Saint-valentin

La Saint-Valentin et le White Day au Japon : amour (un peu) et marketing (beaucoup)

Tout amateur de culture populaire japonaise connaît parfaitement les caractéristiques de la Saint-Valentin et du White Day (« jour blanc ») au Japon. À l’instar des vacances estivales, de Noël, du jour de l’an ou encore de la rentrée scolaire d’avril, ces deux jours font très fréquemment l’objet d’un chapitre de manga ou encore d’épisodes d’animes.

La Saint-Valentin est l’occasion pour les japonaises de déclarer leur flamme à coup de boîtes de chocolat, tandis que le White Day offre aux hommes la possibilité de leur répondre. Accompagnez-moi pour ce modeste décryptage d’un phénomène de société propre au Japon !

Aux origines de la Saint-Valentin japonaise.

Après avoir épluché des pages en anglais, puis en japonais afin de recouper mes informations, je découvre que la tradition apparaitrait dans les années 50 au Japon. Cependant, l’introduction de cette célébration chrétienne au pays du soleil levant fait l’objet d’un âpre débat entre deux chocolatiers, Morozoff et Morinaga. Chacune de ces deux entreprises qui dominent le marché du chocolat prétendent ainsi avoir lancé la mode de la Saint-Valentin, chacune grâce à une campagne publicitaire, Morozoff en 1936, Morinaga en 1958.

L’entreprise Morozoff, fondée à Kobe par une famille russe, aurait intitulé sa campagne de 1936 « donnez un chocolat à votre Valentin ». Quant à Morinaga, réalisant le potentiel économique de cette célébration (telle que pratiquée aux États-Unis), aurait lancé une campagne s’appuyant sur un slogan traduit de l’anglais au japonais.

Ce slogan, « giving chocolates on Valentine’s Day is a way for men to express love to women » (« offrir des chocolats le jour de la Saint-Valentin permet aux hommes d’exprimer leur amour pour les femmes ») fut maladroitement traduit et inversa les rôles avec les femmes offrant des chocolats aux hommes. Bon point en faveur de cette dernière version, le grand magasin Isetan (que l’on peut rapprocher du Printemps à Paris) déclare avoir ouvert son premier stand dédié aux chocolats de la Saint-Valentin en 1958 en partenariat avec Morinaga.

Si je ne suis pas à même de trancher, le scénario Morinaga offre une anecdote rigolote expliquant la tournure qu’a pris la fête des amoureux au Japon.

L’origine du White Day, une tradition propre au Japon.

Fixé au 14 mars, le White Day (ホワイトデー) donne aux hommes la possibilité d’offrir un cadeau en retour des chocolats reçus. S’il s’agit souvent de chocolats, les hommes ont un peu plus de choix avec accessoire de mode, bijoux, vêtements ou épicerie fine, qu’ils réservent pour leurs chères et tendres compagnes (du moment ?).

Cette journée est apparue plus tardivement. En 1978, l’association nationale des fabricants de confiserie (菓子工業協同組合かしこうぎょうきょうどうくみあい) discute de créer un jour pour remercier les femmes un mois après la Saint-Valentin. L’idée étant bien sûr d’améliorer leur vente. Selon  les entreprises, le 14 mars a été présenté sous plusieurs noms : le Jour du Pavot (ポピーデー), le Jour des fleurs (フラワーデー), le Jour des biscuits (クッキーデー) et enfin, le Jour des marshmallows (マシュマロデー).  C’est finalement en 1980, après 2 années d’essai, que les confiseurs se mettent d’accord pour nommer ce jour le White Day, comme le jour « pour offrir des bonbons » (aux femmes). Ils ont bien joué leur carte, car c’est un succès qui s’étend à tout le pays.

D’accord, ces deux célébrations vont de pair… Mais comment exactement se déroule la Saint-Valentin au Japon ?

Comme en France, la Saint-Valentin se déroule le 14 février. Cependant, la ressemblance s’arrête là. Bon, d’accord, le chocolat est aussi au rendez-vous. Et dès le mois de janvier, les magasins mettent en avant leurs confiseries chocolatées du sol au plafond. Le tout accompagné de décorations kitsch et colorées.

Ce sont les femmes qui vident leur porte-monnaie pour offrir des chocolats aux hommes. Aux hommes, pluriel, car en théorie, et nous verrons que la pratique évolue, une femme se doit d’offrir des chocolats à l’homme qu’elle aime, à ses collègues, ses chefs et ses amis… En prime, en théorie encore, c’est d’autant mieux si ces chocolats sont faits maison. Ben voyons !

Si la femme se doit d’offrir des chocolats à toutes les paires de couilles de son entourage, il ne faut pas se méprendre. Seul l’élu de son coeur reçoit des chocolats symbolisant le véritable amour. Les autres peuvent aller se brosser.

Entre amour…

À l’origine, il existait principalement deux catégories de chocolat. Celui que l’on réserve pour l’élu de son coeur est bien nommé le 本命ほんめいチョコ (honmei choco), littéralement « le favori, le premier choix du coeur » et « chocolat ».  Traduit plus poétiquement, on parle de « chocolat du destin ».

Destin oblige, les femmes vont vouloir y mettre tout leur coeur et préparer la petite boite (ou le gâteau, les biscuits …) elles-mêmes. C’est le moment idéal d’acheter un kit de pâtisserie alors mis en vente absolument partout, avec des recettes et les ingrédients astucieusement mis à proximité dans les rayons.

Le 本命チョコ est souvent l’occasion pour les femmes célibataires de déclarer leur flamme. Cette coutume est très bien représentée dans les manga shoujo, ces manga à l’eau de rose pour jeunes filles, qui mettent en scène des amoureuses transies attendant le moment opportun pour offrir en main propre le résultat de leur effort en cuisine. Pour les plus trouillardes, le petit paquet est glissé dans le casier à chaussures du garçon.

… Et obligation sociale !

Vient un second type de chocolat, appelé 義理ぎりチョコ (giri choco). C’est celui que l’on offre à ses amis, ses collègues, son chef… C’est un chocolat de courtoisie, mais ne vous y trompez pas, pendant longtemps, ce fut une obligation sociale pour les femmes. 

Le terme 義理 est très représentatif de la culture japonaise, lourd d’histoire (Kotobank) et à la traduction délicate. Pour faire court, son origine remonte au moyen âge japonais. Il fait référence à la dévotion offerte sans rien en attendre en retour du servant à son maître, des enfants pour les parents etc. . De nos jours, 義理 symbolise l’obligation culturelle de rendre une faveur et on le croise dans un grand nombre de contexte que cela soit personnel ou professionnel. 

Au fil des décennies apparait une variante ちょう義理チョコ (chou giri choco). Le kanji 超 symbolise le « dépassement, trop », ce qui donne « chocolat de super courtoisie ». Il s’agit bien sûr d’une connotation très péjorative. C’est le chocolat que la femme doit offrir par politesse bien qu’elle n’en ait absolument pas envie.

Cette catégorie recouvrait aussi les chocolats que les femmes se devaient d’offrir aux membres masculins de leur famille (père, frère…). Depuis, une catégorie à part est apparue, appelée ファミチョコ (fami choko).

Et depuis les années 2000, ce modèle juteux de la Saint-Valentin créé de toutes pièces par l’industrie du chocolat se casse un peu la figure. Les chocolatiers désespérés voient les femmes dépenser de moins en moins pour la Saint-Valentin.

Et on comprend ! Le coût du chocolat est une réalité bien amère..

En effet, pour les femmes, la Saint-Valentin pèse lourd dans le budget ! Il faut dire qu’au début des années 2000, elles dépensaient entre 150 et 200 euros pour tous ces chocolats… Alors qu’elles sont largement moins bien payées que les hommes (25,7% de moins !). 

Chaque année, dès janvier, la presse lance des sondages auprès des japonaises pour déterminer le budget moyen consacré à cette célébration. Il faut dire que le jour de l’amour compte pour pas moins d’un quart des ventes de chocolat annuelles, soit un marché d’un peu plus d’un milliard de dollars (130 milliards de yen). Gloups !

Après avoir épluché plusieurs articles, je n’y vois pas très clair. Ce qui revient souvent, cependant, c’est que désormais, les femmes payent 500 à 1000 yen (4 à 8 euros) en moyenne par chocolat de courtoisie et entre 1000 à 3000 yen (16 à 24) pour la boite de chocolat offerte à l’amoureux.

En 2019, près de 80% des femmes ont déclaré qu’elles achèteront des chocolats pour la Saint-Valentin avec un budget moyen de 3400 yen (27 euros) soit largement moins que dans les années 90. Rien que par rapport à 2018, le journal Yomiuri annonce ainsi une baisse de 6% du marché. Oups. Et en 2019, le marché a encore reculé de 3%. Pendant longtemps, la Saint Valentin a caracolé en tête des ventes de douceurs sucrées, mais Halloween est proche de prendre la première place. 

Vers la disparition du chocolat de courtoisie au travail ?

Alors que la Saint-Valentin prend du plomb dans l’aile, une enquête de 2006 marque les esprits. Cette dernière révèle que 70% des femmes célibataires de 20/30 ans, ayant un emploi, se fichent de cette tradition. Côté hommes, ils sont 50% à se dire qu’ils s’en passeraient bien. S’ils n’achètent pas de chocolats pour le 14 février, rendre la pareille en mars est un casse-tête.

Ce qui transparaît à l’époque est que cette tradition montée de toute pièce par les fabricants de chocolat pèse sur tout le monde. Rien de pire pour les japonais que de se sentir dans l’obligation d’offrir sans être certain de savoir à qui ou de la valeur acceptable de l’offrande, et de rendre.

La tradition est particulièrement mal vécue au sein de l’entreprise.

C’est un délicat terrain pour les femmes qui se demandent à qui elles doivent des chocolats par obligation. Leurs collègues de bureau ? Le chef ? Les chefs ? Pour les hommes, rendre la pareille est tout aussi délicat. Imaginez donc un homme qui se retrouve avec plusieurs boites de chocolat et qui doit… remercier tout le monde. Les juristes spécialisés dans le droit du travail se sont mis d’accord. Cette tradition tient du harcèlement sexuel de par la pression qu’elle exerce (autant sur les femmes que les hommes). La tradition parait inappropriée dans un contexte professionnel.

Bien que les femmes soient encore nombreuses à en offrir, des recommandations contre les chocolats de courtoisie apparaissent. Et en 2018, Godiva dont le chocolat est très populaire au Japon, se paye une publicité notable avec un message très fort : « arrêtons le chocolat de courtoisie ». L’idée ? Rappeler aux Japonais que ce qui compte, ce n’est pas la tradition, mais l’envie d’offrir et surtout, d’y prendre du plaisir.

Saint-Valentin

Face à la critique du chocolat « d’obligation », l’industrie tente de réinventer la Saint-Valentin.

Si au fil des ans les femmes ont donc resserré le cordon de leurs bourses, la Saint-Valentin a su se réinventer. De nouvelles pratiques sont apparues, d’abord par défi des traditions, puis vite normalisées, si je puis dire, par le marketing japonais.

Première du genre, dans les années 2000, les magazines féminins parlent du ともチョコ (tomo choko). C’est un chocolat que l’on s’offre entre copines plutôt qu’aux garçons. Quitte à être payée moins, autant remercier une amie, n’est-ce pas ?

Cependant, la véritable révolution, c’est le ご褒美ほうびチョコ (go houbi choko) ou plus simplement le 自分じぶんチョコ (jibun choko), respectivement le chocolat récompense ou le chocolat pour soi. Certes on peut y lire une forme d’égoïsme. Mais pour les femmes c’est l’occasion de prendre soin d’elles-mêmes et de se faire plaisir.

Encore plus intéressant, les femmes ne sont désormais plus les seules à faire des cadeaux le 14 février. Bien que largement moins nombreux à le faire, les hommes (25% en 2019) ont commencé à prendre l’habitude d’offrir des chocolats, dits ぎゃくチョコ (gyaku choko, « chocolat à l’envers ») ce jour là, plutôt que d’attendre le White Day. 

Évidemment, c’est là une aubaine pour les entreprises qui profitent de ces pratiques (contestant la tradition !) avec de nouvelles gammes de chocolats et des campagnes vantant l’amitié entre copines, les petits indulgences. Pour  les hommes célébrer la Saint-Valentin comme en occident, c’est être gentlemen !

Saint-Valentin

 En bleu, les hommes, en rouge, les femmes. De haut en bas : chocolat pour l’être aimé, pour soi-même, pour la famille, de courtoisie et pour les amis. Source : https://news.nicovideo.jp/watch/nw4741003

La promotion de la Saint Valentin au Japon est parfois… Très spéciale. 

La France fait vendre au Japon. Du moins, l’image de la France qu’ont les japonais ! Et cette année (2020), c’est la chaine Ginza Cozy Corner qui fait twitter les japonais en masse avec une publicité assez particulière, inspirée de la France.  

https://twitter.com/R_Kakiuchi_0921/status/1224296037860265991

今年ことしのチョコレートケーキが不穏ふおんすぎる。

= Le gâteau au chocolat de cette année est trop chelou.

C’est un délicieux jeu de mots avec le poster sur lequel est écrit : 

今年のチョコレートケーキは、フランス革命かくめいあじ

= Le gâteau au chocolat de cette année a le goût de la révolution française

Si ça vous inspire, laissez moi un commentaire, parce que je cherche encore ce quel goût peut avoir la révolution ! 

Diverses sources statistiques (en japonais) :

Articles francophones sur le sujet :

Articles anglophones : 

Vocabulaire japonais

Japonais Romaji Français
バレンタイン・デー barentain dee Valentine’s Day
ホワイトデー howaito dee White Day
本命ほんめいチョコ honmai choko Chocolat du destin (que l’on offre à l’élu de son coeur)
義理ぎりチョコ giri choko Chocolat d’obligation (que l’on offre aux amis, aux collègues…)
ファミチョコ fami choko Chocolat offert à la famille
ともチョコ tomo choko Chocolat offert aux amies
褒美ほうびチョコ go houbi choko Chocolat de récompense que l’on s’achète
自分じぶんチョコ jibun choko Chocolat que l’on s’achète
ぎゃくチョコ gyaku choko Chocolat offert par les hommes à la Saint Valentin, plutôt que lors du White Day
チョコレートケーキ chokoreeto keeki Gâteau au chocolat

 

11 Comments to “La Saint-Valentin et le White Day au Japon : amour (un peu) et marketing (beaucoup)”

  • Omiyage au Japon : l'art d'offrir des cadeaux pour un oui (ou un non)

    […] sont les chocolats de la Saint-Valentin, les offrandes du nouvel-an, ou encore ces cadeaux « d’obligations » que les entreprises […]

  • Iphise

    Quand j’habiterais là-bas, je vais peut-être avoir droit à des mauvais regard parce que je ne suis pas la tradition! XD

    • ameliemarieintokyo

      Bonjour ! Il ne faut pas trop s’inquiéter, en général ce n’est pas trop attendu de la part des étrangers :).

    • Iphise

      Mais c’est ça le problème! Je ne suis pas étrangère. Je suis japonaise! XD

    • Iphise

      Mais c’est ça le problème! Je ne suis pas étrangère! Je suis japonaise! XD

  • paulinemartyn

    Super intéressant et vraiment sympa de voir toutes les sources, cet article est clairement bien documenté. 🙂

  • Veronik

    Merci Amélie pour cet article, riche en détails. Je ne connaissais pas cet engouement pour le chocolat de la Saint-Valentin et les nombreuses contraintes qui s’y rattachaient.
    En ce qui me concerne, c’est une date trop commerciale pour la fêter : ce manque de spontanéité me gêne.
    Encore merci à toi pour ces informations et, surtout, sur ta manière drôle et efficace de nous présenter le Japon, avec toutes ses particularités.
    A bientôt
    Veronik

    • ameliemarieintokyo

      Merci beaucoup ! Je suis d’accord, la spontanéité est bien plus appréciable lorsqu’il s’agit de transmettre ses bons sentiments :).

  • Emilie

    Ton blog va vraiment devenir mon préféré sur la culture japonaise ^^ Merci pour cet article très intéressant et complet, c’est super intéressant (même si je connaissais le sujet, tu apportes vraiment des précisions intéressantes)

Partagez vos impressions, idées et expériences avec moi :)

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