Un point sur la place de la femme au Japon
- Amélie Marie
- 23 avril 2014
- Société et Culture Japonaise
Au Japon, il semble que le féminisme soit devenu particulièrement actif vers la fin du 19ème siècle. Cependant, la Seconde Guerre Mondiale met le mouvement des femmes pour une place égale dans la société entre parenthèse. L’intérêt de la nation prévaut alors sur les luttes sociales.
Aujourd’hui, la société japonaise continue de tendre vers l’image de la bonne épouse et de la sage mère. Une image à laquelle les jeunes japonaises n’adhèrent plus forcément.
Historiquement, la place de la femme au Japon s’inscrit dans une hiérarchie sociale forte.
Le rôle de la femme au Japon, s’inscrit dans la structure d’une société traditionnelle fortement hiérarchisée, où la présence des femmes reste mineure dans les grands secteurs professionnels, sans parler du politique.
Ils ont beau s’écharper, si une chose devait unir l’Asie ce serait bien une vision rétrograde de la femme. Que cela soit en Chine, en Corée ou au Japon, lorsqu’une femme obtient un rôle fort, présidence, PDG d’une entreprise, il est dit que le pays ou l’entreprise, risque de s’écrouler (sic).
Cette situation n’exclut pas d’office que la femme n’ait pas de pouvoir. Mais celui-ci est au sein de la maison. En Asie, le travail domestique (l’entretien de la « maison ») est ainsi une force que les japonaises perçoivent comme encore fondamentale pour la société, que celui-ci concerne l’homme ou la femme.
Encore aujourd’hui, il est dur pour femme au Japon de mener de front carrière professionnelle et vie de famille.
Malgré les incitations politiques, avec notamment en 1992 une loi permettant aux pères de prendre un congé parental, le schéma courant reste la femme au foyer et le père salaryman. Les employeurs japonais s’attendent à ce qu’une femme, une fois mariée, souhaite arrêter de travailler pour s’occuper du foyer et des futurs enfants. Cette vision de la femme est un frein non seulement à l’embauche, mais aussi pour les promotions et la grille de salaire.
Quant aux hommes qui souhaiteraient arrêter de travailler pour s’occuper des enfants, ils s’exposent à un jugement sévère de la société japonaise. Ils sont surnommés les « iku men ». Ce fut le cas pour mon beau-père, lorsque profitant d’une période de chômage, il opta pour passer plus de temps à élever ses enfants. Il tenait la maison pendant que ma belle-mère travaillait comme professeur d’anglais au collège. Ce statut familial très atypique à l’époque, a valu à mon mari d’être moqué par ses camarades, mais aussi ses professeurs, qui lui reprochaient une mauvaise « éducation ». Les remarques mesquines sont aussi venues de parents d’élèves à la sortie des classes.
Mon mari garde une dent contre cette société qui l’a rejeté depuis son plus jeune âge, parce que sa famille a osé prendre un chemin différent. À tel point qu’il ne souhaite pas que ses enfants aillent à l’école japonaise.
Les femmes aspirent à l’indépendance.
Les japonaises sont de plus en plus nombreuses à faire des études longues, malgré les difficultés qu’elles rencontrent. Car la discrimination débute dès l’école et se cristallise lors des concours d’entrée à l’université. Aussi, le diplôme en poche et le premier boulot décroché, n’ont-elles pas envie de lâcher leur indépendance pour devenir femme au foyer. Ce phénomène touche toutes les classes sociales, même les moins aisées.
Face à la possibilité d’une carrière, les femmes tournent le dos à cette société ultra patriarcale, plus nombreuses que jamais à refuser de rentrer dans les schémas traditionnels. C’est l’un des facteurs expliquant la chute des mariages au Japon.
Les femmes célibataires, si elles sont mal vues de la société (« elles sont gâtées »), sont en augmentation. Cependant, les hommes japonais aussi dédaignent la vie amoureuse, ce pour de multiples raisons.
C’est d’une part la part grandissante des jeunes adultes surnommés les célibataires parasites par le sociologue Masahiro Yamada. Pendant de notre Tanguy nationale, ce modèle de japonais vit plus longtemps chez ses parents tout en travaillant, dépensant ses revenus principalement en loisir. Il refuse de prendre le rôle que la société attend de lui, à savoir se marier, avoir des enfants et subvenir à une vie de famille.
Ces tendances expliquent la chute vertigineuse de la natalité au Japon, et un vieillissement de la population que le gouvernement n’arrive pas à enrayer.
La politique d’Abe Shinzo et ses supporters : un paradoxe.
En janvier 2014, le mouvement des femmes contre la guerre organisait une rencontre initiée par Mizuho Fukushima, une dirigeante du parti social démocrate. Lors de cette rencontre, beaucoup de sujets ont été abordés en lien avec la condition de la femme au Japon : pauvreté, la loi du Secret d’Etat etc …
À cette occasion, a été entendue une supportrice du premier ministre japonais leader du parti libéral démocrate (PLD), Michiko Hasegawa. Elle est membre de la direction de la chaine télévisée NHK, supposée garder une neutralité politique (bien que récemment son association avec la droite dure du Japon et le PLD a été clairement affichée) et professeur à l’Université de Saitama.
« Une des politiques du Premier ministre est l’avancée sociale des femmes« , avance-t-elle, « je ne reconnais pas le Shinzo Abe que vous présentez« .
Elle fait ici référence à la mesure politique « 2030 » d’Abe Shinzo. Elle signifie qu’avant 2020, 30% des postes à haute responsabilité devront être occupés par des femmes. Afin d’y parvenir, l’État évoque des mesures telles que « zéro enfant en attente de crèche », « 3 ans de congés maternité avec retour sans pénalité ». Afin d’allier le geste à la parole, il a choisi une femme pour premier secrétaire, poste jusqu’alors occupé uniquement par des hommes (1er cas historique).
Malgré ces avancées, mises en place ou annoncées, l’opinion reste suspicieuse en raison des supporters du premier ministre et de leur opinion sur la place de la femme au Japon.
En premier lieu, Masuzoe, soutenu par le LDP pour les dernières élections à la gouvernance de Tokyo, en février dernier :
« Les femmes en sont pas normales pendant leurs règles, elles sont anormales. Elles ne peuvent prendre des décisions sur des sujets importants tels que la politique nationale. Les politiciens doivent travailler 24 heures par jour, vous ne savez pas quand vous avez à prendre des décisions. C’est un problème que les règles soient tous les mois. » (1989)
Alors que la participation des femmes en politique et dans l’économie japonaise s’accroit, « est-il judicieux pour le parti libéral démocratique (majorité au parlement) de soutenir cette personnalité » ? (Satoko Onuki, Asahi Shimbun Weekly Aera, 2014.2.24).
Michiko Hasegawa a aussi rédigé une tribune dans la presse intitulée « Comment contrôler l’accroissement de la population à travers la normalité« .
Selon cette personnalité influente, la chute démographique du Japon est la conséquence du changement progressif de la place des femmes dans la société, suite à la loi sur l’égalité des hommes et des femmes. Elle renvoie les femmes à leur fonction procréatrice, qu’elle juge courte : « si la femme travaille, alors qu’elle pourrait porter un enfant, bien sûr la natalité chute« . En clair, les hommes doivent travailler, les femmes doivent être à la maison. Si cette « normalité » revenait, alors la démographie prendrait un coup de fouet.
Une spécialiste des problématiques liées au travail, professeur de l’Université Wako, Mieko Takenobu maintient au contraire que « plus la société est inégalitaire, plus elle tend à être une société vieillissante« . Récemment les entreprises emploient de plus en plus d’employés non réguliers, dont le coût est inférieur. Aucune surprise, 90 % des femmes font partie de ces employés, et ne pourront pas alors obtenir un travail régulier.
La famille modèle envisagée par Hasegawa est impossible et ne colle pas à la réalité.
À lire (anglais) What has change with the emergence of female politicians
À lire (anglais) Has the Equal Employment Opportunity law protected women workers ?
Malheureusement le schéma « homme au travail, femme au foyer » est majoritaire au sein du PLD.
En 2006, dans le premier cabinet d’Abe Shinzo, une des orientations politiques était la renaissance de l’éducation qui a donné lieu à un certain nombre de conférences. Une participante, Ayako Sogano, membre du parti et écrivaine, écrivit alors un article « Aux travailleuses blâmant l’entreprise pour le harcèlement sexuel, le harcèlement au travail et le harcèlement à la maternité« , dans lequel elle évoque que les congés maternités sont ennuyeux pour l’entreprise et qu’il appartient aux parents d’élever leurs enfants plutôt que de les mettre en crèche. Le blâme est renvoyé aux femmes qui travaillent.
Que pense réellement le gouvernement d’Abe Shinzo : femme nourrice ou femme travailleuse ? Plus simplement, le cabinet s’interroge fondamentalement sur la manière dont les femmes peuvent contribuer au pays (Satoko Onuki, Asahi Shimbun Weekly Aera, 2014.2.24).
« Rien n’a changé depuis le premier cabinet d’Abe Shinzo. Il a rendu les conversations sur les règles de la succession impériale creuses. Pour lui le plus important est de maintenir l’ordre national à travers la conservation des structures comme la cellule familiale. » Kitahara Minori
La problématique ne s’arrête donc pas à la femme mais à toute la famille, touchant à la question des travailleurs mutés, des enfants nés hors mariage. Ainsi la loi accordant à ces derniers part d’héritage fut considérée comme contraire à la constitution par la Cour Suprême. Certains membres du PLD considérait qu’elle menaçait le système familial.
Les supporters d’Abe, palmarès des remarques sur la femme au Japon.
Ministre de la réforme administrative, Tomomi Inada (f): « l’infidélité des femmes est illégale », 2007.
Sanae Takaichi, présidente du Conseil en recherches en politique du PLD (f): « je suis contre la séparation des noms dans le couple marié. La stabilité du nom de famille des enfants pourrait être remise en cause par la loi de séparation des noms de famille » (2004). Ce projet de loi n’a finalement pas été enregistré.
Shintaro Ichihara, ancien gouverneur de Tokyo (h): « Ce que la civilisation a apporté de pire, et la plus dommageable, sont les vieilles femmes » (2001).
Yoshiro Mori, ancien premier ministre (h): « Les femmes qui ne font même pas un enfant, profite de leur liberté et vieillissent sur les taxes de l’État, sont ridicules » (2003).
Kin Mirei (f): « C’est un fait que le nombre des femmes qui n’insistent que sur leurs droits est en hausse » (2013).
Michiko Hasegawa (f): « Le rôle des genres est naturel pour l’homme, qui est un mammifère. La grossesse, la naissance et l’éducation des enfants sont lourds pour la femme. Il est rationnel que subvenir à la famille soit le rôle de l’homme. Le gouvernement interfère avec la vie des individus. Il doit changer sa direction » (2014).
Noriko Mizuno, professeur de l’Université du Tohoku, membre de l’équipe travaillant sur les lois de succession (f): « En se mariant, se construit une relation dans laquelle le mari soutient l’épouse et les enfants. Il est raisonnable que la part successorale des enfants du couple soit supérieure à celle des enfants naturels » (2013).
Ayako Sogano: « Lorsqu’elles ont un enfant, les femmes devraient démissionner. Après avoir élevé leurs enfants, elles peuvent retrouver un travail » (2013).
Kosuke Yoshiie, membre de la Chambre des Représentants (h): « L’avancée des femmes dans la société ne signifie pas qu’elles ne doivent pas faire leurs devoirs en tant que mère. Mettre les enfants dans des crèches est un abus » (2014).
Pour aller plus loin (anglais) :
- « Echos d’un vieux débat sur le féminisme et l’individualité« , Shaun O’Dwyer, Japan New York Times, 2013
- « Evolution of the Feminist Movement in Japan« , Michiko Matsui, 1990
Vivre et survivre au blues de l'expatriation au Japon | Amelie Marie In Tokyo
[…] pas de perfection. J’ai parlé de cette société japonaise qui n’est pas plus mirobolante qu’une autre dès qu’il s’agit de la place de la femme ou des discriminations […]
Bigot H.
Bonjour Amélie Marie,
Je suis une jeune réalisatrice pour la télévision franco-allemande Arte. Je souhaite actuellement propose un film sur le sujet de la dénatalité au Japon, et c’est au cours de mes recherches à ce sujet que je suis tombée sur ton blog. Je trouve ton article très intéressant, et je suis justement à la recherche de témoignages d’hommes et de femmes japonais ou japonisants.
Serait-il possible de converser par e-mail ? Je serais heureuse de pouvoir lire tes conseils et avis.
Je suppose que mon e-mail s’est affiché automatiquement dans le message, du moins je l’espère ?
Merci beaucoup d’avance et au plaisir, bravo pour ton blog !
Hélène B.
France Japon, culture de management et couple mixte | Le Japon par la lorgnette
[…] délicat (pour ne pas dire la patate chaud du concept de différence culturelle …). La femme au Japon se doit d’ailleurs, d’être mesurée dans la prise de parole, cela ne signifie pas […]
liochandayo
Hélas !
Et cela n’évoluera pas si vite…
J’en connais, des femmes japonaises indépendantes, souhaitant travailler, ne voulant pas jeter à la poubelle les longues études qu’elles ont faites…
Elle vivent en France.