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Savoir dire non en japonais, ce n’est pas de la tarte !

Non en japonais

Dire non en japonais, ce n’est pas une évidence. Premièrement, les japonais n’aiment pas avoir à être directs. Deuxièmement, ils n’apprécient pas non plus d’être en position de refuser ou de se voir refuser une proposition. Conclusion ? Un flou artistique linguistique à rendre chèvre un français qui aime savoir à quoi s’en tenir. C’est à dire pas dans les sables mouvants pour commencer.

Donc.

Au Japon, lorsque l’on dit « non » (tintintin !), on exprime le regret et la déception d’avoir à refuser. Vous voyez le tableau ? Bien sûr, loin de moi l’idée de dire que les autres pays sont des sauvages. Quelque soit la langue, un refus est souvent accompagné d’angles arrondis. En revanche, là où un français poliment arrondis les anglais, un japonais, lui obscurcit carrément le tableau.

Cet embarras à dire non en japonais vient de leur sacro saint respect de l’harmonie du groupe social. Cela s’applique particulièrement dans la bulle professionnelle, mais aussi pour les relations amicales.

Alors, non en japonais?

Comme beaucoup d’élèves, le premier mot appris lors de mon apprentissage de la langue fut いいえ (iie). Ah, ah, trop beau pour être vrai, vous vous doutez que dire non en japonais ne s’en tient pas qu’à ce petit mot. C’est avec joie (sang et larmes), que l’on apprend la panoplie des japonais pour vous refuser un bout de steak.

Niveau : ちょっとchotto

Dans une conversation familière, à l’oral ou à l’écrit, le petit mot ちょっと est plutôt clair et facile à retenir. Cependant, il a beaucoup de significations et est difficilement traduisible. Pour faire simple, ce mot signifie « un petit peu », « un peu », « bref », « légèrement », « plutôt ». Dans le contexte d’une invitation, chotto signifie poliment « désolé, ça va être difficile ».

L’ami.e (friendzoné.e) : « On sortirait pas un soir, juste toi et moi ? »
L’ami.e : « ちょっと… »
Traduction : écoute, je t’aime bien, mais non.

Le refus peut être plus affirmé avec le classique « j’ai quelque chose à faire ». Littéralement avec le mot japonais exprimant « quelque chose à faire » : 用事ようじ.

L’ami.e (friendzoné.e) :  » On va boire un verre ensemble demain soir ? »
L’amie : « ちょっと… 用事ようじ … » (= Désolée, demain c’est difficile j’ai des choses à faire)
Traduction: Nope. Nope. Nope. 

Vous voyez le tableau ? Moi non plus. Après une longue refléxion, j’ai réalisé que pour apprendre et comprendre le non en japonais, il faut analyser l’ambiguïté de leurs expressions.

Niveau 1 Le non, clair, franc et familier

Ces trois mousquetaires du non en japonais sont familiers et expriment de manière directe l’impossibilité de répondre à une requête. À n’utiliser qu’avec des personnes proches (amis, familles, bons collègues). 無理むり implique une impossibilité liée aux circonstances. La forme négative présent du verbe pouvoir, できない, est plus subtile. L’interlocuteur exprime le regret de ne pouvoir agir en accord avec la proposition.

Niveau 2 Le non indirect et poli

Ces trois adjectifs sont d’un niveau soutenu. Vous avez la liberté de les employer dans un contexte professionnel. Si un japonais francophone répond à l’une de vos invitations avec « c’est difficile » en français, ne cherchez pas midi à quatorze heure. C’est un non indirect et poli tel qu’il l’exprimerait en japonais. きびしい et むずかしい sont interchangeables. En revanche 大変たいへん est plus subjectif. Cet adjectif peut amener à l’ambiguïté. C’est l’expression de la difficulté en raison d’une situation complexe.

Niveau 3 Le non délicat, ouvert à interprétation

Bienvenu.e dans la zone grise du non japonais. Même un natif pourrait en perdre ses idéogrammes tant on est là dans l’interprétation. Finalement, on peut légitimement se demander si l’ambiguïté n’est pas volontaire afin d’éviter de s’engager ou de briser l’harmonie lorsque plusieurs personnes sont impliquées dans la prise d’une décision.

La pire expression du trio est sans conteste 結構です. Elle peut dire à la fois oui et non merci ! Tout réside dans l’intonation et le contexte (ô joie). Lorsqu’un japonais répond « c’est délicat » (微妙びみょうです), il est à la frontière du oui, mais à vrai dire, ce n’est pas certain. Alors en fait plutôt non. En général, cela amène plutôt vers un non final.

Répondre que l’on est pressé à une invitation n’est sans doute pas commun au japonais. Mais ce qui est certain c’est que si un japonais vous répond qu’il est pressé à trois de vos invitations à boire un verre, c’est que c’est non.

Niveau 4 Le non japonais, ambiguïté 100%

Alors, oui ou non ? Eh bien… « peut être » ou « ça dépend ». Vous voilà bien avancé.e. Ces deux expressions (parmi d’autres) expriment un potentiel oui. Votre proposition est refusée mais sait-on jamais, vous pourriez peut être réussir à obtenir un oui final. La dernière est particulièrement utilisée dans le monde des affaires afin de repousser une décision qui ne fait pas l’unanimité…

J’ai eu l’occasion de rencontrer une consultante spécialisée dans l’implantation d’entreprises étrangères au Japon. Elle a relaté une anecdote parfaite pour cet article lors de l’une de ses interventions.

Lors d’une rencontre avec un client japonais, sa proposition de projet d’affaires fut reçue avec joie et effusion par son contact dans l’entreprise. Ce partenaire japonais semblant satisfait et motivé, elle se mit au travail et monta le projet après des études de marché. Arrive pour elle le moment de poursuivre ce travail avec une présentation. Elle appella son client une fois. Puis rappelle, deux fois, trois fois. Mais il était toujours indisponible ou absent de son bureau.

À l’époque de cette anecdote, cette consultante n’avait pas ses 25 ans d’expérience dans le monde des affaires japonais. Dans ce contexte, un japonais aurait immédiatement compris le message. Mais elle persista à appeler tant et si bien que, coup de chance et secrétaire à l’ouest, elle eu son contact au bout du fil. Malaise. Terriblement embarrassé, le client japonais dû expliquer que le projet lui avait beaucoup plu. Cependant son chef l’avait pris en grippe… Devoir refuser ce projet après avoir témoigné autant d’enthousiasme était une épreuve tellement désagréable que le partenaire japonais avait préféré couper tout contact plutôt qu’annoncer un franc refus.

Conclusion ?

Si j’avais voulu faire une liste de tous les non en japonais, j’y serais encore à l’heure actuelle. Ce que je trouve en revanche intéressant c’est de réussir à comprendre que dire non en japonais ne va pas de soi. Il n’est pas rare d’entendre les étrangers se plaindre de ne pas savoir sur quel pied danser avec leurs amis, partenaires, collègues, clients japonais, parce que leurs demandes sont classées sans suite, sans vraiment de clarté. C’est un témoignage de plus en faveur d’une approche culturelle de l’apprentissage d’une langue. Finalement, une clef de votre bonne entente avec les nippons est sans doute de comprendre toute la subtilité d’un non en japonais!

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