Les idoles japonaises, de l’âge d’or au marketing
- Amélie Marie
- 31 octobre 2014
- Japon
Alors que je vis au Japon, je suis aux antipodes de la musique japonaise, industrielle, assourdissante, produit marketing plus que musical – quand le visuel l’emporte sur la mélodie, je me demande où se trouve la musique. Sans doute sévère, je campe néanmoins sur mes positions, rien ne m’ayant jusqu’ici prouvé le contraire. Ce n’est certainement pas les interviews préfabriqués des magazines, les comptes Twitter et Facebook savamment alimentés par des experts en communication, qui me feront croire que les artistes (sic) soient aux manettes. En revanche, il s’avère très intéressant de se pencher sur les phénomènes musicaux propres au Japon, et en particulier les « idoles » (アイドル).
Le courant des idoles est tellement complexe que l’on se sentirait presque face à une science.
De l’enka à l’ère des producteurs
Avant la seconde guerre mondiale, la musique populaire était principalement constituée de musique enfantine ou de folk blues appelé enka, se rapprochant en réalité de ce que l’on appelle chanson française. L’arrivée massive de la culture américaine durant l’après guerre créé un véritablement changement dans la musique japonaise. Dans l’histoire de la musique populaire, on distingue trois périodes: les années 50 et 60 où le rockabilly est roi avec la pop imitant les Beatles, les années 70 et 80 avec les idoles, et enfin, les années 90 jusqu’à aujourd’hui, l’ère des producteurs (je ne l’ai pas inventé !). Le courant idole perdure au sein de la J-pop et se distingue clairement des « chanteurs ».
Le terme désigne de jeunes artistes (sic) sélectionnés adolescents – principalement sur leur physique, lors d’audition organisées par les maisons de production et agences d’artistes. Le ou la chanceux(se) est alors formé(e) (chant, danse, comédie) et débute une campagne de médiatisation choc. L’idole est exploitée dans les médias à travers de nombreux produits et supports visant un public d’adolescents mais aussi de jeunes adultes (et moins jeunes …). Très médiatisé, l’artiste (sic) est tenu par un contrat à durée limitée et produit jusqu’à épuisement du filon. Beaucoup « d’idols » (les japonais utilisant le terme anglais) ne sont en réalités pas des idoles (ahah): ils n’accèdent pas tous à la célébrité et encore moins à la richesse. Non, c’est bien l’industrie du divertissement qui s’en met plein les poches. Emissions de télévisions, publicités, dramas, porte clef, album photo, comédies musicales … l’idole, qui n’a pas une minute de repos, est en réalité salariée, le salaire dépendant du niveau de notoriété.
Une influence française
Le phénomène a débuté dans les années 60, avec les artistes Momoe Yamaguchi, Amin, Warabe, Pink Lady and Candies. Le terme vient de France, avec le succès français Yéyé et en particulier, Sylvie Vartan, révélée en 1964 avec le film Cherchez l’idole, succès fou dans l’archipel. Le concept de très jeunes artistes – jusque là pas inconnu au Japon avec des groupes dès les années 40, prend un coup de fouet avec l’astuce des producteurs, reprenant le terme anglais « idole ». Ils produisent le onyanko club regroupant plus de 50 chanteuses dans les années 80.
Momoe Yamaguchi, いい日旅立ち, célèbre et reprise par la compagnie JR
L’âge d’or perdure jusqu’aux années 80, à partir duquel les puristes du genre considèrent que les producteurs ont dérapé sérieusement du point de vue de la qualité. D’ailleurs à cette époque, les idoles étaient principalement des chanteurs(ses) et produisaient des musiques réellement originales (variantes de ce qui se faisait en Asie à la même époque) et dansaient peu. Les plus célèbres sont toujours aujourd’hui suivi(e)s par leur fans et soutenu(e)s par les maisons de disque rééditant régulièrement de vieux singles.
L’idole se doit de respirer la joie, l’innocence de la jeunesse et d’inspirer la sympathie – ironie du sort, beaucoup font du porno, c’est d’ailleurs le point d’entrée dans le milieu des dramas pour bien plus d’actrices qu’on ne le pense.
Par conséquent, leurs carrières s’éteignent aussi vite qu’elles démarrent, avec pour la majorité, le manque de succès, ou plus grave, en raison de scandales. Les tabloids nippons traquent les artistes et se régalent de leurs liaisons, dérapages ou encore délits, ternissant leur réputation et les jetant aux hordes de fans exigeants furieux.
Ca semble déjà clair, mais AKB48, je ne peux pas. On est à la limite de ce que je peux admettre à titre personnel comme objet de pop culture, et d’ailleurs ce n’est aucunement surprenant, puisque le groupe, dont j’avais déjà évoqué les ramifications fort complexes, n’existe pas prioritairement pour moi mais plutot pour les garçons en recherche d’une petite copine imaginaire, virginale et disponible. La seule raison pour laquelle on connait « AKB » en France, c’est justement lorsque cela ne s’est pas passé comme prévu. Cette standardisation de la femme s’étend maintenant hors-Japon, puisque la franchise a essaimé avec SNH48 (Shanghai) et JKT48 (Djakarta) où une gamine de 16 ans s’est récemment faite pincer avec un garçon et évincer du groupe.
Claire Solery
Délaissées, les idoles retournent à l’anonymat.
Pourquoi se brûler les ailes pour si peu de bénéfices – sinon ceux d’avoir réussi à être en couverture d’un magazine ? L’espoir de poursuivre une carrière dans le divertissement, en choisissant une voie plus précise : les dramas, le cinéma, la chanson, le doublage d’anime, le mannequinat.
Pour plus de clarté, le terme est mixte, mais en réalité, les artistes masculins sont plutôt appelés les Johnnys, en raison du monopole de l’agence artistique Johnny & Associates.
L’âge de la maturité … les idoles ne sont pas des « chanteuses »
Les années 90 arrivent avec un vent de rébellion et les artistes rejettent l’appellation, changent leur image et le courant musical. Namie Amuro, Ayumi Hamasaki … se veulent plus indépendantes et sexy, elles soignent leur image, loin de l’amateurisme classique des « idoles », qui finissent reléguées à faire les génériques de dessins animés.C’est le début de l’électronique, mais aussi de l’influence de la pop américaine.
À la fin des années 90, les idoles ont de nouveau le vent en poupe avec le Hello! Project (à l’image du Onyanko club) avec le groupe Morning Musume au succès énorme, fondé en 1997 et qui compte pas moins de 12 générations de chanteuses. Aujourd’hui, le groupe le plus en vogue est sans conteste AKB48 créé en 2005 et comptant 48 chanteuses et aux règles passablement délirantes.
IloveHirorin
Bonjour,
Je réagis un peu tard à votre article mais je voudrais y souligner quelques erreurs ou approximations.
Tout d’abord la musique japonaise était déjà influencée par la musique américaine avant la 2nd guerre mondiale. Le Jazz et le Blues étaient déjà connus au Japon. On peut citer par exemple la reprise de Dinah par Dick Mine.
Puis Momoe Yamaguchi, les Candies et Pink Lady ne sont pas des idoles des années 60 mais des années 70.
Enfin il y a aussi des idoles masculines. Les plus connus dans les années 70 sont Hiromi Go, Goro Noguchi et Hideki Saijo.
L’enka est un style de musique qui existe toujours même s’il a beaucoup changé.
Pour simplifier il y a trois courants musicaux à la fin des années 60 : un enka moderne, les Group Sound et le Kayoukyoku.
C’est dans ce dernier que les idoles apparaissent à la fin des années 60 avec Jun Mayuzumi , Tomoko Ogawa…. Il y a une seconde génération au début des années 70 avec Mari Amachi, Rumiko Koyanagi…. Le phénomène prend de l’ampleur dans les années 70. Des émissions de télévision comme « Star Tanjou » révèlent de nouveaux talents (Masako Mori, Momoe Yamaguchi, Hiromi Iwasaki…).
Par contre je suis d’accord avec vous. Les idoles des années 60-80 étaient avant tout des chanteuses.
Il est même parfois difficile de les distinguer. Ça commence à changer au milieu des années 80. Il y a de plus en plus d’idoles mais peu se distinguent vraiment et elles ont souvent des carrières éphémères.
Les groupes d’idoles d’aujourd’hui ont été fait pour les fans et ne vivent que grâce à eux. Dans 20 ans on aura oublié la plupart de leurs membres. Alors que certaines idoles des années 70-80 sont toujours aimées et connues par une partie de la population japonaise. Elles ont toujours des fans qui les soutiennent depuis 30-40 ans.
Les idoles ne se limitent pas aux AKB48 et co, mais ça peu de gens le savent hors du Japon. A peine une dizaine de français connaissent la chanteuse dont je suis fan, c’est tout dire.
Christophe
Bonjour, votre intervention est intéressante mais amène des questions. On lit souvent que les artistes japonais sont éphémères. Quand je me suis intéressé au show bizz Japonais des années 60-70 pour un article sur la French Pop au Japon, j’ai vu défiler des noms qui existent encore aujourd’hui. Kenji Sawada, Hiromi Go, Hideki Saijo, Pink Lady. Ils font encore des tournées dans des salles importantes. De plus, les rares chanteurs français qui ont réussi, y ont eu une carrière au Japon d’une longévité peu commune. Adamo a fait plus de 400 concerts, Sylvie Vartan plus de 200, quant à Aznavour, il y remplissait plusieurs soirs le NHK Hall de Tokyo et le Festival Hall d’Osaka, pas plus tard que cette année.
Je trouve que les Japonais font preuve de fidélité, au même titre que les français ou les américains. Ce n’est pourtant pas ce qui se dit.
IloveHirorin
Bonjour, je pense que les gens ont cette vision à cause des groupes d’idoles dont les membres sont éphémères. A cela s’ajoute le fait que lorsque les idoles féminines se marient elles arrêtent le plus souvent leur activité. Cela ne veut pas dire que les Japonais ne sont pas des fans fidèles, je dirais même que c’est le contraire. Par exemple les idoles japonaises des années 70-80 toujours en activité ont des super fans « 親衛隊 » (Shineitai) qui les soutiennent encore aujourd’hui. La musique japonaise n’a rien d’éphémère. Certains artistes continuent leur carrière malgré leur succès moindre. Dans les noms que vous avez cités Kenji Sawada continue de faire des concerts, l’année prochaine il fêtera ses 50 ans de carrière (il a débuté avec le groupe The Tigers); Hiromi Go est toujours populaire et a sorti plus d’une centaine de singles ; Hideki Saijo est encore actif mais fortement diminué par un accident vasculaire; Pink Lady le duo est plus ou moins en pause mais les deux chanteuses continuent de chanter en solo. Dans le genre enka je pourrais citer des tas d’artistes qui ont une longue carrière. Mais c’est vrai qu’il est aujourd’hui difficile de trouver à part Seiko Matsuda des artistes à la longue carrière dans les tops de vente ou qui remplissent des grandes salles. Cela n’empêche pas à des artistes comme Momoe Yamaguchi d’être connus ou écoutés dans tout le Japon.
Christophe
Merci de cette réponse
Ce que je crois comprendre, c’est que les médias ne donnent de l’importance qu’aux phénomènes du moment, et donc si on fait une recherche sur le net, on ne trouve rien. Je cherchais des info sur une Française qui s’appelle Danièle Vidal, elle a eu pas mal de succès vers 70/74. Je voulais savoir comment ça se passait pour elle après cette date, mais il n’y a rien. Je voulais aussi savoir ce que faisait Linda Yamamoto, puisqu’elle a un site internet et qu’elle sort des cd. Et bien , elle aussi est comme morte sur internet. Diana Ross ou Mariah Carey ont fait des concerts au Nippons Budokan l’année dernière. Là encore, il n’y a aucune photos sur le net.
Le problème vient aussi de Oricon qui tient une comptabilité qui laisse penser que sans classements, on vend zéro LP, single, cd. Ce qui est étrange vu les sorties de disques incroyablement nombreuses au Japon et vu aussi le nombre de chanteurs qui ont essayé d’y faire quelque chose.
Avec toutes ses difficultés et pas mal de patience j’ai fait un dossier. Si vous trouvez le temps de le lire, vous pourrez peut être rectifier ou nuancer ce qui est avancé.
http://www.sylvissima.com/chanson-francaise-au-japon
IloveHirorin
J’avais déjà lu ce dossier et je l’avais trouvé très intéressant et bien documenté.
Le problème c’est que les médias ne se réfèrent au top Oricon qui n’est pas fiable. D’ailleurs le classement semble plus important que le total des ventes. C’est pourquoi les ventes des groupes d’idoles populaires chutent après la première semaine. Certains fans achètent des cd par dizaine voire centaine ce qui fausse complètement les résultats et fait croire aux Occidentaux que les Japonais sont à fond sur les groupes d’idoles. Rares sont les artistes aujourd’hui comme Oda Kasamura ou Kiyoshi Hikawa qui arrivent à vendre dans la durée et à se maintenir dans le top Oricon pendant plusieurs semaines.
Les anciens chiffres ne sont pas non plus très fiables et ont tendance à être exagérés.
vampaiaa
C’est marrant, la première photo en maillot de bain s’agit d’une ancienne membre des Morning Musume … chinoise XD
Et le pire sont les dvd des photobook, où on le voit courir en se serrant les seins quand ils balancent .. niark.
Quoi que, les idols féminines restent accessibles au public grâce aux event comme les handshake, alors que la Johnny’s veut qu’une barrière s’installe entre les artistes et les fans. Peut-être parce que les filles sont hystériques mais là encore c’est une autre histoire XD
Clémentine
j’ai beau connaitre le coté ultra commercial des idoles, j’ai du mal à m’en lasser… Je ne suis pas une grande fan d’AKB48, mais j’aime beaucoup Morning Musume <3
Merci en tout cas pour les origines des idoles que je ne connaissais pas !
Amélie-Marie
Merci d’être passée ! J’ai découvert l’histoire en écrivant sur le sujet, et ça m’a beaucoup intéressée, alors que je n’écoute pas du tout. Vu ce que tout le monde dit des morning musume, j’irai tendre une oreille !
Béné
Morning Musume <3 C'est les seuls idoles que je suis vraiment car je suis fan depuis 2004. Tes photos deux photos du groupe m'ont rendue nostalgique.
Amélie-Marie
Va vraiment falloir que j’aille écouter cela de plus près ! La musique au Japon est bien l’un des grands domaines qui m’échappe !