Vivre au Japon : les japonais respectent-ils (vraiment) les règles ?
- Amélie Marie
- 16 janvier 2014
- Société et Culture Japonaise, Vie quotidienne
Ce que j’entends fréquemment au sujet de mes amis les japonais, c’est à quel point ils semblent respecter les règles de vie en société. Vivre au Japon, me dit-on, doit être bien agréable, avec une société si policée.
Respect de la politesse, des règles sociales ou institutionnelles.
Les japonais sont perçus comme polis, courtois. Ils sont respectueux des lois, des voisins, des chats des… Bref. La société japonaise est effectivement encadrées par de nombreuses règles de vie dont beaucoup leur viennent de la coutume. Saupoudrez le tout avec un fort pouvoir coercitif communautaire. Au Japon, le regard de l’autre suffit à réfréner toute envie de faire le clown (ou presque). À la coercition sociale s’est progressivement ajoutée la coercition institutionnelle, notamment à travers le travail, une valeur très importante du Japon moderne.
Vivre au Japon, c’est vivre sous pression.
La langue est une première indication de la pression à laquelle sont soumis les japonais. Elle s’associe à une gestuelle très codifiée. Les niveaux de langue sont d’une importance cruciale dans les rapports interpersonnels. De l’enfance jusqu’à l’entrée dans le monde du travail, un japonais est en constant apprentissage de degrés de politesse, pour la découverte desquels je vous renvoie à ce lien complet.
Cette codification des interactions individuelles découle de la hiérarchie sociale fondée par différents facteurs, les plus importants étant évidemment l’origine socio-économique et l’âge, suivi par l’origine géographique. Sur ce dernier point, les victoires et défaites historiques des clans qui ont formé le Japon portent encore des conséquences lourdes sur les rapports entre japonais. Cela va bien plus loin que l’opposition entre Pays de Loire et Vendée, par exemple. L’origine géographique peut entrainer une discrimination à l’emploi.
Un respect des règles, mais pas de l’individu.
En réalité, il convient de préciser que le respect est bien à l’égard des codes sociaux eux-mêmes plus que de l’individu. L’ordre est respecté, non pas la personne à qui l’on s’adresse. Un exemple visible et frappant pour un étranger est le rapport client – commerçant. Si le premier est traité comme un roi, le second se doit d’être invisible. Ainsi, il n’est ni salué, ni remercié. Dans cette société très structurée, la violence des règles tient en ce qu’elle maintient chaque individu à sa place dans un rapport inférieur / supérieur.
Quel sens apporter à ce respect ? Quelle valeur attribuer à des règles qui rappellent à chaque individu sa place sociale dans une hiérarchie dure et sans appel ?
Bien au delà de la politesse des rapports interpersonnels, ce sont tous les instants de la vie quotidienne qui tombent sous le coup de principes, dont vous trouverez un résumé relativement complet en suivant ce lien, régulièrement rappelés à vous par des slogans imagés disséminés un peu partout. Peut-on affirmer, comme je le lis régulièrement, que ces règles de vie sont toutes respectées scrupuleusement ?
Non, le Japonais échappe aux règles s’il le peut. Comme tout le monde.
Ainsi, malgré les interdictions de fumer dans la rue, les japonais fument dans la rue. Malgré les interdictions de parquer leurs vélos dans de nombreux endroits, les deux roues s’empilent sans vergogne. Les voitures comme les individus ne respectent pas les feux rouges. Bien sûr, aux immenses croisements souvent mis en avant dans la découverte du Japon (Shibuya, Shinjuku), les piétons sont bien obligés de respecter les feux, à moins de ne faire preuve de tendance suicidaire. Mais à taille « humaine », un japonais passera au rouge, comme tout bon humain. Moins que les français, certes.
On me chuchote par ailleurs que les japonais ne font pas de bruit sur les lieux publics. C’est une grande nouvelle. Il suffit d’un wagon un peu bondé pour entendre les voix s’élever, la musique qui s’écoule des écouteurs de l’adolescent à la tête ballottante, les cris et éclats de rire de jeunes allant en cours, sortant de cours… Mais qu’il soit bondé ou non, j’ai finalement assisté à de nombreuses conversations animées. Et les rues ! C’est une symphonie chaotique qui nous surprend dès que l’on sort des quartiers d’habitation.
On m’assène que la file d’attente, la ligne, la queue, est emblématique du respect des nippons. Oui, en effet, le respect se maintient en ce qui concerne ce contexte, déjà parce qu’avec plus d’une dizaine de millions d’habitants, si ce principe n’était pas au minimum respecté (ainsi que le bon usage de l’Escalator) le chaos aurait tôt fait de mettre Tokyo à terre. Mais l’étranger est le premier à le voir, lorsqu’il attend bien en ligne pour entrer dans le métro, il lui arrive d’être bousculé, sans plus d’égards. Parce qu’il est étranger, et qu’il n’y a rien de plus caractéristiques dans la société japonaise que la construction communautaire par rejet de ce qui est étranger.
Je poursuis avec une question me tenant à coeur : le dépôt d’ordure dans la rue.
Les tenants de cet aspect des choses sont-ils allés jeter un oeil le soir, du côté des quartiers animés, des ruelles, des petits quartiers ? Loin d’être parfaits, même si on doit leur concéder une grande avance en matière de recyclage, les japonais sont des grands consommateurs d’emballages. Il n’est pas rare qu’ils se délestent dans des recoins ou au grand jour de ce qui les encombre. Les grandes victimes de ces débordements restent les paniers de vélo. Laissez votre bécane la nuit, vous la retrouverez garnie (canettes, sacs de courses, restes de bento…).
Concernant les attitudes d’amoureux dans la rue, telles que ne pas embrasser votre partenaire, ne pas lui tenir la main… Si c’était totalement vrai par le passé, il est temps de réaliser en 2014, que la jeunesse japonaise se sort de ce carcan, malgré les statistiques effrayantes sur le célibat et le manque d’interaction entre les deux sexes au Japon, sujet autrement passionnant.
En réalité, plutôt que de lister et de donner des contre-exemples, il serait plus simple d’affirmer ainsi. Oui, le Japon vit sous l’emprise de règles de vie envahissantes. Mais les jeunes générations prennent les plus contraignantes avec moins en moins de sérieux.
Il faut reconnaître à l’étranger le droit à l’émerveillement par rapport à l’ordre régnant, au bon traitement dont il fait l’objet. Le charme est jeté, le Japon apparait comme un éden où la vie semble bien agréable. Mais derrière ce sourire obligé, souvent par les règles strictes et implacables des employeurs, et au manquement desquels un employé japonais se retrouve viré comme un malpropre, se dessine selon moi, la froideur d’un système coercitif, envahissant jusqu’à l’intimité des familles.
D’ailleurs, l’étranger désirant vivre au Japon se heurtera tôt ou tard au mur qui l’isole des nippons. Un mur culturel très difficile à franchir, si ce n’est impossible.
Trop de règles.
Un peu de psychologie sur l’impact de la coercition de la société sur les individus.
Respect, manners and etiquette in Japan | Amelie Marie in Tokyo
[…] In French […]
Moi
« Beaucoup de codes sont à respecter lors des repas (surtout au restaurant ou dans un lieu public), notamment avec l’utilisation des baguettes:
Ne jamais planter ses baguettes à la verticale dans son bol de riz ; c’est un geste utilisé avec les bâtons d’encens et réservé aux offrandes pour les morts.
Ne jamais pointer quelqu’un avec ses baguettes pendant une conversation (très grossier!).
Ne pas trier les aliments dans son plat avec ses baguettes.
Ne pas tirer un plat vers soi avec ses baguettes.
Ne pas lécher ni téter le bout de ses baguettes.
Ne pas prendre un aliment de baguette à baguette pour partager (toujours déposer la nourriture dans une assiette, et l’autre convive se servira ensuite par lui-même). »
Heureusement que je mange jamais jap, putain. Je serais déjà persona non grata aux pays des nippons !
Ton article appelle un demi-milliards de commentaires mais je me contenterais de dire que moi, j’ai jamais pensé que les jap étaient des gens emmurés dans leurs règles. Mais que bon, quand même, y’a qu’en France où on aime prendre des risques à chaque carrefour pour traverser et gagner 2 millièmes de secondes jusqu’au prochain feu XD
(Et sinon, les préjugés, ça pue.)
Je vais aller zieuter les liens que tu as mis pour me cultiver un peu !
(Même si, aujourd’hui, j’ai appris à dire « déflocage d’amiante » en anglais : je suis au top de ma culture !)
Bisous mon chou ! 😀
Melie
Mais non, mais non, ils n’en auraient rien à carrer, je pense.
Me concernant, j’ai depuis longtemps appris à imiter (ou à éviter au minimum les comportements dommageables) lors des repas ou des rencontres. En fait, bien sûr, il semble évident qu’il existe une double mesure. Je crois que ce qui m’irrite, c’est généralement les préjugés qui sont emportés depuis la France et qui continuent de parcourir les expatriés. Bien entendu, je ne les connais pas tous personnellement ;), mais la lecture des blogs de voyage confirme souvent que ceux qui les écrivent se contentent bien souvent de répéter les préjugés, au lieu de réaliser qu’au delà des apparences beaucoup de choses sont erronées. Si tu pars avec tes préjugés dans la valise, et que tu n’observes que sous leur angle, tu ne feras que les valider. Ça m’agace (tu dois entrevoir pourquoi je suis un peu en solo au Japon!).
Mon dieu, je suis contente de ne pas apprendre l’anglais technique :D.