Le suicide au Japon, un fléau chez les jeunes
- Amélie Marie
- 14 juin 2015
- Japon
Lorsque l’on évoque le suicide au Japon, c’est souvent en pointant du doigt le pays comme étant une exception avec des chiffres affolants. En réalité, le Japon n’est pas tout à fait en tête de liste.
Le Japon n’est pas le champion du suicide.
Aussi connu que soit le pays pour cette problématique, il convient de rappeler qu’il n’est pas en première position dans les statistiques mondiales. En effet, selon les sources de 2015 de l’organisation mondiale de la Santé, il se classe en 17ème position. En comparaison, la France est elle classée 47ème. Et les statistiques sont repassées sous la barre des 30 000 suicides par an depuis 2012. En 2014, le Japon recensait 25,218 cas quant la France en compte environ 10500 en France par an. Cette baisse intervient après une hausse dramatique du suicide au Japon durant les années 90. C’est à cette à cette époque que l’opinion publique japonaise a commencé à se mobiliser.
Fort justement évoqué en commentaire de cet article, il convient cependant de temporiser. Certes, le Japon n’est pas le champion du suicide à l’échelle mondiale. Néanmoins, il n’est pas loin de l’être au sein des pays industrialisés.
Une mort honorable ?
Il est important de prendre en consideration la dimension culturelle du suicide. Celle-ci n’est pas la même qu’en France. Le suicide au Japon fut longtemps considéré comme une mort honorable.
Dans la culture japonaise, par exemple, on a principalement deux types de suicide : honorable et déshonorant. Le suicide honorable est un moyen de protéger la réputation d’une famille après que l’un de ses membres se soit attiré le déshonneur en commettant un crime – détournements de fonds, abandonner ses études, ou à l’inverse en sauvant son pays, comme ce fut le cas avec les kamikazes de la Seconde Guerre Mondiale.
Le suicide déshonorant, est l’acte qui consiste à s’ôter la vie pour une raison personnelle, afin d’échapper à quelques tourmentes. Ceci est considéré comme une façon lâche de quitter la vie et un lâche ne peut qu’apporter le déshonneur à sa famille «
The Moral Dimensions of Properly Evaluating and Defining Suicide, Edward S. Harris, 2009
Le suicide au Japon est particulièrement lié à son contexte social et culturel. Les années 1990 voient le développement des sites internet liés au suicide. À travers ces plateformes des inconnus formaient des « promesses de suicides ». Les médias japonais avaient été affolés par cette morbide tendance. Ces pactes, appelés « shinju« , étaient passés sur des forums. Les signataires projetaient de se réunir afin de se donner la mort ensemble. Si le concept existait traditionnellement, sa version moderne n’a évidement pas été socialement acceptée. Les pactes ont été dépeints comme des actes violents et irréfléchis.
La situation économique est aussi un facteur prédominant dans le suicide au Japon.
L’éclatement de la bulle économique a fait voler en éclat le schéma traditionnel du salaryman et de son emploi à vie. Les japonais ont été confrontés à la précarité du travail après une période faste. En 2010, on estime que 57% des suicides sont liés au chômage. À l’inverse, la crainte de perdre son emploi pousse les salariés à encaisser beaucoup plus de pression et d’heures de travail. Ces conditions de travail mènent de ce fait à des dépressions, mais aussi à la mort par surmenage, appelée « karoshi ».
Les crédits souscrits auprès des banques pèsent aussi dans la balance. D’après l’Agence Nationale de Police, un quart des suicides sont liés à l’argent. Les conditions d’emprunt sont tellement strictes qu’elles forcent l’emprunteur à avoir un garant. La pression et la honte de faire peser un tel risque sur un proche pousse les emprunteurs au désespoir. Pour s’en sortir (sic), ils souscrivent une assurance-vie prenant en charge le paiement de leur dette en cas de décès. D’après certains experts, le harcèlement des débiteurs les pousse à emprunter cette voie… Certaines institutions douteuses souscrivent elles-même à une assurance « suicide » dont elles n’informent pas les emprunteurs.
Pourquoi la jeunesse japonaise choisit-elle de mourir ?
Si les chiffres sont en chute ces dernières années, phénomène associé à une reprise économique, la moyenne des suicides concernant les jeunes est toujours très élevée. Cela inquiète le gouvernement japonais qui s’interroge. En effet, les parallèles dressés précédemment entre emploi, situation économique et suicide ne correspondent pas à la situation des jeunes japonais. Le suicide des jeunes est la première cause de décès pour les japonais âgés de 15 à 39 ans – 15 à 44 ans pour les hommes, 15 à 34 chez les femmes. Soit deux fois plus qu’en France, trois fois plus qu’en Allemagne et quatre fois plus qu’en Italie. C’est plus élevé que les décès par maladies ou accidents de la route.
La maladie du mois de mai, une dépression fatale.
Connaissez-vous l’expression japonaise « la maladie de mai », dite 五月病 (go-gatsu-byou) ? Cliniquement reconnue, elle désigne une période de dépression pour les japonais et frappe en particulier les élèves, étudiants et les nouveaux employés. En effet, au Japon, les rentrées universitaires et professionnelles ont lieu au mois d’avril. Cela marque le début d’une nouvelle classe ou d’une nouvelle école, ou encore, le début d’un nouveau mode de vie. Parfois, cela va de pair avec la première prise d’indépendance : les étudiants ou les jeunes employés viennent de quitter le domicile familial. Avril rime donc avec l’excitation de la nouveauté, l’attente et les espoirs des jeunes japonais.
Cependant, cette période est coupée par une semaine de congés un peu particulière : la Golden Week. C’est une série de jours fériés qui s’accumulent dans le cas où les écoles ou les entreprises ferment pour faire une semaine de repos. Or à leur retour, les japonais qui vivaient cette nouvelle transition perdent leur enthousiasme, voir se sentent déprimés et abandonnés. En bref, ils n’arrivent pas à s’ajuster à leur nouvel environnement.
C’est aussi en prime la période à laquelle tombent les impôts japonaise, ce qui n’arrange pas les humeurs des uns et des autres. Avec la récession économique actuelle et la stagnation des salaires, les étudiants ne peuvent qu’avoir un regard sombre sur l’avenir, tandis que les jeunes employés n’ont pas grand espoir d’améliorer leur fin de mois.
Le harcèlement, notamment sur les réseaux sociaux.
Les faits divers évoquent régulièrement le cas de lycéens mettant fin à leurs jours après des cas de harcèlement verbaux et ou physique par les camarades mais aussi les enseignants. Démunis et fragiles, face à la persécution, au harcèlement et au stress causés par leur environnement social, les jeunes préfèrent se suicider.
D’après le chercheur Yamauchi Takashi du Centre de Stratégie Générale pour la Prévention du Suicide (Institut de recherches pour la santé mentale) :
« Dans tous les pays du G7 en dehors du Japon, parmi les jeunes, les maladies telles que le cancer ou les accidents de la circulation routière sont les causes les plus fréquentes de décès. Cependant, alors que le taux de suicides chez les personnes d’âge mûr et les personnes âgées a diminué au Japon, cette faiblesse psychologique se distingue parmi les plus jeunes. Je me demande si c’est lié au fait que nous n’apprenons pas à nos jeunes à gérer avec le stress comme ils le font dans d’autres pays ? Il semble que le taux de suicide chez les personnes d’âge mûr et les personnes âgées continuent de baisser, mais chez les jeunes la tendance est à la hausse. En outre, les tentatives de suicide ne sont pas inclues dans ces chiffres« .
Le développement des réseaux sociaux n’arrange pas la question du harcèlement au sein des écoles. Bien des établissements avec l’aide des localités, surveillent les réseaux sociaux. Ils surveillent notamment les intranets mis à dispositions de leurs élèves. L’idée ? Repérer des situations de harcèlement ou de conflit avant qu’elles ne s’enveniment. Cela permet aux équipes d’intervenir de temporiser avec les élèves. C’est un travail massif et malheureusement insuffisant. Cela ne protège pas non plus les jeunes lorsque le harcèlement provient des enseignants ou des employés de l’établissement.
Tant que la détresse psychologique sera perçue comme honteuse, les campagnes ne pourront être effectives
En 2007, le gouvernement japonais a lancé un programme en 9 étapes afin d’inverser la courbe des suicides de 20% d’ici 2017. Le principe était d’en rechercher les causes afin de mieux prévenir. Mais aussi de changer la vision culturelle à l’égard du suicide au Japon. Investissant dans la recherche, la prévention ainsi que les centres de conseil pour les personnes en détresse, le gouvernement a réussi des progrès certains ces dernières années.
Cependant le problème du suicide au Japon est confronté à un écueil de taille que tout étranger perçoit probablement au bout d’un certain temps au Japon. La honte et la stigmatisation entourent la détresse psychologique et les maladies mentales. Plutôt que se tourner vers des études de santé mentale, le gouvernement tente de jouer sur le tableau des facteurs sociaux. Conséquence de quoi, il renforce les programmes sociaux, se détournant complètement des services de santé mental qui auraient bien besoin de se développer dans l’archipel.
mimishuEmilie
D’après les sources citées (OMS 2012), le Japon est bien en tête de liste je dirais, avec la Corée évidemment. Si on y regarde bien, tous les autres pays classés devant le Japon sont des pays pauvres, qui souffrent de la malnutrition, de la guerre, de personnes qui vivent en précarité… Ce sont tous des pays (ou une population) pauvre. Les premiers pays industrialisés n’apparaissent qu’à partir de la 33ème place avec la Finlande suivie de la Belgique. On peut donc dire que le Japon (ainsi que la Corée) a un sacré souci de suicide puisque les gens vivent dans un pays plutôt bien portant, riche et industrialisé (3ème puissance mondiale). Je suis par contre surprise par les chiffres, je pensais que le taux de suicide avait chuté beaucoup plus que ça.
ameliemarieintokyo
C’est un point de vue intéressant, merci de ton commentaire !
Mais j’ai tout de même envie de nuancer sur le niveau de vie au Japon. Je le trouve assez trompeur. En réalité, la situation n’est pas rose pour la population japonaise ce moment (hausse du niveau de vie, baisse du yens et des salaires), et beaucoup sont dans des situations difficiles. Par exemple, le coût de la vie est assez élevé et rend difficile… la natalité. Les japonais n’ont pas le moyen d’avoir des enfants.
Certes, ce sont des difficultés que l’on ne peut pas mettre au même niveau qu’un pays en voie de développement.
Mon nom
La santé mentale est un sujet privé (et assez honteux aussi, oui), je vois pas le Japon tenter de s’immiscer là-dedans… A mon avis, le gouvernement n’en a rien à foutre. Et j’en sais rien mais à mon humble avis la majorité de la population n’en a rien à faire non plus. C’est chacun pour soi ici. Tout le monde a ses problèmes, ceux des autres on s’en fout grave. Y’a bien des ONG vociférantes, mais globalement assez insignifiantes. Alors quand tout le monde dit « ohlala c’est terrible » après qu’un magazine télé eut fait un reportage sur le phénomène, c’est juste pour la forme. Pareil quand le gouvernement dit « on va s’atteler au problème », c’est juste pour faire plaisir. Concrètement y’a rien derrière, et personne n’attend rien du gouvernement non plus.
Au Japon, quand t’es dans la merde, personne va venir t’aider, tu peux bien crever, on s’en fout (à la limite, que la personne en problème disparaisse, ça arrange peut-être tout le monde). Il n’y a donc rien d’étonnant à avoir un gros taux de suicides. La situation va bien à la majorité des gens, elle risque pas de changer.
Genre, chômage, les alloc s’arrêtent au bout de max un an, puis t’as plus rien, zéro, aucune alloc, que dalle. Ils sont censés faire quoi ces gens?
Sinon, 17e, je savais pas, je croyais que c’était pire.
Madame Fujoshi
Merci pour ton article. On a effectivement tendance, dès qu’il s’agit de suicide, à regarder vers le Japon. Je me souviens d’un documentaire où l’on expliquait, en substance, que l’extrême difficulté du système scolaire japonais, avec ses juku implicitement obligatoires pour qui veut intégrer les meilleurs établissements, expliquerait en partie le désespoir de certains jeunes Japonais. S’ils n’arrivaient pas à entrer dans ce cadre, ils n’arriveraient à entrer dans aucun autre, car aucun autre statut social ne leur serait réservé.
Au delà des statistiques globales (bien sûr, il en faut), je pense qu’il faudrait écouter toutes ces personnes gagnées par des envies suicidaires. Concernant les jeunes, la France aussi commence à réagir, à comprendre la gravité du harcèlement scolaire et les conséquences désastreuses de celui-ci. Il faudrait mettre en place des centres pour écouter, tout d’abord, recueillir la souffrance de ces jeunes, pour mieux les prendre en charge. Comme tu le dis, il y a le volet socio-économique, mais aussi tout le volet psychologique, qu’il ne faut pas oublier.