Burakumin

La discrimination des burakumin dans la société japonaise

Aujourd’hui encore, des minorités japonaises souffrent de discrimination. Parmi celles-ci se comptent les burakumin. Aussi appelés buraku (buraku people en anglais), ce sont les descendants des castes de parias de l’époque féodale, l’Ère Edo.

Burakumin

Hiérarchie sociale à l’ère féodale.

Les burakumin, une discrimination née des croyances

Selon les croyances shintoïstes (shintô, religion dite nationale) et bouddhistes (religion importée d’Inde et de Chine), les activités liées au sang et à la mort sont considérées comme souillées. Impures, certes, mais nécessaires, ces professions donnent lieu à deux castes d’intouchables, à la bordure de l’humanité.

La première est celle des hinin, les « non-humains » (非人). Ce sont les marginaux, les mendiants, les gens du spectacle… Ou encore les croque-morts. Aujourd’hui encore, cette profession est considérée comme dégoutante. Le film Okuribito de Yōjirō Takita traite du sujet avec une grande poésie. Malgré le tabou de la mort au Japon, le film a été très bien accueilli par le public. Signe peut-être d’un changement.

Deuxièmement il existe la caste des eta, littéralement « pleins de souillures » (穢多). Ce sont les parias dits héréditaires. Ils détiennent alors le « monopole » des métiers liés à la mort des animaux (boucher, tanneur… ).

Burakumin

« Les burakumin débarrassaient les cadavres de personnes tombées malades et mortes dans la rue. Ils plantaient les têtes décapitées des criminels en public et les gardaient. Enfin, ils étaient responsables des carcasses des vaches. »

À l’époque féodale, les règles imposées aux burakumin les excluent de la société. Ils se voient imposer « l’interdiction de manger, de boire et de rester en ville à la nuit tombée » et doivent par exemple « quitter la route lorsqu’ils croisent des citoyens« . 

Néanmoins, au XIXè siècle (en 1871 pour être précis), le système des castes est enfin aboli. Les parias deviennent, après inscription à l’état civil, de nouveaux citoyens. 

Malheureusement, la citoyenneté ne libère pas du poids de sa lignée ancestrale.

En effet, celle-ci est identifiable à travers les idéogrammes des noms de famille. Ainsi, buraku est un terme qui désigne un lieu dont une partie des résidents ont des liens de près ou de loin avec les parias de l’ère Edo. Cependant il désigne aussi les communautés exerçant des professions encore perçues comme dégradantes. C’est par exemple le cas des chasseurs de dauphin.

Si officiellement le nombre de burakumin tourne autour de 1,2 millions de personnes, officieusement, ils seraient plus de 3 millions dispersés dans les ghettos des grandes villes, principalement de l’ouest du Japon.

Un rapport de 1993 (…) a dénombré plus de 4 533 communautés de buraku : dōwa chiku (« zones d’assimilation »), officiellement recensées pour des projets d’intégration (…). On y dénombre 298 385 ménages pour un total de 892 751 résidants. La taille de chaque communauté varie de moins de 5 ménages à plus de 1 000, avec 155 ménages de taille moyenne. Environ les trois quarts sont localisés dans des secteurs ruraux.

On reste là néanmoins dans l’inexactitude. Les chiffres datent et sont basés sur les subventions du gouvernement. Celles-ci ne sont pas demandées systématiquement. Certains « préférant rester dans la difficulté financière afin de ne pas déclarer publiquement qu’ils sont burakumin, car il vaut mieux être l’égal d’un pauvre Japonais qu’un burakumin aidé ».

La question des aides financières pour les burakumin s’avère problématique.

Aux yeux des japonais, c’est un traitement spécial et injuste accordé à une communauté de criminels, dont la discrimination historique appartiendrait… au passé. Les statistiques montrent en effet qu’une partie des membres de cette minorité est affiliée aux syndicats mafieux, les yakuzas. Les généralisations sont rapides. Les burakumin sont des voleurs, de potentiels agresseurs, voir pire.
À Hachioji, ville appartenant à la préfecture de Tokyo dont est originaire mon mari, lorsque la mairie a voulu construire une nouvelle école dans un quartier où vivait une petite communauté de buraku, le tollé des parents et l’indignation générale mit fin au projet. Raison ? Le simple fait d’envoyer ses enfants dans les parages les souillerait.
Des mouvements se sont créés pour permettre à cette minorité de lutter, mais malgré des efforts financiers et politiques, les discriminations perdurent, en particulier dans le sud du Japon.

La question des burakumins est tabou.

Ne serait-ce qu’évoquer le sujet légèrement avec un interlocuteur japonais conduit à un silence cordial mais suffisamment glacial pour comprendre qu’il s’agit d’un impair grave. Les médias japonais, dont on doute de la qualité (manipulations, censure et bashing) ne mentionnent que très rarement les problèmes de cette minorité. D’ailleurs, au Japon, tant qu’on ne l’évoque pas, un problème n’existe pas.  « Les burakumin, comme ascendance, c’est pire que Coréen.« 

Les discriminations n’ont pas disparues avec l’abolition des castes.

Les burakumin ont du mal à trouver un emploi.

Réussir à obtenir un poste est très difficile. Beaucoup d’entreprises ont pour consigne de ne pas embaucher une personne s’il y a un doute sur son origine et un lien avec les buraku. Pire, ils sont condamnés à des emplois de forçats, refusés par les autres. Fukushima cristallise la cruauté de cette discrimination. De ce court reportage d’Arte, on retient que les burakus ne sont pas loin de la caste des Intouchables de l’Inde. Sans la liberté de choisir, ils deviennent une main d’oeuvre soumise que l’on envoie pour nettoyer une centrale sans plus d’état d’âmes.

Ainsi, je le rappelle Masuzoe, candidat pro-nucléaire pour la gouvernance de Tokyo (élections tenues en février dernier), a déclaré qu’il n’y avait pas eu de morts résultant des opérations menées à Fukushima. Sans doute ne considère-t-il pas le décès des employés burakus comme étant celui d’êtres humains.

Ils ont aussi du mal à trouver un logement.

Les burakumin se voient refuser l’accès à la location dans bien des quartiers. Résultats ? Une ségrégation dans des ghettos constitués de taudis. Glaçant, même dans la mort, cette minorité est ostracisées. Les cimetières ont des espace à part avec une entrée séparée et des murs de piètre qualité…

burakumin

La séparation est là, flagrante, inutile et insultante, dans ce petit décrochage du mur. Mesquinerie administrative.

Burakumin

Entrée du cimetière, côté burakumin.

Burakumin

Les tombes burakumin, démarquées.

Leur descendant portent le poids de la lignée.

Si les enfants des buraku sont bien sûr dans le système scolaire, la discrimination commence dès l’école primaire. Et les parents chuchotant à leurs bambins de ne pas jouer avec celui-là « qui est sale ». Adulte, il est très difficile pour eux de pouvoir se marier avec un japonais dont la lignée de comprend pas de lien avec la minorité des burakumin.

Une question vous taraude, j’en suis sûre.

Pourquoi ne pas faire table rase de ses origines, fuir, changer de nom ?

Cette tentative a un nom, le « passing », symbole du buraku qui tente de s’intégrer. Malheureusement, les japonais font régulièrement appel à des enquêtes sur les arbres généalogiques pour l’embauche ou un mariage, aboutissant à des annuaires interdits, les chimei sokan, recensant les membres de cette minorité.

Burakumin

Advertisement for Genealogical Tracing. The investigative services advertised here include « confirmation of nationality and family registration, including matrimonial history, » which practically targets Koreans and burakumin. Japan Law Journal 6, no. 2 (1993)

L’image ci-dessus date un peu mais est très symbolique. Il s’agit d’une petite annonce d’une entreprise spécialisée dans le traçage généalogique. Les services incluent la confirmation de votre nationalité, la vérification de votre registre familial (livret de famille) ainsi que l’histoire matrimoniale de votre famille. Cela vise, certes indirectement, les descendants des Coréens et les burakumin.

Si vous souhaitez allez plus loin sur le sujet des burakumin, voici quelques références à consulter.

    •  Jean-François Sabouret (dir.), Japon, peuple et civilisation, « La discrimination des Burakumin », p. 28-30
    • La rivière sans pont, fim de Yoichi Higashi (1992)
    • Jean-François Sabouret, L’autre Japon : les Burakumin,  1983
    • Jean-Manuel Traimond, Le Japon mal rasé : voyage chez les anarchistes, les burakumin, les coréens-du-Japon, les uilta, et les autres, 2000

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