Je suis Charlie à Tokyo

Hier, je suis devenue orpheline. Hier, j’ai perdu un bout de mon enfance. Alors que je m’apprêtais à éteindre mon ordinateur, une fenêtre de conversation a clignoté.

« Fou cette histoire de Charlie Hebdo ».

Je n’ai pas compris, mais à peine les mots tapés dans la barre Google, la violence la plus atroce a renversé mon monde. Déboussolée, j’ai suivi le fil des actualités, les tweets, Instagram. Prise dans le tourbillon réactif de l’hyper connexion, j’ai vu les informations se répercuter en anglais, en allemand, en espagnol, en russe, en japonais.

Et puis j’ai lu les noms Charb, Cabu, Wolinski, Tignous, mais aussi Bernard Maris et ces malheureux policiers, tous massacrés par une folie meurtrière intolérable.

Seule dans l’obscurité de ma chambre, j’ai pleuré pour ces morts, choquée par cette violence, émue par la mobilisation du monde entier, le phénomène viral « Je suis Charlie ».

J’aurai voulue être en France, j’aurai voulu me recueillir avec mes compatriotes, faire une avec les milliers ayant répondu à l’appel à Paris, Nantes, Lyon.

J’ai imprimé « je suis Charlie » et j’ai porté toute la journée un crayon sur ma chemise. J’ai regardé la foule du matin s’engouffrer dans le métro de Tokyo, et j’aurai voulu y apercevoir des visages bouleversés, ne serait-ce qu’un seul étranger.

J’ai surveillé les réseaux d’expatriés français à Tokyo, et j’ai vu – à temps – le message de l’Ambassade de France, organisant une commémoration à midi heure locale. C’est avec tristesse que je me suis jointe à plus de 200 personnes pour écouter l’ambassadeur s’exprimer sur cette tragédie. Nous avons observé une minute de silence, suivie de l’hymne national.

Je n’avais jamais compris ce que signifie être « français », ni même jamais vraiment ressenti l’appartenance à une communauté avant ce jour de deuil national. Je n’avais jamais imaginé être émue par l’hymne de la France. Dans ce moment de recueillement, j’ai compris que j’aimais mon pays, sa culture, ses valeurs. Cette attaque a fait se soulever les français, a créé une vague de solidarité dans le monde entier. De ce massacre, j’espère que des milliers de crayons vont s’agiter, pour que, plus que jamais, la liberté d’expression puisse exister.

Je suis Charlie.

Je suis Charlie.

Je suis Charlie.

21 Comments to “Je suis Charlie à Tokyo”

  • Flo

    C’est fou comme j’ai l’impression que chaque Français de l’étranger se dit « j’aimerai être en France » depuis hier. J’aimerai être en France moi aussi, pourtant je suis « en sécurité » ici, mais je me sens impuissante, inutile (alors que je le serais tout autant en France) et j’ai surtout envie d’être auprès de mes proches, d’en parler avec eux, qu’on se prenne dans nos bras.

  • Anitartine

    Comme je te comprends. Et comme je souffre moi aussi, de cette perte. Je pleure depuis hier, car j’ai l’impression qu’en tuant ces personnes, c’est comme s’ils avaient tué un membre de ma famille, ou même un ami. Ou comme s’ils m’avaient tué, moi. Parce que c’est vrai, ils ont tué la France, ils ont tué notre liberté. Je trouve cela injuste, j’ai envie de crier sur le monde, sur ceux qui le vivent bien, qui avancent tout de même, en se disant que c’est la vie.
    Et pourtant, je ne suis pas française. Ni d’origine, ni de nationalité, j’ai débarqué ici étant gamine, et j’aime fortement mon pays d’origine. Mais j’ai réalisé, hier, dans de malheureuses conditions que j’aimais la France, et que même si aucun bout de papier ni génome ne le prouve, je me sens française, et je suis blessée, meurtrie, car ce pays, MON pays souffre. J’ai l’impression qu’on m’a attaqué au plus profond de mon être. Et j’ai la gorge serrée, une boule au ventre, et les yeux humides. Et je suis remplie de haine contre ses gens qui disent qu’ils ont mérité de mourir juste parce qu’ils voulaient rire…
    Et aujourd’hui, comme hier, comme demain, et comme le restant de ma vie, je suis et je serai Charlie.

  • Nico

    Bonsoir,
    Je me retrouve complètement dans ton article et dans les commentaires, j’ai trouvé ton blog en cherchant un peu désespérément un rassemblement « je suis charlie » à Tokyo, en vain.
    Rarement je ne me suis senti aussi impuissant, aussi seul. On blesse mon pays et je ne peux rien faire, ni me réunir avec ma famille et mes amis ou des compatriotes. J’aurais juste voulu rencontrer un français ou une française pour trouver partager la douleur, être solidaire, s’entraider.
    Même réaction un peu indifférente de la part de mes collègues de travail, au fond je les comprends, ce n’est pas leur pays, ils ne comprennent pas, ni ne mesure l’impact et le choc occasionné par le 7 janvier. A ce moment là, et dans les transports ce matin, en voyant que j’étais visiblement le seul à me sentir aussi mal, voire sans doute le seul au courant, j’ai vraiment compris que j’étais Français et que malgré tous les défauts que je reconnais à mon pays et à ses habitants qui râlent (comme moi au fond), je l’aimais profondément, sa culture, son histoire, ses valeurs, ses forces, ses faiblesses… La France.
    Malheureusement je n’ai pas pu allé à l’ambassade.
    Donc moi aussi, je suis Charlie.
    Ensemble, Nous sommes Charlie.

    • HUC

      J’ai un fils en ce moment à TOKYO, comme vous tous, français loin de votre pays vous vous sentez profondément seuls et impuissants, mais vous êtes tous CHARLIE aujourd’hui, que ce soit votre force et votre fierté d être Français, nous savons que vous êtes de tout coeur avec votre pays.

  • Béné

    J’ai choisi de ne pas en parler sur mon blog ou sur les réseaux sociaux mais je suis bouleversée. Le peu de compassion de mes collègues (« ah bon y’a eu un attentat en France ? Au fait tu as fait ce travail ? ») m’a encore plus blessée.
    Je n’ai pas de mots, ce que je ressens est horrible.J’aurais aimé pouvoir aller à une commémoration.

    • ameliemarieintokyo

      Je ne vois qu’un commentaire de ta part, est-ce celui de 23h29 que je dois retirer ? Sinon, oui, j’ai hésité, et puis finalement, j’ai eu cette inspiration un peu triste. Et j’ai été aussi blessée que les étrangers autour de moi ne réagissent pas plus que ça, lorsque l’on voit tous ces mouvements de solidarité ailleurs !

  • Béné

    Oups j’ai posté le commentaire avec le compte de mon futur site. Peux-tu le supprimer stp ? je le reposte.

  • yokafukuoka

    J’ai choisi de ne pas en parler ni sur mon blog ni sur les réseaux sociaux mais je suis bouleversée et je n’arrête pas d’y penser.
    Le peu de compréhension de mes collègues (« ah bon y’a eu un attentat en France ? Au fait tu as fait ce travail ? ») m’a encore plus blessée.
    Je n’ai pas de mot, ce que je ressens est horrible.

  • Just Sissi Diana

    Arigatou! Merci beaucoup à toi pour ce touchant article!
    Amicalement,
    JSD.

  • mademoiselle a

    La meme chose que toi. j’ai tout suivit a la radio, j’etais boulversee. Mon pays, ma france saigne. comme si on avait tuer une personne de ma famille. Merci pour ton article qui exprime mon ressenti d’expat Je suis Charlie!

    • ameliemarieintokyo

      Merci de ton commentaire. C’est exactement ça, on a beau être loin, ne pas avoir de parenté, nous perdons quelque chose d’important, des personnes chères. Chères à la France pour leurs oeuvres et leur engagement. Être loin déboussole en ce que nous voudrions tellement communier avec les autres, mais nous restons isolés (j’aurai aimé que le Japon se bouge un peu comme à New York ou Melbourne mais non …). Je suis Charlie !

  • Eugenie

    Ton article est complètement bouleversant, de par la distance que tu vis mais qui te rapproche malgré tout. Soyons tous unis, par dela le monde.

    • ameliemarieintokyo

      Merci beaucoup. Je suis déboussolée depuis hier, et affolée des nouvelles informations. D’autres commémorations se sont tenues à Tokyo, mais je n’ai plus la force. Soyons unis, et levons nos crayons !

    • Sam

      Bonjour, j’habite comme toi a Tokyo mais j’étais de retour en France pour Noël, je suis revenue hier soir… Comme tu le sais et comme tu as du le lire sur les réseaux sociaux, la France entiere est sous le choc mais s’est enfin unie sous une voix. J’ai le sentiment de fuir alors que je devrais être là-bas a défiler dans les rues mais ni toi ni moi ni aucun français expatrié ici n’a besoin de rester inactif. Nos cœurs a tous sont avec tous ceux qui continuent de se battre pour notre droit le plus fondamental et je ne sais pas s’il y en aura d’autres, mais si jamais d’autres rassemblements etaient prévus a tokyo ces jours ci ça me ferait très plaisir de t’y retrouver et qu’on se batte avec l’arme la plus forte qu’il y ait, la parole.

    • Kameleon Factory

      Merci pour ton témoignage d’au delà les terres et mers. Les distances n’atténues pas l’unité qui s’éveille partout. Nous sommes tous ensemble, nous sommes tous Charlie.

    • ameliemarieintokyo

      Merci beaucoup. Partout les crayons se lèvent et les pancartes se brandissent. Cela fait chaud au coeur de voir que l’humanité ne se laisse pas faire par la barbarie. Tous ensemble, soyons Charlie !

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