Ma chaleureuse famille japonaise
- Amélie Marie
- 1 septembre 2014
- Japon
Lorsque l’on évoque la cellule familiale japonaise, immédiatement la tradition, le respect de la famille et de la communauté nous viennent en tête. Le père salaryman chevronné, se tuant au travail, donnant son salaire à l’épouse, femme au foyer, veritable gestionnaire du domicile, tutrice des enfants. S’ajoute, relativement souvent, le ou les grands parents, vivant avec le fils ainé. Cependant, derrière l’image que l’on s’en fait, la famille japonaise peut aussi se révéler atypique, à mille lieues des préjugés sociaux.
Ce peut être l’histoire d’un fils ainé, descendant d’une famille pauvre dont le grand père fit fortune en Mandchourie, envoyé y faire du commerce durant la guerre. Revenant avec femme et argent, il fondit une entreprise de métallurgie, l’une des premières à faire les billes de pachinko, les casinos asiatiques. Cet héritage, marqué par la guerre et les jeux, était peut être lourd à porter pour ce fils, qui envoyé à Tokyo pour étudier les sciences, y préféra la philosophie et les discussions sur Noam Chomsky. Un tel affront à l’autorité paternelle fut chèrement payé, et c’est déshérité qu’il continua son chemin.
Ce peut être l’histoire des descendants de samouraï, caste dépérissant durant l’ère Meiji. Incapables de gérer correctement une fortune s’amenuisant, la lignée découvre la dureté de la vie et la pauvreté. Une arrière petite-fille se rendit à Tokyo afin d’y travailler, tandis que d’autres choisirent de migrer aux États Unis. Ce faisant, elle y rencontra un jeune homme engagé dans cette nouvelle ère politique, ce Japon meurtri, se cherchant un système à l’époque où le monde se divise. Le communisme ne l’effraie pas, et elle élève deux enfants avec celui qui devint un militant chevronné. Le communisme à l’époque, est chèrement payé, entre les arrestations et les violences, il y perdit l’usage de ses jambes, et la considération du voisinage. Leurs enfants grandiront avec la rage de la liberté. La liberté de penser, et d’être ce qu’ils souhaitent. La liberté de douter, aussi, du Japon et des directions dans lesquelles il s’engage.
L’un devint un intellectuel, défendant ardemment l’histoire niée du Japon. L’histoire affreuse de Nankin, l’histoire douloureuse des femmes de réconfort. Lui aussi en paye le prix, vivant dans la crainte des médias, et menacé chaque jour un peu plus, de perdre sa chaire universitaire.
L’autre devint une spécialiste de Chomsky, et une professeur d’anglais. Elle milite contre le nucléaire, s’insurge devant le silence régnant à Fukushima.
Noam Chomsky ne le sait sans doute pas, mais il a réunis deux êtres si semblables, si contestataires dans ce Japon qui se cherche, qu’ensemble, ils brisèrent le modèle social japonais.
C’est l’histoire d’un couple qui refusa les traditions dès le départ. Elle plus âgée, lui sans emploi. Sans cérémonie religieuse, ils se lièrent l’un à l’autre, pour le meilleur, et pour le pire. La famille paternelle espérant le retour du fils prodigue, fit tomber son courroux sur l’épouse, fille de communiste. Les liens familiaux furent rompus.
Bravant le regard social, elle fit carrière, il resta à la maison. Ou plus exactement, il chercha sa voie, et éleva ses enfants durant les transitions. Dans ce Japon des années 80, elle était mère indigne, il était père incapable. Les enfants en payent le prix. Ce qui n’est pas compris, effraye. La peur sans doute, l’incompréhension certainement, furent moteur des attaques et odieuses remarques des parents d’élèves à la sortie de l’école, des professeurs, des voisins. Parce qu’une mère qui travaille n’éduque pas ses enfants, les enfants deviennent de mauvaises plantes. Inaptes à la citoyenneté.
Le Japon d’aujourd’hui s’effrite. Une famille japonaise après une autre, l’atypisme grandit. Un nouveau vent souffle.
Cet article, je le dédis à cette famille qui m’a adoptée sans hésitation.
Les relations de voisinages mises à l’épreuve des poubelles au Japon | Amelie Marie in Tokyo
[…] le cas auprès de ma belle-famille, la première réaction unanime fut de laisser courir. Cela n’en valait pas la peine, mieux […]
ladyelle134
Quel gentil hommage à tes beaux parents si modernes dans un Japon… « moderne » 🙂