la touche délicate et inspirée par le Japon

Lorsque j’ai découvert le travail de Sandrine Thommen, illustratrice à la touche délicate et pleine de poésie, j’ai véritablement été touchée par la beauté de ses illustrations. Ses illustrations d’album jeunesse autour de contes japonais sont pour moi un vrai coup de coeur ! Curieuse et voyageuse, Sandrine s’est beaucoup inspirée de l’Asie et a une affinité particulièrement pour le Japon. Partez à sa rencontre dans cet entretien plein de chouettes références au Japon. Puis courez vite en librairie !
Sandrine Thommen

Amélie : Enchantée ! Je suis vraiment très contente d’avoir eu l’opportunité d’explorer votre travail (quel talent !). Avant que nous en parlions, est-ce que vous pourriez vous présenter aux lecteurs ?

Sandrine : Merci beaucoup Amélie-Marie ! Je suis devenue une grande adepte de votre blog et je suis ravie de répondre à vos questions. Alors, donc, je m’appelle Sandrine Thommen, j’ai 32 ans. Je suis une illustratrice très inspirée par le Japon. Je suis franco-suisse, originaire des Cévennes, et je vis actuellement à Strasbourg.

Amélie : Merci. Je suis très curieuse,  quel a été votre parcours d’études pour devenir illustratrice ?

Sandrine : J’ai toujours aimé lire et dessiner ! Cependant, j’ai d’abord passé un bac scientifique car j’aimais bien les maths et les sciences. Pendant mon adolescence j’avais envie de devenir médecin humanitaire. Puis vers 17-18 ans, grâce à de bons professeurs de français, mon goût pour la littérature s’est accru. J’ai commencé à rêver d’un métier plus artistique… En cherchant des idées de métiers dans des guides pour étudiants, rapportés par ma mère soucieuse de mon épanouissement futur, je suis tombée sur un résumé du métier d’illustrateur, auquel je n’avais jamais pensé avant, et qui m’a tout de suite paru idéal ! Alors après mon bac, je suis partie pour une « Mise à Niveau Métiers d’Art » à l’école Estienne, à Paris. Puis j’ai rejoint l’école des Arts décoratifs de Strasbourg, que mes professeurs parisiens m’avaient recommandée pour son atelier d’illustration. J’y ai étudié pendant cinq ans, et j’en suis sortie diplômée en 2010.

Amélie : Superbe parcours ! C’est aussi une jolie preuve qu’il ne faut pas considérer les filières comme des routes tracées d’avance. J’espère que lire votre expérience en inspirera plus d’un.e (mon cher neveu en école d’art, si tu passes par ici… ). En parlant d’inspiration, le Japon – et l’Asie de manière générale, a profondément influencé votre travail. Qu’est-ce qui vous a poussée vers cet orient envoutant ?

Sandrine : Le déclic s’est fait progressivement. Tout a commencé par ma découverte des miniatures persanes, durant mes études à Strasbourg. J’ai adoré leurs couleurs franches et subtiles, leurs détails raffinés, leurs compositions aplaties, libérées de tout souci d’ombre et de perspective réaliste. J’ai trouvé dans ces images orientales quelque chose qui quelque part pouvait me ressembler, quelque chose d’à la fois très minutieux, idéaliste et un peu naïf ; cela m’a permis de « décoincer » mon dessin et de me trouver un début de « style » personnel. En étudiant les images de ces artistes persans, j’ai commencé à partager leur admiration pour l’esthétique chinoise (arrivée à eux suite aux invasions mongoles du 13ème siècle) à travers notamment la finesse et l’élégance du dessin des personnages, de la nature, des paysages avec plus d’espace laissé au vide, une profondeur exprimée par une succession de plans et une brume rafraichissante. J’ai été encouragée à poursuivre ces recherches par mon professeur Guillaume Dégé, qui me rapportait de fascinants et introuvables dessins chinois.
Ensuite, j’ai découvert les images traditionnelles japonaises (laques, paravents, estampes…). J’ai été touchée par leur sobriété, leur beauté particulière, forte et délicate à la fois. J’y ai retrouvé, avec la saveur d’un Orient encore plus « Extrême », cette manière asiatique de représenter l’espace de manière un peu aplatie, simple et suggérée… J’ai été séduite par l’élégance du dessin des estampes, évoquant l’essentiel des choses avec un minimum d’effets, et par la grande présence de la nature, l’espace et la force donnée aux paysages, l’humilité de la présence humaine, aussi parfois son côté un peu grotesque et humoristique (à ce sujet j’adore les personnages d’Hokusai par exemple).
Sandrine Thommen

Amelie : Un déclic plein de poésie et de douceur, de l’orient à… l’orient ! Parlons Japon. Vous avez eu la chance de pouvoir y séjourner plusieurs semaines. Quel a été votre ressenti ?

Sandrine : En 2013, j’ai eu la chance de pouvoir résider durant deux mois (août et septembre), dans la belle maison de Stéphane Barbery, à Kyoto. J’ai passé la majorité de mon temps à sillonner la ville en vélo, à retourner plusieurs fois dans les endroits qui me plaisaient le plus. Arashiyama, Hozukyo, Fushimi Inari Taisha, les rives de la rivière Kamogawa, le Ginkaku-ji, les onsens et sentô. Et toutes les petites ruelles tranquilles… !
À l’occasion de ce séjour, j’ai aussi passé quelques jours sur l’île de Shodoshima. J’ai choisi cette île car j’avais l’occasion d’y faire deux belles rencontres. Michiko, une amie d’ami, japonaise francophone, qui pouvait m’y héberger, et l’artiste Kana Yoshida, dont j’ai pu découvrir une très belle oeuvre sur les fonds marins. Un autre moment mémorable sur cette île a été mon ascension en solitaire, en vélo, de la montagne des singes, en passant par de beaux paysages de rizières. Un gentil monsieur, habitant du coin, m’a juste aidée sur un petit tronçon où je m’étais perdue, en me transportant dans sa voiture ! Le panorama tout en haut, observé seule en compagnie d’un vieux macaque, était magnifique ! Aussi, avec Michiko nous avons fait une très belle promenade sur une île voisine, Teshima…
Et puis grâce à une autre amie japonaise (Yui Togo, l’auteur de mon livre « Le marchand de pêches ») et ses parents, j’ai pu passer quelques jours immergée dans leur adorable famille japonaise et découvrir Hyogo, Hiroshima, Miyajima, ainsi que Tomono Ura, le village de Ponyo.

Amélie : Je rêve d’y aller ! Ce séjour semble avoir été une expérience inoubliable du Japon… Et une inspiration peut-être ?

Sandrine : Oui, c’est clair que ce séjour a été une expérience magnifique et bien marquante ! Durant ces deux mois de voyage, j’avais le projet de dessiner mais je n’ai pas réussi à trouver par quoi et comment commencer ! Je ne suis pas douée pour faire des croquis sur le vif. J’ai besoin de laisser les choses se décanter pour construire mes images… Et puis il faut dire qu’à mon retour en France, j’ai reçu une commande idéale des éditions Picquier et de l’autrice Nathalie Dargent. »Choses petites et merveilleuses » est un texte qui m’a permis de composer librement avec une foule de souvenirs tout frais de mon voyage au Japon. Je pense que ça a été un passage important avant de me diriger vers des projets dont je serai l’unique auteur…

Amélie : J’imagine que cela faisait beaucoup à absorber. Mieux valait prendre le temps d’en profiter. Durant ce séjour qu’est-ce qui vous a surprise ?

Sandrine : Même si avant de partir je savais déjà un peu à quoi m’attendre, notamment grâce aux livres de Florent Chavouet et à mes discussions avec cet auteur devenu un bon camarade, ce qui m’a surprise en arrivant, c’est d’abord la moiteur de l’air. En sortant de l’aéroport début août, j’ai eu l’impression de rentrer dans du coton chaud et humide ! Moi qui ne crains pas trop trop la chaleur, ça ne m’a pas déplu ! La seconde chose qui m’a surprise, ce sont les gants blancs et la grande classe du chauffeur de taxi. Puis le beau vacarme que faisaient les cigales autour de la villa Barbery, et la bonne odeur des tatamis en rentrant dans sa maison… Tous ces petits détails qui me disaient « ça y est, tu es au Japon », c’était magique !
Ensuite, mes meilleures surprises ont été les onigiris à l’umeboshi, les daifuku, et les onsen, tellement agréables. Aussi, j’ai tout de suite été enthousiasmée par la quantité et la variété des vélos et des plantes en pot devant les maisons, par l’extrême politesse et gentillesse des gens, leur grand souci d’aider les étrangers perdus, les distributeurs de boissons un peu partout, et les trains qui vous amènent rapidement en pleine nature… J’ai été surprise que tout le monde roule à vélo sur les trottoirs et qu’on ne s’y sente pas trop à sa place en tant que piéton ! Mais j’ai adopté le réflexe vélo sans problème.
Ce que j’ai moins aimé, c’est le prix des fruits, la quantité de moustiques, un gros tas de bouteilles plastiques vides trouvé dans une forêt, l’abus de climatisation dans les transports en commun, ou qu’il soit si compliqué de trouver un lieu « autorisé » pour garder son vélo en centre-ville. Mais pas de quoi gâcher le plaisir de mon voyage.

Amélie : Et heureusement ! Car dans votre travail je retrouve ce Japon que j’aime tant, avec une telle force. D’ailleurs, comment avez-vous été amenée à travailler sur des livres en rapport avec la culture japonaise ?

Sandrine : Mon premier livre édité, « La Fleur du mandarin » (éditions Actes Sud Junior, 2009), d’influence mi-perse mi-chinoise, écrit par ma professeur d’anglais Bahiyyih Nakhjavani, a été un peu remarqué. Il m’a permis de travailler sur un second livre avec la même auteure et le même éditeur : « La Soeur du Soleil » (2010), dont l’histoire avait été inspirée à Bahiyyih Nakhjavani par un ballet japonais. C’est à cette occasion que j’ai commencé à me documenter sur l’art traditionnel japonais.
Sandrine Thommen
Ensuite, j’ai rencontré les éditions Philippe Picquier au salon du livre jeunesse de Montreuil. Ils m’ont proposé d’illustrer un conte d’inspiration japonaise de Nathalie Dargent,« Le Kami de la Lune ». Ça a été le départ d’une belle collaboration avec cette maison d’édition pour des livres autour du Japon. « Le Kami de la lune », publié en 2011, a aussi entrainé une commande des éditions Rue du Monde, pour illustrer un conte japonais ré-écrit par Claire Laurens,« La grand-mère qui sauva tout un royaume ». J’ai donc eu la chance d’être en quelque sorte conduite jusqu’au Japon par mes éditeurs, un peu malgré moi, mais pour mon plus grand plaisir !

La soeur du Soleil, 2010

Le dernier livre publié que j’ai illustré, un documentaire sur les Yôkai, c’est Fleur Daugey, son autrice, qui me l’a proposé, après que notre éditeur Actes Sud Junior nous ait mis en relation pour un premier livre ensemble sur les oiseaux migrateurs… C’était la première fois que j’étais amenée à explorer en dessin cette facette plus obscure du Japon. Cette expérience a fini de me convaincre qu’il fallait que je continue plus profondément mes explorations japonaises !
Sandrine Thommen

Amelie : Et on adore ! D’ailleurs, quels artistes japonais appréciez-vous ? Avez-vous des livres à conseiller sur la culture (l’art ou le Japon en général) ?

Sandrine : Ce sont plutôt des artistes et des oeuvres très classiques qui m’enthousiasment, alors je ne pense pas avoir de références très surprenantes à vous donner. Cependant, j’adore les images de Hokusai, Hiroshige, Kuniyoshi, Kamisaka Sekka, les récits et le dessin de Shigeru Mizuki… Dont je recommande vivement l’autobiographie, « Vie de Mizuki » aux éditions Cornélius, pour ceux qui ne l’auraient pas encore lue ! Sur l’art et la culture du Japon, (outre ceux que j’ai illustrés ;)), il y a beaucoup de livres que j’aimerais conseiller :
Des textes passionnants et plein de finesse sur la culture japonaise :
– « Le jeu de l’éternel et de l’éphémère » de Nelly Delay (Picquier Poche).
– « Éloge de l’ombre » de Junichiro Tanizaki (Éditions Verdier)
– « Chronique japonaise » de Nicolas Bouvier, (Petite Bibliothèque Payot)
– « Hanafuda, le jeu des fleurs » de Véronique Brindeau (Picquier Poche)
–  « Louange des mousses » de Véronique Brindeau (éditions Philippe Picquier)
Des chouettes livres très complets à propos des Yôkai :
– « Yôkai, fantastique art japonais » de Brigitte Koyama Richard (Éditions Scala)
– « Yôkai Manga Volume 1 et 2 », édités par Seigensha (juste pour les images pour les non nippophones)
– Et bien sûr, tous les livres de Shigeru Mizuki !

Amelie : milles merci pour toutes ces chouettes références. Après une première exploration en voyage et à travers votre travail, avez-vous envie de construire de futurs projets avec le Japon ?

Sandrine : Oui ! Cette année, suite à mon expérience avec les yôkai, j’ai décidé de me plonger encore un peu plus dans la culture japonaise. En octobre prochain, je pars pour Tokyo et je projette d’y rester un an, voire plus si affinités (et surtout possibilités !). Et je débute sérieusement l’apprentissage de la langue japonaise, pour l’instant grâce à des sites comme duolingo.comwww.erin.ne.jp, et jisho.org (pour essayer de bien écrire les kanji).
Puis j’ai l’intention de continuer à étudier le japonais dans une école à Tokyo (notamment grâce à vos bons conseils, Amélie-Marie et GaijinPot Study ;)). Car selon moi il n’y pas pas de meilleur moyen pour découvrir une culture que d’apprendre les subtilités de sa langue et de son écriture. Je rêve d’être un jour capable d’écouter et de lire les histoires des japonais sans le filtre de la traduction ! Aussi, je suis fascinée par les kanji et ce que leur construction peut dévoiler de l’esprit japonais. Cette année j’ai aussi débuté l’apprentissage de la calligraphie. Je trouve que c’est une activité à la fois extrêmement agréable et passionnante. Je suis habituée à dessiner au pinceau, à la gouache pour mes illustrations, à l’encre de Chine pour mes dédicaces. Mais la calligraphie me permet d’expérimenter une toute autre manière de tenir et manier cet outil.
Et puis, côté illustration, je vais commencer à l’automne prochain à travailler sur un projet d’album jeunesse tout au crayon de couleur. Il est inspiré de mon premier séjour au Japon, lors de ma résidence à Kyoto. Cinq ans après, grâce à un coup de pouce de mon éditeur Philippe Picquier, j’ai enfin trouvé une manière d’aborder les choses ! J’ai le grand honneur d’avoir obtenu une bourse du Centre National du Livre pour ce projet.

Amelie : Je suis ravie de vous pouvoir vous guider dans le dédale des démarches pour les écoles de japonais ! Félicitations pour l’obtention de cette bourse, c’est absolument fantastique ! Nous avons tous hâte de voir la réalisation de cet album jeunesse. Enfin, quels conseils auriez-vous à donner pour des lecteurs intéressés par le travail d’illustrateur/trice ?

Sandrine : Je vous conseillerai de regarder un maximum d’images et de livres illustrés, de toutes époques et cultures, et de ne pas hésiter à recopier, à votre manière, les éléments de dessin qui vous plaisent, comme pour affiner votre regard et enrichir votre « vocabulaire » de formes, d’ambiances colorées, de compositions. Ceci dans le but d’arriver à la fois à une façon de faire qui vous ressemble, et raconte au mieux ce que vous avez envie de raconter.
Puis, pour ce qui est du premier contact avec les éditeurs, je recommande une chose qui a marché pour moi, c’est de prendre des rendez-vous avec les directeurs artistiques des maisons d’édition qui vous attirent, à l’occasion du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, qui a lieu tous les ans fin novembre/début décembre. Il faut s’inscrire sur le site du salon quelques semaines, voire quelques mois au préalable.
En gros, travailler à se faire plaisir, persévérer, et ne pas hésiter à recommencer si vous sentez que vous pouvez faire mieux :).

Amélie : Merci beaucoup !

Vous pouvez retrouver le travail de Sandrine Thommen sur son site et la suivre sur Instagram. Sandrine a aussi une boutique en ligne pour ceux qui souhaitent se procurer des tirages d’art de ses illustrations.

Mes gros coups de coeur

Je suis particulièrement fascinée par l’univers des Yôkaï (que je n’ai pas encore abordé sur ce blog, honte à moi !) et je ne peux que vous conseiller de vous procurer cet album qui conquis les petits mais aussi les grands !

Sandrine Thommen

Aimez-vous la poésie japonaise et en particulier les haïkus ? Moi oui ! Et ce petit guide pour écrire des haïkus est parfait pour les apprentis poètes :).

Sandrine Thommen

3 Comments to “À la rencontre de Sandrine Thommen, illustratrice à la touche délicate et inspirée par le Japon”

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