La réticence des japonais vis à vis de la pilule, depuis 1999 jusqu’à aujourd’hui
- Amélie Marie
- 18 janvier 2015
- Japon
Le saviez-vous ? La pilule au Japon n’est pas une évidence. C’est ce que j’ai réalisé lorsque j’ai écrit un article de fond sur le sujet de la pilule, pour Dozodomo.
« Vous savez, je vais au Japon. Là-bas, la pilule c’est encore un peu tabou. Et surtout la croix et la bannière pour l’obtenir, alors vous allez me donner mes plaquettes (et fissa) »
Amélie à sa pharmacienne, avant son grand départ pour le Japon
Un blocage de longue date
Pendant 40 ans, la Japan Medical Association a fait pression contre l’introduction de la pilule dans la société japonaise. Ce n’est qu’en 1999 que le Conseil Central de Pharmacologie autorisa la mise sur le marché de la pilule. Soit 32 ans après la France. Les raisons d’une telle attente avant cette autorisation sont multiples :
- méfiance à l’égard des conséquences sanitaires de la pilule, de son usage sur le long terme pour la santé,
- crainte de l’augmentation des MST,
- ainsi que la peur des répercussions sur les comportements sociaux
- et le développement d’une trop grande promiscuité.
Depuis 15 ans, la pilule n’a pas eu grand succès auprès du public nippon, lui préférant largement le préservatif. Vue de la France, où la pilule fut le premier pas pour une révolution féministe, la suspicion des japonaises à l’égard de la contraception est incompréhensible. Faisons le point.
Situation de la pilule lors de la légalisation en 1999 ?
Une contraception guère populaire
S’interrogeant sur le manque de popularité de la pilule au Japon, la journaliste Kimura Kayoko analyse un article français publié en 1999. Elle conclue que la situation n’a pas évoluée depuis. À l’époque, les journalistes pointent du doigt une certaine immaturité du public. « Les femmes se teignent les cheveux, portent des lentilles de contact, mais ne pensent pas. » Mais aussi un terrible manque d’information. Elles ont peur des effets secondaires de la contraception hormonale. On évoque « une éducation sexuelle inexistante ». 74% des garçons et 55% des filles qui font la découverte de la sexualité avec la pornographie et les manga.
« Les femmes de 18 à 35 ans sont immatures, elles ne contrôlent pas leur vie. Beaucoup pensent que la décision de prendre la pilule dépend de leur partenaire, et elles ne le décident pas seules« , déclare un journaliste français. Fin des années 90, le sexisme perdure dans la chambre à coucher : « je lui demande d’utiliser un préservatif« . La contraception est à l’époque une affaire d’hommes. Lorsqu’elle échoue, elle devient le problème de la femme. « Des patientes face à un échec de contraception viennent souvent dans mon cabinet. Certaines demandent la pilule, mais beaucoup viennent demander un avortement« .
Une opposition farouche
Les opposants à la pilule tiennent des discours forts, diabolisant la pilule. Elle est dangereuse, peu naturelle et une pollution. Sur un plan plus moral, la crainte que cela ne contribue à la dégénérescence morale de la société, à l’hyper sexualisation des jeunes filles. Celle-ci est très forte à la fin des années 90. La société japonaise a peur de l’explosion du phénomène « sugar daddy« . L’article de l’époque explique que les relations sexuelles avec un homme plus âgé, appelées enjokusai, sont à la fin des années 90, un phénomène très problématique pour le Japon.
Alors que la société japonaise a développé une forte industrie du sexe et tolère officieusement la prostitution, elle ne peut pas accepter la sexualité sulfureuse de lycéennes courant après des sacs Louis Vuitton ou Chanel. Les rapports sexuels sont légaux à partir de l’âge de 13 ans. L’autorisation de la pilule fait craindre l’explosion de ce business immoral. Durant la dernière décennie, l’opinion générale s’accorde sur le fait que bannir la pilule dissuade les jeunes filles d’entreprendre ce genre de pratiques. C’est ignorer le fait que beaucoup d’entre elles choisissent l’avortement, et ce, à de nombreuses reprises.
L’avortement, un acte banal ?
D’après l’article français, l’avortement n’est pas un tabou dans l’archipel. Il existe même des cimetières pour les enfants « non nés » et les embryons (水子地蔵, Mizuko Jizo). Cette tradition remonte à 1970. Les conservateurs, face à la hausse des avortements et au déclin de la natalité, décidèrent de construire de nouveaux temples pour créer un sentiment de culpabilité chez les femmes.
Cette politique fut un échec. La natalité japonaise n’a de cesse de chuter depuis. De fait, les japonaises n’hésitent pas à avorter. Mais refusent la pilule. En 1999, 22.4 femmes sur 100 choisissent d’avorter. On parle du Japon comme le « paradis de l’avortement » (ndlr: les occidentales se rendaient au Japon pour en bénéficier). Rien que pour l’année 1998, on comptait 343 000 cas. Et ce ne serait que la partie « officielle » tandis que les journalistes du Financial Times, à l’époque, estiment ce nombre deux à trois fois plus élevé. L’avortement est un business juteux pour les médecins.
D’après une étude de 1998, 79% des japonaises non mariées et 85% des femmes mariées approuvent l’avortement. Cependant, si elles optent pour cette solution plus aisément qu’en Europe, elles n’en sont pas moins blessées et surtout culpabilisées dans une société qui renvoie des messages contradictoires – entre une politique pro avortement et le développement des temples dédiés aux enfants non nés. « J’ai eu deux avortements. Lorsque j’étais étudiante la première fois, et lorsque j’avais 25 ans. Je ne me sentais pas triste, ni coupable. Mais j’étais en colère qu’il n’existe pas de médicament empêchant la grossesse. (…) Si on me disait de prendre la pilule, j’hésiterai. Je ne la prendrai pas, car les effets secondaires sont plus effrayants« .
En 2009, la pilule ne dore toujours pas au pays du soleil levant
Lors des 10 ans de la légalisation de la pilule au Japon, on constate qu’elle n’est toujours pas privilégiée par les japonaises. En effet, les raisons avancées sont les effets secondaires et le coût. Pour la journaliste Mariko Kato, il est important de faire le point sur la situation. Le préservatif est le roi de la contraception pour les femmes, tandis que la méthode « naturelle » se maintient à 16,7% (étude du ministère de la santé en 2008). Quant à la pilule, on lui donne 2.2% d’utilisatrices, soit tout de même 3 fois plus qu’en 2001 (d’après les laboratoires pharmaceutiques). Mais largement en dessous de la France avec … 55% en moyenne en 2010 !
Pourquoi la pilule n’est-elle pas la bienvenue au Japon ?
(Piru wa naze Kangei sarenainoka) titre un ouvrage de 2005, écrit par Ayako Matsumoto à propos du manque d’enthousiasme du Japon pour la contraception hormonale. Pour l’auteur, il est évident que la légalisation précoce de l’avortement, en 1949 (The National Eugenic Law, devenue The Maternal Protection Law en 1996), joue un rôle prépondérant dans la situation. Durant l’après guerre, le gouvernement privilégie l’avortement comme méthode de contrôle de la natalité, et milite aussi pour l’usage du préservatif afin de prévenir un baby boom dangereux pour sa croissance économique (Yasuko Tama, “Bosei Ai to iu Seido”).
Tandis qu’en Occident la pilule symbolise la libération de la femme, au Japon où l’on pouvait déjà régler les petits « accidents », la pilule est mal vue des femmes elles-mêmes. Elle leur impose un stress physique et émotionnel, tandis que les hommes échappent à leur responsabilité. La contraception hormonale est aussi vu comme une substance qui vient détourner le fonctionnement normal d’un corps sain. En 2009, les observateurs évoquent un problème d’information, notamment auprès des jeunes qui empêche l’accès à la pilule. Mais aussi des exagérations mal comprises concernant les effets secondaires.
Fin des années 2000, la pilule du lendemain arrive sur le marché, l’avortement recul
Des années 50 où se comptait entre 40 et 50 avortements pour 1000 femmes en âge de procréer, le Japon passe à 9.3 femmes sur 1000 en 2007. En bref, 256 000 pour l’année. Le ministère de la santé japonais met ce recul sur le compte du préservatif. Et rechigne à mentionner la pilule. Le Japon se classe même en deçà des statistiques occidentales. Celles-ci sont de 19.4 pour 1000 aux États Unis en 2005, 18.2 en Grande Bretagne en 2007. En 2011, le nombre d’avortements a chuté à 202.000 cas, soit moins qu’en France. La pilule du lendemain est enfin commercialisée. On estime alors que 15% des japonaises ont déjà subi un avortement voire deux.
Pour se procurer la pilule du lendemain, d’après une internaute sur le site Madmoizelle, il faut se rendre dans une clinique gynécologique demander la kinkyû hinin piru (緊急否認ピル). Elle ne vous sera délivrée qu’après un questionnaire assez intime sur vos rapports sexuels, votre santé et vos antécédents. Après donation de votre urine dans un gobelet (on aime la France dans ces moments là), vous aurez un entretien avec un médecin. Le coût ? En moyenne 10.500 yens, soit 75 €. Gloups ! Aujourd’hui, on estime qu’un tiers seulement des japonaises connaissent la pilule du lendemain. Seulement 12.3% souhaitaient l’utiliser en 2012 !
D’après une enquête menée entre 2000 et 2010, les deux premières raisons de recours à la pilule du lendemain sont : le préservatif qui craque (37.3%) et l’absence de préservatif avec tout de même 19.8%.
Se faire prescrire la pilule ne semble toujours pas être une évidence, comme le décrit Ashley sur le site internet Surviving in Japan. Appelée keikouhininyaku ( 経口避妊薬) ou plus communément piru (ピル), la pilule n’est ici disponible qu’avec des dosages faibles et relativement différents de ce que l’on a en Europe (d’où mon stock en prévision du départ). Mais le point le plus irritant est qu’il faille payer bien souvent mois par mois votre prescription (3150 yens soit environ 22 € non couverte par l’assurance maladie nationale – même pour les mineures). Les cabinets médicaux suivent en effet les consignes du gouvernement stipulant que les utilisatrices de la pilule doivent se rendre tous les 3 mois pour faire des examens médicaux (notamment pour des dépistages MST), et font des prescriptions de courte durée.
Un parcours du combattant
Au quotidien, les examens ne sont pas si intensément pratiqués. Néanmoins l’habitude de donner des prescriptions de courte durée est restée ancré dans les mœurs des gynécologues japonais. En 2014, on estime que 4,4% des couples nippons choisissent ce contraceptif oral. En effet, le préservatif est très largement plébiscité par la population (92%) au détriment des autres moyens de contraception.
Par ailleurs, un dossier de presse de l’entreprise PR TIMES publie en 2014 les résultats d’une enquête intitulée « Comprendre la prise de la pilule micro dosée comme traitement des crampes menstruelles et du syndrome pré menstruel ».
Son usage est non seulement peu répandu, mais la première motivation n’est pas la contraception. Les japonaises sont d’abord 17,3% à la prendre pour réduire des règles douloureuses, puis 16,1 pour avoir un rythme régulier, et enfin en 3ème position, 15% pour la contraception.
Enfin, obtenir une pilule adaptée semble être le parcours du combattant face à un corps médical à vu de nez peu ou mal informé. On ne s’étonne pas de la mauvaise réputation des pilules dans l’archipel après de tels témoignages. En effet, au Japon, les inquiétudes concernant les effets secondaires sont exagérées et mal comprises du public. D’après des statistiques évoquées en 2009 dans le Japan Times, 60% des utilisatrices sont inquiètes des effets secondaires tandis que 18% le sont pour le coût de la pilule. Lorsqu’on leur demande pourquoi elles n’utilisent pas la pilule, 22,1% des femmes répondent que c’est par peur, 15,7 parce qu’elle coute cher.
Internet comme source d’information
Un petit tour sur les questions Yahoo! nous donne un point de vue assez globale de l’opinion japonaise. Ainsi les réponses à la question « Gronderiez-vous votre fille si vous trouviez la pilule dans sa chambre ? » sont assez partagées. La meilleure réponse avance que « cette jeune fille en est passe de devenir adulte et la pilule est plus sûre que le préservatif (…) elle devient indépendante. Bien sûr, c’est un choc tout de même« . Mais la suivante est déjà plus nuancée : « j’ai une fille de 19 ans je ne la gronderai pas immédiatement, mais je ne l’ignorerai pas, je lui demanderai si elle utilise la pilule pour l’acné ou comme contraception. Si c’est pour la contraception, je me devrais de lui faire la morale (…) ».
Arrivé à la page 2, je déchante. C’est le retour de l’âge de pierre. « Les préservatifs sont mieux contre les maladies. La pilule est mauvaise pour le corps de la femme non mariée » (ndlr: on est d’accord que le préservatif protège effectivement contre les maladies). Sur une autre question, une jeune fille qui a dû prendre la pilule du lendemain, se demande si elle doit accepter de prendre la pilule à l’insistance de son petit copain. La meilleure réponse fait chaud au cœur, « tu es une jeune fille intelligente. Prendre la pilule avec le préservatif est la meilleure protection« . Mais c’est la douche froide avec la suite, entre « je te déconseille la pilule« , « la pilule me rend malade » etc.
La pilule symbolise la fille facile
De manière plus personnelle, mon compagnon japonais confirme mes trouvailles. « Demander à sa copine de prendre la pilule, c’est vu comme égoïste et dominateur » me confia-t-il. « Celles qui prennent la pilule sont vu comme des filles faciles qui vont coucher à tout va« . Quant à son opinion sur la pilule elle-même, il est sans appel « Vous en France, vous acceptez un médicament avec des effets secondaires dangereux à hauteur de 1/10 000. Nous au Japon, nous refusons un si grand risque, 1/100 000 c’est plus sûr. »