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Tokyo, art et design : Bunny Smash, design to touch the world

Bunny Smash, design to touch the world,

« ways to actively engage with the world ».

Exposition du Musée des Arts Contemporains de Tokyo (MOT)

3 Octobre 2013 – 19 Janvier 2014

Le gouvernement métropolitain de Tokyo et la Fondation Métropolitaine de Tokyo pour l’histoire et la culture ont mis en place le « Projet Création Culture Tokyo »[1], visant à faire de la capitale nipponne un centre de la créativité culturelle. Dans son segment Tokyo Art Meeting, nous découvrons des expérimentations aux croisements de multiples modes d’expression.

Cette année, la 4ème manifestation mise en place, « Bunny Smash, design to touch the world » est une exposition ayant pour thème « l’Art et le Design », mettant l’accent sur la façon dont les expressions de l’art contemporain et du design peuvent s’inspirer mutuellement et inspirer la société, avec en parallèle des forums de rencontres et débats entre créateurs.

Organisée par Yuko Hasegawa et Hiroshi Kashiwagi, la direction Design a été assurée par Taku Satoh.

La complexification de la société au XXIe siècle (globalisation, modes de vie, culture…), combinée à la propagation des technologies du numérique, offre au design de nouvelles perspectives et questionnements. Mais de quel design est-il question ?

Sous l’angle de nouvelles approches de l’information et de l’environnement (rapports entre perception, fonctions et formes) pour mieux comprendre la société contemporaine, Bunny Smash explore les technologies issues du numérique à travers la pratique du design au sens artistique mais aussi de propositions qui pourraient engendrer de nouveaux produits et services.

21 groupes d’artistes, d’architectes et de designers du monde entier  interrogent les phénomènes relatifs à la saturation de l’information, sous la forme d’un design concret, tangible, nous invitant à être des participants actifs.

Loin d’être innocent, le titre de l’exposition fait une analogie entre cette « expérience révélatrice » et l’entrée d’Alice dans un monde nouveau et étrange, à la poursuite de ce lapin blanc, « figure symbolique » fracassant les « perspectives logiques et les conceptions »[2]. Tels des Alice, nous sommes invités par un lapin à entrer dans un royaume décalé, expérience renversant nos perspectives et nos idées pré-conçues.

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Entrée de l’exposition

Penser et expérimenter de nouveaux rapports à notre environnement

La présentation de la Seattle Central Library[3] est un témoignage du travail de l’Office for Metropolitan Architecture sur l’évolution du langage architectural face à un espace, non plus envisagé comme permanent mais transitoire et qui doit donc s’adapter à de nouveaux usages. Dans la conception de cette bibliothèque pour tous, ce sont les besoins des usagers qui ont dicté la forme du bâtiment. Le design innovant de ce chef d’œuvre architectural suscite des réactions passionnantes et passionnées !

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Seattle Central library

Learn from 1000 years. Return to live. Do not forget[4]présente au visiteur une vision de ce que donnerait une ville futuriste associant architecture moderne et traditionnelle du Japon.

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Return to live, do not forget

Cette réflexion est née après les évènements du Tsunami de mars 2011, remettant en cause les structures modernes incapables de faire face aux catastrophes naturelles. Les structures du passé, protectrices, semblent de nouveau dignes d’intérêt. S’inspirant du Château Himeji, Yoshiharu Tsukamoto et Momoyo Kaijima, membres de l’Atelier Bow-Wow, sont persuadés que la reconstruction de la zone dévastée de Fukushima doit s’inspirer de l’ancien. La question « pourquoi notre ville est-elle différente des autres villes[5] »  doit maintenir une mémoire de l’avant tsunami. Les catastrophes naturelles qui secouent l’humanité imposent aux concepteurs, ingénieurs, architectes et designers, de prendre en considération l’environnement dans leur activité création.

Ce rapport de la création à l’environnement se retrouve dans Lost Garden[6], où l’artiste joue avec le regard du visiteur, faisant de l’espace quotidien une nouvelle expérience, à partir de laquelle on est amené à réfléchir à la position paradoxale de la société à l’égard de la nature, qu’elle contrôle et protège à la fois.

Mais l’expérience la plus saisissante, sans doute celle qui marque le plus le visiteur, et pour laquelle il faut d’ailleurs patienter dans une file d’attente conséquente, est l’oeuvre de Richard Wilson, Gently Inverted World. Un espace dont on ne peut occuper que le mince couloir métallique, est rempli d’une eau sombre, reflétant sans une ride le plafond et les fenêtres. La réalité de l’espace fusionne dans son reflet au point que l’on se sent non pas entouré d’eau, mais d’un vide vertigineux. Le propos de l’artiste nous invite à poser nos propres règles d’interaction avec ce qui nous entoure. Le design peut-il bouleverser la perception que l’on a du monde ?

Comme un début de réponse à ce questionnement, les photomontages de Tsunehisa Kimura suscitent un malaise, présentant des constructions irréelles, dans une réflexion sur les structures sociales devenues invisibles mais amenant aussi dans l’exposition, une réflexion sur le travail manuel à l’heure du design virtuel. Le virtuel change-t-il notre manière de construire notre intuition ?

La métaphore du lapin penseur

Log Lady & Dirty Bunny[7] de Marnie Weber est la sculpture sombre et poétique d’un lapin penseur, sale, assis sur un tronc. Il s’agit d’une femme pétrifiée en bois. La vision proposée à partir de ce conte, à la fois tragique et comique, ne peut laisser le spectateur indifférent. La suite de l’exposition en témoigne notamment avec les deux installations de Revital Cohen et Tuur Van Balen. Elles nous interpellent sur la nature des appareils médicaux et les conséquences psychologiques de connecter des humains à des ordinateurs.

Les appareils établissant une relation symbiotique entre un animal et un humain,  présentent une vision nouvelle – voir dérangeante, de l’animal assistant. Avec Alexandra Daisy Ginsberg et Sascha Pohflepp, Growth Assembly, E. Chromi, la vision se déplace de l’animal à la biologie – les plantes et les bactéries, et sur le potentiel futur de leurs usages. Cet art vraisemblable, presque prophétique, augure-t-il des évolutions futures d’un design pluridisciplinaire englobant le vivant dans la création de projet, à moins que la porte ne soit déjà ouverte.

Un travail de Burak Arikan[8] sur le tourisme et la variété des images associées, à travers les publicités télévisées et autres messages expriment la course aux consommateurs. La diffusion d’une vidéo déconstruisant ces mêmes publicités en un clip unique permet, par le biais d’une carte réseau mettant en évidence un certain nombre de mécanismes sous-jacents, de s’interroger sur le concept même de vacances. L’usage de ce système de carte créée à partir de la mise en relation de données se retrouve dans la démarche de Bureau d’Études[9], dans son analyse de l’organisation du contrôle dans le monde. En mettant en lien des structures, on quitte le domaine inatteignable de l’abstraction pour rendre visible une architecture globale du monde. En rendant compréhensible le monde, on donne aux individus la possibilité d’agir.

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Tourisme, Burak Arikan

Une vidéo de Fernando Sanchez Castillo, Pegasus Dance[10], évoque le rapport entre le pouvoir et la propagande, et dans le cas présent, le rôle des forces de l’ordre. Des véhicules militaires – terrestres et maritimes – sont présentés dans une danse quasi-comique, avec en fond sonore, une valse.

Qu’est-ce que l’image, en quoi la surveillance a-t-elle changé notre perception de celle-ci ? CCTV social[11], un film à propos des CCTV installées en Grande Bretagne permet au spectateur de suivre un groupe dans un centre commercial à Manchester, suivant les CCTV existantes, une par une. Le spectateur peut ensuite entrer dans la salle de contrôle de ces mêmes caméras et discuter avec les opérateurs des questions relatives au voyeurisme, au profiling…

Ces installations engagées de l’exposition interpellent le design en tant qu’activité créatrice ayant pour but l’amélioration de la qualité de vie des êtres humains. Le design a-t-il aussi pour fonction clef de permettre aux hommes d’accéder à une meilleure compréhension du monde ?

De l’immatériel au tangible

Le développement de nouvelles technologies met à notre disposition, à un rythme de plus en plus rapide, de nouveaux outils qui bouleversent notre relation au réel, dont l’aboutissement bouleverse notre relation à la réalité. Cela induit de nouveaux usages, de nouvelles possibilités qui sollicitent le design en permanence…

 
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inTouch

inTouch : Ghostly Presence[12], objet appartenant au projet Tangible Bits[13], a pout but de permettre la présence physique non plus à travers un écran mais par une surface donnant à l’utilisateur la sensation de la présence. Les deux objets en bois permettent à deux personnes qui les touchent simultanément de sentir concrètement la présence de l’autre.

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Tangible Earth


Tangible Earth[14]
, de Shinichi Takemura et Earth Literacy Program, globe terrestre à la taille conséquente, offre une surface interactive, dont l’interrogation porte sur la définition des rapports entre l’individu, l’humanité et la Terre. Le monde ne doit plus être étudié à travers une carte statique, mais à travers une observation active… Accompagné d’un panneau de contrôle, le visiteur en pressant tel ou tel bouton, provoque des réactions sur la surface mobile de ce globe : tsunami, température terrestre… L’information est transmise via cette surface, ne laissant pas indifférent, au vu des curieux qui s’exclament et touchent la surface de manière hésitante.

L’expérimentation ludique

Rendre visible et audible le monde de la finance, tel était l’objectif de Traders[15], travail numérique et visuel impressionnant du groupe de créateurs Rhizomatiks[16]. La projection visuelle des échanges de la Bourse de Tokyo en temps réel est saisissante et il est possible d’interagir avec celle-ci à travers un Ipad – choix d’outil qui n’est sans doute pas anodin, sur lequel on choisit telle ou telle entreprise du marché boursier.

Les achats et ventes sont transformés en images et sons. Lorsque la bourse est fermée, les données enregistrées sont rejouées. L’idée ici est non seulement de permettre une meilleure compréhension des données, mais d’en permettre l’usage et de participer au marché boursier à travers l’utilisation d’application, notamment pour smartphone. L’Ipad est l’outil test qui permet de devenir acteur de la bourse. On est face à une création artistique qui se tient dans l’entre-deux, entre art et design, entre œuvre et produit.

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Traders, Rizhomatics

L’odorat ne se contrôle pas. On est toujours confronté aux odeurs, particulièrement liées aux espaces (ville, nature, station d’essence, building … ). Comprendre la force de l’odorat, c’est pouvoir en faire un système de communication. Associant l’odeur à l’expérience, l’installation de Sissel Tolaas Smellscape_Tokyo invite le visiteur à renifler des fioles et flacons mystérieux et à en retrouver le nom à l’autre bout de la pièce, sur une charte. Les odeurs sont tour à tour suaves, infectes, surprenantes, fades… Mais pas si faciles à étiqueter.

Après les fioles, et une carte de la ville, les murs eux-mêmes sont des invitations au nez qui s’y colle, à la recherche des odeurs familières de la rue. Peut-on apprendre les odeurs comme on apprend un alphabet ? Peut-on réaliser à quel point elles nous entourent comme autant de repères ? Et plus important encore, quelles seront les conséquences de cette perspective pour le design de demain ?

The Moonwalk Machine, Selena’s step (2013) Sputniko ![17] est une installation sympathique et musicale, très entrainante, dans une pièce en partie occupée par du sable, parfaite imitation du sol lunaire – du moins tel qu’on se le représente. Un clip musical est diffusé, montrant une jeune fille dont le rêve est de marcher en talons hauts sur la lune. L’exploration de l’espace n’est plus une initiative d’Etat et alors que la NASA ferme son programme concernant la lune, les initiatives privées fleurissent grâce aux ressources de l’internet.

Initier le débat

Brinco[18], c’est une paire de tennis à première vue banale. Il s’agit de la création de Judi Werthein, qui à travers cet objet de la vie quotidienne, suscite un débat qui dépasse de loin les frontières artistiques. Défiant les critiques contre l’immigration, l’artiste argentine conçoit un modèle de chaussures comme aide à la traversée dangereuse de la bordure Mexicaine vers les Etats-Unis. Ces chaussures sont dotées de boussoles, carte de la frontière sur la semelle, lampe, compartiments pour de la monnaie ou des médicaments. Données gratuitement côté Mexicain, elles sont vendues à 250 $ côté américain.

Yosuke Ushigome s’est intéressé aux conflits qui minent le monde. Dans l’optique de créer un débat sur la manière dont les guerres sont créées et consommées, il a créé des Commoditised Warefare [19], imitation de jouet pour enfants, avec tous les outils qui entourent ces produits : emballages type jeux, slogans, publicités télévisuelles.

Ces installations sont-elles des appels pour un design engagé, un design ayant un devoir politique, voir philosophique envers l’humanité ?

Dans un autre registre, Mikael Metthey avec son Pox Teddy[20] travaille sur la vision que la société a des virus et des maladies en général. Pox Teddy est un petit ourson mais aussi un outil médical permettant de vacciner les enfants de manière indolore contre la varicelle. Destinés aussi aux parents, cet outil se veut une nouvelle voie dans les discussions relatives à la vaccination (pour / contre). Changer les regards sur la maladie et leur transmission, changer les regards sur l’acte de vaccination.

Au delà des appels à la réflexion tant du public que des professionnels, Bunny Smash fut une exposition passionnante, interactive, pleine d’idées pour un futur meilleur.

MUSEUM OF CONTEMPORARY ART TOKYO
4-1-1 Miyoshi, Koto-ku, Tokyo, 135-0022, JAPAN
TEL: +81-3-5245-4111 (General Information) / +81-3-5405-8686 (Hello Dial)

[1]http://www.bh-project.jp/en/about/tabid/183/Default.aspx

[2]An analogy can be drawn between the eye-opening experience of seeing the world differently and Alice stepping into a parallel universe while chasing the White Rabbit in Alice’s Adventures in Wonderland. The White Rabbit encourages us to delve into the new realm of Wonderland; he is the symbolic figure who “smashes up” logical perspectives and conventions. The exhibition title “BUNNY SMASH” connotes this sort of invitation to the world through a different gateway. http://www.mot-art-museum.jp/eng/2013/usagi_smash/

[3] OMA*AMO, 1999 – 2004, plan et maquette

[4] Dessin, Tsukamoto Laboratory, Tokyo Institute of Technology : partenariat de l’Atelir Bow Wow (http://www.bow-wow.jp) et Tsukuba University

[5] « Why is our city shaped differently from other cities », Exhibition Catalogue, p. 46

[6] Leandro Erlich, 2009

[7] 2009, http://www.fiac.com/artists/weber-3851?lg=en

[8] Monovation, 2013

[9] ME, 2009 – 2013 ; The World Government, 2013 ; Crisis, 2004,

http://bureaudetudes.org

[10] 2007, http://www.youtube.com/watch?v=CIiMx8uxpVE

[11] 2008, CAMP, en libre accès http://www.camputer.org/event.php?id=24

[12] 1998 – 2013, Hiroshi Ishii, Tangible Media Group / MIT Media Lab

[13] http://tangible.media.mit.edu/project/tangible-bits/

[14] 2005, http://www.tangible-earth.com/en/

[15]http://www.youtube.com/watch?v=CkmKVVzgdNE

[16] Fondé en 2006, http://rhizomatiks.com

[17] 2013, http://sputniko.com

[18] 2005, http://balkansproject.ips-dc.org/?page_id=145

[19] Commoditised Warefare # 03 : Falklands War, 2013 ; # 02 : India – Pakistan Conflict, 2013 ;  # 01 : East Asia Dispute, 2013 http://www.ushi.ws/projects/commoditised-warfare/

[20] 2007, http://www.wired.com/gadgetlab/2008/09/pox-teddy-conce/

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