omiyage

La culture de l’omiyage au Japon ou l’art d’offrir des cadeaux

Les japonais ne sont bien sûr pas les seuls à faire des cadeaux. Mais au Japon, l’acte d’offrir est une véritable institution avec ses codes et ses obligations. À tel point qu’à mes yeux parfois, le plaisir de faire plaisir s’estompe et laisse place à un certain agacement. L’obligation de faire un omiyage en ôte sa précieuse saveur du plaisir de l’inattendu. 

Ce sont les chocolats de la Saint-Valentin, les offrandes du nouvel-an, ou encore ces cadeaux « d’obligations » que les entreprises s’échangent pour garder de bonnes relations. Dans cette pluie de cadeaux, l’omiyage tient une place toute particulière.

Omiyage : le produit du « terroir »

Il ne faut pas chercher midi à quatorze pour comprendre le sens de ce mot. Écrit avec les kanji pour le sol (土) et production (産), un omiyage (お土産) est « une spécialité tirée de la terre ».

Bien qu’ils ne se limitent pas qu’aux denrées alimentaires, les japonais ramènent le plus souvent des douceurs à se mettre sous la dent, ou alors des objets vraiment typiques de la région visitée. 

Les japonais, rois de la spécialité locale et saisonnière !

Impossible de découvrir le Japon sans défiler devant les innombrables boutiques et stands de souvenirs dans les gares, aéroports et les lieux touristiques. Et que les fines bouches et bourses se rassurent, il y en a pour tous les goûts (salé / sucré / épicé) et tous les prix !

Chaque préfecture met en avant ses produits régionaux et marques emblématiques. Pour Tokyo, le souvenir phare est malheureusement la Tokyo Banana. Soit un triste gâteau éponge en forme de banane fourré à la crème, créé en 1991. Cette douceur aérée (et écoeurante) est devenue souvenir officiel de la ville en tant que premier produit à inclure « Tokyo » dans son nom. Un bon gros bingo pour l’entreprise Grapestone Co Ltd. 

Si certains produits ont une popularité telle qu’on les achète facilement dans tout le pays, d’autres sont introuvables à moins de se rendre dans la région productrice (ou de casser sa tirelire pour acheter en ligne à un revendeur très malin). 

Ce marché ultra lucratif ne se limite pas à appâter le voyageur.

Chaque année, les impôts japonais offrent aux habitants la possibilité de reverser une partie de ce qu’ils doivent à la préfecture de leur choix.

Quelques mois plus tard, surprise ! Ils reçoivent un colis d’omiyage des spécialités de la préfecture choisie, généralement d’un montant égal ou supérieur à ce qu’ils ont reversé.

Ce sont des denrées alimentaires très prisées : riz, viandes de choix, fruits de mer, alcool. Le nombre de colis est d’ailleurs limité. Aussi lorsque s’ouvre cette période « d’inscription fiscale », les japonais se ruent sur les préfectures les plus populaires !

Quelle est la symbolique derrière « cet omiyage » que l’on ramène ?

Les échoppes de souvenirs, permanentes ou temporaires, sont stratégiquement parsemées sur le chemin du voyageur. Un bon moyen de lui rappeler son devoir, car ne pas être au bureau (ou à l’école, ou chez soi à ne rien faire), c’est faire preuve d’égoïsme.

Autant ramener des petites choses à ses proches fait très certainement partie de ces rituels que l’on aime, autant penser à ses chefs et ses collègues… Refroidit très certainement nos ardeurs dépensières.  

« Pardon » de prendre mes congés.

Au sein de l’entreprise, les souvenirs que l’on rapporte aux collègues restent une tradition tenace, malgré un recul avec les jeunes générations.

Il faut dire que prendre ses congés n’est pas vraiment dans le manuel du bon petit travailleur japonais. En 2017, les employés japonais n’ont pris que la moitié de leurs congés payés en moyenne, c’est-à-dire 9,3 jours. Pour référence, le gouvernement s’est fixé un taux de 70% pour 2020. 

Tristement, si le gouvernement japonais peine tant à encourager la population à se reposer, mais l’accepte néanmoins, ce n’est pas par bonté de coeur, mais pour inciter à consommer plus et faire remonter la natalité. 

Et dans l’entreprise japonaise, le groupe est supérieur au « moi ». Ainsi, les besoins individuels s’effacent devant ceux de son équipe et de ses chefs. Traduction ? Partir, c’est donc faire reposer sa charge de travail sur les autres. Du coup, le courageux qui a pris ses congés pour aller en Corée du Sud ramène des souvenirs pour s’excuser d’avoir incommodé le groupe. Il fait patte blanche et montre qu’il a pensé à son entreprise lors de ses congés. Et le collègue partit à Singapour peut malicieusement ramener des gâteaux au durian… 

« Pardon » d’avoir eu la chance de changer d’air.

Mais, et je vous vois vous accroché à votre bureau (parce que vous me lisez au bureau), vous devez en ramener aussi lorsque vous partez en voyage d’affaires.

Pour le coup, c’est plus pour vous excuser d’avoir eu « la chance » d’aller vous amuser travailler ailleurs. De changer d’air en somme, au Japon où les déplacements professionnels sont vus comme une occasion de voir du pays (et de manger des spécialités locales). 

Dans une boite où l’ambiance est au beau fixe, l’omiyage est heureusement aussi une forme de partage. Et témoigne de nos amitiés au bureau.

Mais les traditions japonaises sont de plus en plus ébranlées par une jeunesse payée au lance-pierre, quelque peu excédée par ces obligations sociales. Dans un mouvement plus général de remise en cause des conditions de travail au Japon, avec des débats de plus en plus vifs sur le harcèlement moral, l’omiyage a de moins en moins la côte.

L’obligation tacite de ramener des cadeaux sous peine de vexer les personnes avec qui on travaille ou d’être critiqué pourrait bien finir par être découragée par les entreprises.

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