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Au secours ! Mon mari souffre de tsundoku !

Le mot japonais tsundoku a eu son petit succès dans la presse étrangère, d’abord en 2017 (« il existe un mot pour les japonais qui achètent plus de livres qu’ils ne peuvent en lire« ) puis l’année dernière. Ainsi, vous avez peut-être déjà lu ce terme passer sur Mademoizelle ou encore le Télérama, ainsi que la BBC. Mais qu’est-ce donc que le tsundoku ? 

C’est l’art (pour les uns) ou la manie (pour les autres) d’accumuler des piles de livres qui ne seront jamais lus.

Nous ne sommes pas loin de la bibliomanie, encore que celle-ci appartient aux troubles obsessionnels compulsifs, et je ne suis pas certaine que le tsundoku soit nécessairement un trouble. Car pour moi, cette envie de vouloir continuellement acheter des livres est révélatrice de notre désir de nous adonner à la lecture dans un monde qui nous laisse trop peu de temps pour dévorer tous les ouvrages qu’il nous offre. D’ailleurs, beaucoup estiment que nous sommes tous capables, à divers degrés, d’accumuler des livres que nous n’avons pas le temps de lire, ou du moins, pas complètement. 

L’apparition du mot tsundoku

Écrit どく ou 積読つんどく, le terme est reconnu à l’ère Meiji (XIXè-XXè), ce qui implique un usage peut-être encore plus ancien, durant l’ère Edo. Ce sont les expressions 積読家 ou 積読先生, respectivement « la maison remplie de livres non lus » ou encore « le professeur qui a beaucoup de livres mais qui ne les lit pas » qui le mettent au goût du jour avec malice. 

Tout d’abord,積ん a pour origine l’expression 積んでおくqui se traduit maladroitement par « une accumulation de choses (avec l’intention d’en faire un usage ultérieur) ». Le verbe む, seul, signifie accumuler tandis que la construction (verbeて)おく marque l’accomplissement d’une action avec l’intention de poursuivre une autre action future ou de se préparer à quelque chose. Immédiatement compréhensible, le second kanji du mot tsundoku est celui du verbe lire (読む) ou encore du mot lecture (読書どくしょ). 

Au quotidien, le tsundoku c’est un poil relou.

La première fois que j’ai mis les pieds chez mon mari, j’ai halluciné. Je n’aurais jamais imaginé possible d’accumuler autant de livres dans un studio. Comprenez-moi, son petit 18 m2 croulait véritablement sous des piles de livres. Sur ses étagères, au pied de ses étagères, sous son lit, dans ses placards – dédiés uniquement aux livres, tandis que ses vêtements étaient empilés en boule dans le peu d’espace restant. En fait, j’avais tout juste la place d’entrer et de me tenir debout. Pour la minimaliste que je suis, c’était une vision d’enfer

Si je veux être tout à fait honnête, à l’époque ce n’était sans doute que partiellement du tsundoku car étant étudiant il avait bien plus le temps qu’aujourd’hui de lire. (Encore que le besoin de se procurer toutes les éditions de dictionnaire de russe m’intrigue.)

Alors que nous vivons désormais à deux et dans un petit appartement de Tokyo, je dois souvent réfréner ses achats à coup de « en as-tu besoin maintenant ? » « combien de livres te reste-t-il à lire ? » ou encore « tu en as déjà acheté 5 cette semaine ! ». Dans notre panier Amazon, au bas mot, une centaine d’ouvrages sont à « acheter plus tard ». 

Heureusement, le livre numérique est arrivé sur le marché.

Désormais, il peut en partie accumuler les bouquins qui l’intéressent sur sa tablette si cela lui chante (reste à surveiller la facture du coin de l’oeil !). Mais toutes les semaines ou presque, nous recevons par la poste encore de nouveaux livres commandés à droite et à gauche. Tout l’intéresse – ou presque, et il se prend de passion pour un nouveau sujet tous les 4 matins. Un coup il veut apprendre à coder, l’autre le tagalog, puis cela passe par lire le dernier livre de sciences économiques qui fait du bruit au Japon. 

Or le problème du tsundoku, c’est le passage de l’intention (« j’ai envie de lire ») à l’action. Parfois, le livre vient d’être livré qu’il est déjà passé à autre chose, malheur arrivé à ce beau livre d’apprentissage pour créer des applications sous android qui n’a jamais été ouvert.

En attendant donc, les piles de livres s’entassent sur nos étagères, dans nos placards et nos boites de rangement. Ressentant moins d’attachement, je revends vite les miens pour lui faire un peu plus de place. Pour moi, il est vrai, un livre lu est mieux à être partagé qu’à prendre la poussière. 

Le besoin de posséder le savoir.

Je ne peux m’exprimer sur le tsundoku en général. Cependant, pour mon mari, cette manie coïncide avec une soif de connaissances qui n’a pas de limite. Il serait, s’il le pouvait, éternel étudiant et chercheur, accumulant spécialités et diplômes. 

Au delà de sa curiosité insatiable, s’ajoute une autre dimension, cette envie d’afficher de manière physique ses intérêts. Posséder le livre lui fait autant plaisir que le lire. Il rêve d’une gigantesque bibliothèque à domicile, dans laquelle il pourrait se perdre et piocher au hasard (difficile à deux dans 34 m2 !).  Bien que j’aie du mal à le comprendre, cette accumulation visuelle de livres le rassure. Il se sent alors valorisé. Ainsi, il répète souvent que ses livres, ce sont sa richesse.

Je rêve donc d’un jour, avoir les moyens de nous offrir un logement plus grand dans lequel, je lui ai promis, il aura sa pièce à livres. 

Si vous avez des piles de livres qui attendent d’être lus chez vous, peut-être souffrez-vous un petit peu de tsundoku… ? 

 

 

9 Comments to “Au secours ! Mon mari souffre de tsundoku !”

  • Gabrielle

    Bonjour,
    J’avais eu une période comme ça avec les livres achetés en brocante.
    Quand on a eu besoin d’acheter une nouvelle bibliothèque, je me suis rendu compte que c’était stupide….
    J’ai revendu tout les livres accumulées non lu et depuis je fais régulièrement du tri et ça fait du bien.
    Ça me fait une cagnotte du coup, avec les livres revendus je peux en acheter d’autres.
    Et je confirme, la liseuse c’est super !

    • ameliemarieintokyo

      Merci d’être passée par ici ! C’est exactement ce que je fais lorsque je revends des livres au magasin d’occasion du coin 🙂 plutôt que de les avoir à prendre la poussière, je trouve qu’il y a quelque chose de beau à les faire circuler.

  • Chloé

    En tant que travailleuse du livre indépendant, suis triste de lire que beaucoup de つんどくé(e)s achètent leur dose sur Amazon…

  • Cleopiti

    Merci, merci, merci !!!!
    Je souris en tapotant sur le clavier … seules les personnes partageant cette « habitude, manie, dysfonctionnement » peuvent comprendre ce besoin échappant parfois à l’entendement !
    A l’heure actuelle, il y a pas loin de 3000 livres dans ma maison entre poches, grand format, livre de cuisine, activités manuelles, ésotérisme, guide touristiques et beaux livres, etc …
    J’ai pris conscience de cela il y a quelques temps, je m’astreins à acheter essentiellement des livres d’occasion (brocante, EmmaÜs, Momox…) et aussi à me séparer des livres lus ou dont je n’ai plus l’envie de les lire depuis leur acquisition.
    Enfin, je conçois que cela doit être pesant pour l’entourage…

    • ameliemarieintokyo

      Merci beaucoup de ton gentil commentaire (et de l’enthousiasme !!). Et… OH LA VACHEUH (comme dirait mon mari). 3000 livres, mazette ! Moi, tant qu’il y a de la place pour les ranger, je trouve que cette envie de livres est tout à fait méritoire. Avoir une bibliothèque chez soi c’est pouvoir s’évader quand on veut dans autant univers que de livres !

  • Jean Pierre

    Excellent petit billet ^^.
    Si je peux comprendre l’envie de lire les bouquins, je ne passe pas à l’acte d’achat.
    Cependant ma moitié est beaucoup plus prompte aussi !
    Elle m’a expliqué le jeu de mot du tsundoku de la même manière, avant que j’en sois arrivé à votre explication.
    Elle a plus de 100 livres en attente sur Amazon aussi, mais les finances, heureusement réfreinent ses vélléités ! Et comme la dernière fois qu’on a cassé une étagère par excès de livres (livres en double-file, si bien qu’on ne voit pas ceux de derrière), l’espace aussi contribue à calmer.

    Mais c’est compter sans son aspect « tsunnooto ». Elle achète beaucoup plus de cahiers (kawaii) qu’elle ne peut en gratter. Du coup, j’ai des cartons pleins de cahiers vierges !!!
    Du sol au plafond. Pas mal aussi ça ^^
    Le problème c’est quand je dois les dépiler, pour choisir un cahier du carton tout en bas ….. !!!

    • ameliemarieintokyo

      Merci de votre témoignage ! Je crois qu’il y a un parallèle à creuser entre tsundoku et tsunooto car… Mon mari, si je le laissais faire, achèterait des cahiers à chaque fois qu’il entre dans une papeterie ! Ça et des stylos neufs alors qu’on en a une boite entière, à prendre la poussière. Je vois tout à fait le genre d’étagère et il faut le faire pour en casser une !

  • Christine

    Je me reconnais très bien dans cet article! Je souffre exactement du même mal que ton mari! J’ai commencé à cause du russe aussi et par une « collection » d’œuvres littéraires classiques d’auteurs russes….et maintenant je cherche à constituer une petite bibliothèque de livres d’auteurs japonais et chinois, c’est sans fin et je n’aurai sans doute pas le temps de tout lire et bien sûr si je trouve la version originale + la version traduite, j’achète les deux!
    S’ajoutent à ça des centres d’intérêt très variés et je me retrouve avec des livres sur les techniques de l’aquarelle, le yoga pour les nuls ou encore les normes comptables internationales….et comme ton mari, j’ai cette soif d’apprendre, surtout des langues étrangères donc j’accumule méthodes et dico, heureusement beaucoup au format pdf!
    Je me dis toujours que j’aurai de quoi faire à ma retraite!

    • ameliemarieintokyo

      Merci de ton commentaire. Je trouve la démarche fantastique – nous avons aussi les mêmes livres en plusieurs langues (français, japonais pour la plupart, mais aussi du russe !). Cette soif d’apprendre tout du long de sa vie est vraiment précieuse.

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