Les relations de voisinages mises à l’épreuve des poubelles au Japon

Il faut l’admettre. Le Japon est encore une terre mystérieuse, et singulière, dont nous ne connaissons que les bordures, sans jamais pouvoir pénétrer au coeur d’une culture développée plus de deux siècles dans une période d’isolation (sakoku). Conséquence de quoi, les comportements des nippons restent encore bien incompréhensibles et peu comparables ailleurs. Malgré un premier ministre prompt à jeter de l’huile sur le feu des relations avec les voisins asiatiques du Japon, les japonais négocient en général avec moult subtilités, et en deux trois mouvements discrets, vous voilà amener à rendre un service, à accepter une situation inacceptable, ou encore à vous excusez (quand l’autre est en tord). Vous venez d’expérimenter la diplomatie à la japonaise. Appliquée à la vie de tous les jours, le gaijin découvre que ses relations de voisinage ne seront plus jamais les mêmes.

Les japonais sont des angoissés sociaux. Idée évoquée par Jean-Claude Jugon dans son livre Phobies sociales au Japon: timidité et angoisse de l’autre. Sans entrer dans le jargon des sciences sociales, clairement, la société japonaise n’interagit pas comme la société française, et pour l’expatrié vivant dans l’archipel, cela amène à repenser ses relations avec les autres.

En l’occurrence, mon voisin. Le nippon ayant à peine franchi la porte avec ses valises pour la Russie, voilà que mon voisin de palier (le seul en fait) s’est carrément lâché question obligation sociale. Du jour au lendemain, il est devenu bruyant – allant de parler sur le balcon le soir, en claquant la porte à de nombreuses reprises, en passant par regarder la télé fort le matin (quand dort-il est une de mes interrogations récurrentes). Il a aussi décidé de laisser sa poubelle dans le couloir.

Nom d’une pipe, me voilà à fulminer, car chacune de mes sorties m’impose de passer par dessus le sac ou sur le côté en contorsionnant mon derrière (oui, les couloirs peuvent être étroits au Japon).

Le sac étant transparent, j’ai au passage droit à un exposé de ses repas de la semaine, et en bonus, la litière du chat. Le tout avec un fumet délicat qui commence à envahir mon intérieur.

La première fois, le sac a trainé deux jours, puis a disparu. J’en ai alors – trop rapidement – conclu que c’était sans doute une « erreur« . Atteint de cécité temporaire, mon voisin aura oublié la présence de ses propres déchets.

Nope. La 2ème fois je m’arrête ébahie. Le retour de la poubelle. Plus grosse, plus puante que jamais. J’ai la veine du front qui pulse. Elle traine deux jours. Et disparaît, alors que j’interroge autour de moi sur la procédure à suivre. Mon Homo Japonicus me dit de laisser courir – comme les cafards pointant leur nez.

La 3ème fois, la poubelle est là le matin du 3ème jour. Pensant lui mettre la honte de sa vie, je l’empoigne et m’empresse de la jeter dans le local à exactement 20 mètres et 35 secondes en ascenseur, de sa porte. La 4ème fois, je n’attends plus et je retourne la jeter en maugréant contre ce malotrus.

Force est de constater que sans intervention divine, un déménagement inopiné ou le décès du coupable, la poubelle dans le couloir allait – était déjà devenue – devenir partie intégrante du décor. Tous les matins, tous les soirs.

Évoquant le cas auprès de ma belle-famille, la première réaction unanime fut de laisser courir. Cela n’en valait pas la peine, mieux valait endurer les odeurs que de se mettre à dos le voisin. Autant vous dire que cette situation de guerre froide ne me convenait pas.

La 5ème poubelle restée depuis 3 jours, était fin prête à affronter le typhon Vongfong. Sentant sans doute le volcan en sa belle-fille, ma belle-mère me demanda alors les contacts de l’entreprise gestionnaire de l’immeuble. On s’en occupe disent-ils. Je dépose la poubelle maudite devant la porte de son propriétaire. Qui la pousse de côté en rentrant chez lui.

L'objet du délit, flouté pour vous épargner.

L’objet du délit, flouté pour vous épargner.

À la fin de la 4ème journée, et après la vague de chaleur ayant suivi le typhon, mon odorat demande grâce. J’appelle belle-maman avant d’ouvrir les hostilités. L’entreprise nous prévient alors de ne pas y toucher, et de ne  surtout pas nous en mêler, ni même d’adresser la parole au voisin. Ils vont régler le problème dans la matinée.

Le lendemain, en entrouvrant ma porte, je constate que non seulement l’objet de mon ire a disparu mais qu’en plus un mot a été placardé en face la porte de mon voisin, « ne jetez pas vos déchets dans le couloir ». Le sourire de la victoire, je dévale les escaliers pour constater qu’à tous les étages des mots similaires ont été apposés.

Et que dans chacune des boites aux lettres la même lettre rappelant à l’ordre les habitants de l’immeuble, a été glissée. Subtilité nipponne que de faire disparaître le coupable dans la foule … 

Le petit mot pas subtile du tout, mais placardé partout.

Le petit mot pas subtile du tout, mais placardé partout.

Je vous ai à plusieurs reprises parlé des poubelles au Japon, et il semble que cela soit le point de cristallisation des conflits de voisinage dans l’archipel, et que la faute soit – très – souvent rejetée sur les étrangers (racisme un jour …). Le site internet de la NHK, proposant des cours de japonais, offre ainsi un petit aperçu des règles de vie à la japonaise:

Leçon 34
En fonction des pays, les us et coutumes diffèrent. D’après un sondage effectué dans les préfectures qui ont vu le nombre d’habitants étrangers fortement augmenter ces dernières années, le nombre de problèmes liés au ramassage des ordures et au bruit a augmenté aussi. Le tri et le ramassage des déchets varient en fonction des municipalités et cette question est à l’origine de nombreuses tensions, y compris entre Japonais. Dans les municipalités abritant une importante population étrangère, des explications sur le tri des déchets sont affichées en anglais, par exemple, et des affiches expliquant les instructions sous forme de dessin sont distribuées. Il est important de respecter les règles concernant le ramassage des déchets pour entretenir de bonnes relations de voisinage. Ce ne sont peut-être que des poubelles, mais justement, ce sont des poubelles.

Cependant, les japonais sont vraiment en effet très sensibles au voisinage, et par exemple, j’ai reçu dans ma boite aux lettres ce matin, une serviette de bain. Celle-ci est un cadeau en excuse au dérangement causé par les travaux de l’immeuble en construction au bout de la rue (n’entends rien des travaux, je ne me sens pas particulièrement embêtée mais un cadeau est un cadeau!).

 

Et vous, expatriés ou partis en voyage un jour, avez-vous été confronté à des problèmes de voisins et à la manière locale de le traiter ?

6 Comments to “Les relations de voisinages mises à l’épreuve des poubelles au Japon”

  • ladyelle134

    Un voisin qui se conduit soudain comme ça quand ton chéri est parti, moi j’appelle ça un goujat ! Peu importe le pays !
    Je suis vraiment surprise de cet aspect nippon que je ne connais pas puisque je n’y suis allée qu’en vacances.

    • Amélie-Marie

      Les nippons ont plus d’un tour dans leur sac faut pas croire ! Mais c’est d’autant plus choquant qu’en fait, ce n’est pas si fréquent. C’est donc pour cela que ça te surprend – et moi aussi.

  • Madame Ananas

    Cool si tu as résolu ton problème, effectivement avec les odeurs c’est jamais génial..

    On a aussi un « petit » souci de voisinage (aux US). le mec du dessus joue à un jeu video de voitures ou regarde un film de voitures on sait pas, trèèès fort et avec beaucoup de basses. Resultat, les murs tremblent et ca fait un boucan pas possible (on a cru à un tremblement de terre le premier jour, avant de se dire que le tremblement de terre venait de la terre et pas du plafond). Il fait ça quasiment tous les soirs et parfois en journée. On est allé voir le voisin a coté pour lui demander s’il entend ça aussi (comme on vient d’arriver on s’est dit que yavait ptet eu déjà des remontrances). Le mec ahuri nous dit « ah bon ya du bruit? » « ah non je sais pas » et nous demande si ça nous empeche de dormir. Hum non m’enfin c’est chiant quand même… et voila… Il s’en tape completement en fait. C’est un asiatique je ne sais pas si cela rejoint la façon de faire des japonais de ne pas se brouiller avec les voisins. Et nous on sait toujours pas quoi faire avec notre fan de voitures qui habite au dessus…

    A+
    Karine

    • Amélie-Marie

      Oui je suis soulagée.

      Votre problème est terrible. J’avais le même gars en France (mais c’étaient plutôt des films) et personne d’autre n’entendait (alors qu’en ouvrant la porte sur le couloir, ça gueulait et s’entendait du 1er au 5ème étage quoi). J’ai voulu aller voir une fois mais … Je crois qu’ils étaient shootés à quelque chose, et j’ai fait marche arrière. Après je suis partie au Japon alors.

      Vivez vous dans une location ? Auquel cas c’est l’agence qui s’en occupe, que vous devriez contacter. Si le voisin ne semble pas trop con de visu, vous pourriez aussi essayer d’aller le voir directement. Je ne sais pas du tout comment réagissent les américains dans ce genre de situation, mais je les envisage assez directs !

      Si votre voisin s’en fiche c’est peut être que le son ne se propage pas jusque chez lui. Mais les asiatiques – du moins ceux que j’ai rencontré – sont très tolérants au bruit.

      Vous devriez aller voir le voisin au dessus du mec bruyant (s’il y a un étage) car lui devrait aussi y avoir le droit).

      La solution radicale: le déménagement :D.

  • Laura

    Comme je l’ai dit sur le forum, je suis contente pour toi que cette affaire se soit resolue sans que tu ne sois impliquee reellement, tu es tranquille maintenant 🙂 Et…trop mignonne cette petite serviette !!

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