Les japonais et l’alcool, rapide état des lieux de la nommunication au Japon
- Amélie Marie
- 11 octobre 2014
- Japon
L’une des premières réflexion que je me suis faite en découvrant la culture japonaise fut celle du rapport des japonais et de l’alcool.
Contexte
Le jour, le japonais travaille et il travaille dur. Il arrive tôt le matin, se fait rabrouer par son chef, zappe la pause déjeuner, boucle un dossier – ou tente de le boucler. Il fume nerveusement – ou grignote du chocolat, durant ses 15 secondes de pause, avant de partir en réunion, où aucune décision ne sera prise. Le soir, il quitte le bureau – mais pas son travail. Le soir, il sort avec ses collègues de section, et il boit.
Témoignage
Ce soir, alors que je passais par la rue Sakae – connue pour ses restaurants et bars en plein milieu du quartier Takadanobaba, j’ai vu un jeune salaryman se détacher de son groupe de collègues – tous à l’air si sérieux dans leurs costumes noirs. Il a posé sa mallette et sa veste. Puis il s’est mis à 4 pattes, prêt à faire ses plus plates excuses à la japonaise, pensais-je. Erreur, il s’élança dans une roulade du plus bel effet… pour dégommer un passant comme une quille. Ses collègues se sont alors précipités – le groupe étant toujours responsable des actions individuelles – pour s’excuser milles fois auprès du malheureux.
Parce que les japonais ayant un coup dans le nez nous offrent de la magie, j’ai eu envie de partager avec vous quelques morceaux de Tokyo la nuit, et de ses habitants, soudain transformés …
Cette vidéo bien connue, nous témoigne d’une intense fatigue couplée sans doute, à quelques litres de bières…
Moins drôle, les japonais une fois imbibés, peuvent péter les plombs – comme partout.
Plus commun, le délire dans le métro – tout cela dans la plus grande indifférence des passagers :
Un état des lieux pas tip-top.
Blague mise à part, la société japonaise est une société de l’alcool. Boire lors de réunions et de rencontres est une manière de s’intégrer dans un groupe : clubs étudiants, club de sports, intégration dans votre équipe au boulot. Ce phénomène social porte même un nom, la contraction de boire (nomu, のむ) et de communication : la nommunication.
« Traditionnellement, la consommation d’alcool est le signal culturel japonais qu’il est correct d’être franc et ouvert. Le relâchement naturel des inhibitions grâce à l’alcool a aussi pour effet de desserrer les lèvres. Rapprochement après le travail par l’alcool crée donc aussi l’ambiance parfaite pour déballer ce qui est trop difficile à dire dans l’environnement contraint du bureau. »
La pression sociale
Concrètement, les soirées beuveries avec les collègues sont préconisées, voir un passage obligé. Celui qui y déroge est mal vu et ostracisé. Elles sont mêmes ritualisées. On ne se sert pas soi-même, mais l’on remplit le verre de son voisin lorsque celui-ci est vide. Cette façon de donner et de recevoir rapproche et permet à l’esprit d’équipe de se faire autour d’une bière, et bien des contrats se signent devant un verre de sake.
L’excès est accepté et acceptable
Incroyable mais vrai, boire à en dépasser ses limites est totalement accepté. Vous pourriez vous roulez sous la table – ou comme je l’ai vu, faire une roulade dans la rue, personne ne vous en voudra. L’alcool permet de relâcher la pression. De fuir le quotidien déprimant. Dire à son chef que vous n’êtes pas bien d’avoir trop bu la veille ne vous vaudra aucun blâme.
Conséquence de quoi… eh bien il est très courant de voir des personnes étalées un peu partout dans la ville : trottoirs, bancs, … et ce dans tous les positions. J’ai même vu une japonaise dormir à point fermé devant le hall d’un immeuble près de chez moi.
Les japonais et l’alcool
Pour autant les japonais boivent nettement moins que les européens. Comptez leur 7 litres par an, contre 12 pour les français. Par ailleurs, ils boivent moins d’alcool fort, la bière étant la boisson privilégiée.
L’alcool n’est pas mal perçu, comme l’explique Ici Japon:
- L’alcool ne se boit pas seul : moteur des relations sociales, il fait partie intégrante de la vie quotidienne. Il existe un nombre incroyable d’occasions – nommées nomikai (rencontre – boire).
- Les incivilités du fait de l’alcool sont moins nombreuses ou moins violentes au Japon qu’ailleurs. Elles existent mais sont très anecdotiques.
- La présence de l’alcool partout dans la rue ou à la télévision à travers des publicités positives.
- La puissance du lobby de l’alcool et la faiblesse du gouvernement japonais qui peine toujours à légiférer ou à prendre des décisions qui vont à l’encontre du modèle de consommation national et des grandes entreprises.
En règle général, si vous partez boire en groupe et que vous finissez mal – au point du coma, vos amis attendront comme si de rien n’était, l’ambulance qui vous emmènera aux urgences. Scène cent fois vue à Takadanobaba, parfois dès 18h.
PS : Pour découvrir l’envers du décors, le compte Instagram Shibuya Meltdown est assez efficace.
Kansaijin
Géniales les photos ! 🙂 Et soo Japanese !
Stel
En lissant cet article je me pose quand même une question. Comment font les personnes qui n’aiment pas l’alcool ?
Et merci pour les nombreux articles.
Amélie-Marie
C’est une question légitime mais la réponse est assez triste: ce n’est pas une question d’aimer ou pas, tu n’as pas le choix. Tu ne peux ni refuser ni te désister à moins de justement renoncer à faire partir du groupe. D’ailleurs « ne pas aimer » quelque chose est vu comme de l’égoïsme / comportement d’enfant gâté. À l’école il y a eu beaucoup de scandale d’enfants mis en danger voir décédés des suites d’allergie parce que les professeurs ont pris leur refus de manger un aliment pour des caprices (oui les professeurs surveillent les plateaux dans leur classe au primaire et veillent à ce que les enfants aient tout mangé).
laulinea2014
J’avais déjà entendu qu’il n’était pas rare d’apercevoir des hommes en costume cravate complètement saoul dans les rues. Mais ça fait vraiment drôle de savoir que c’est socialement admis. La société Japonaise me parait tellement étriquée, ça me fait drôle de les imaginer dévergondés 🙂
Amélie-Marie
C’est vrai que c’est paradoxal vu de l’extérieur. Mais lorsque l’on comprend la culture, on réalise que la vision de l’alcool diffère selon les pays ! D’ailleurs j’ai eu une grande conversation avec un ami japonais pour qui c’était très choquant de « militer contre l’abus d’alcool » dans le cadre professionnel, car c’était faire preuve d’égoïsme (refus d’intégrer le groupe).
ifeelblue
c’est juste hallucinant! je ne me lasse pas de te lire, j’en apprends vraiment beaucoup grâce à toi sur le Japon 🙂
quand je pense qu’ici, les employés qui sont bourrés aux « Christmas party » organisées par leurs entreprises se sentent bien mal après, voire même démissionnent s’ils sont allés trop loin (des ex-collègues m’avaient raconté ça…). Pas du tout la même mentalité!
Amélie-Marie
Merci beaucoup cela me fait très plaisir !
Oui en effet c’est diamétralement opposé si je puis dire. Comme je l’expliquais à Laulinea2014, l’alcool dans le cadre professionnel c’est le ciment du groupe. Refuser de boire ou de participer aux soirées alcoolisés, c’est refuser de s’intégrer. C’est de plus en plus « possible », mais la conséquence est l’ostracisation au bureau, le ralentissement de sa carrière etc …
Bérénice
Je ne connaissais pas du tout l’expression « nomunication » !
Je suis quand même hyper impressionnée par la façon dont les japonais vivent l’entreprise. Le sentiment d’appartenance à un groupe est trés présent d’ailleurs ils sont hyper fidèles à leur boite et quand on demande dans quoi ils travaillent, ils répondent la boîte dans laquelle ils bossent et jamais leur titre de poste.
A Kyoto c’était dément de les voir le soir sous les cerisiers en fleur à boire des bières en chaussettes !
Et le film « Tokyo sonata » montre bien que si un homme n’a pas d’emploi il est complétement exclus de la société et c’est très mal vécu…
Amélie-Marie
Tokyo Sonata est une grande leçon sur le Japon (j’ai trouvé). J’ai découvert l’expression en faisant ma (courte) recherche sur le sujet. Moi aussi, et quelque part, je suis assez attirée, car j’aime l’idée d’une appartenance à un groupe allant vers une « même » cause.
Ahahah, j’aimerai beaucoup voir ce spectacle !