Plus fort que l’horoscope : les japonais se passionnent pour la théorie des groupes sanguins
- Amélie Marie
- 20 décembre 2019
- Société et Culture Japonaise
La seule raison pour laquelle je connais mon groupe sanguin est que je suis donneuse universelle, comme 6% des français. Je vous avoue que je n’y pense pas au quotidien. Mais pour les japonais superstitieux, savoir si vous êtes de type A, B, AB ou O tient de la plus haute importance. Car au Japon, les groupes sanguins déterminent votre personnalité et votre vie. Rien que ça !
Lâchez vos signes astrologiques, les groupes sanguins déterminent votre personnalité.
Amateurs de jeux vidéo, manga et animes ne manquent pas de connaître le groupe sanguin de leurs personnages favoris. Et pour cause, les auteurs nippons ont tout intérêt à connaître les rhésus sur le bout des doigts pour éviter la “gaffe scénaristique” lorsqu’ils font des fiches de personnages. Car les fans les plus superstitieux ne manqueront pas de pointer du doigt un personnage incohérent au regard de la théorie des groupes sanguins. Dans la « vraie vie », acteurs, chanteurs, personnalités et politiciens voient aussi leur ABO dévoilés au grand public.
C’est que la pseudoscience des groupes sanguins, dont les racines remontent aux années 1920, suppose que les groupes AOB définissent non seulement la personnalité d’une personne, mais aussi son tempérament, ses compatibilités amicales et amoureuses voire son employabilité. C’est, traduit du japonais, la théorie « de la classifications des personnalités en fonction des groupes sanguins » (血液型性格分類).
Et les japonais le prennent très (trop ?) au sérieux au grand dam des scientifiques. En 2014, plus de 50% de la population y croit (encore).
Elle prête à sourire. Pourtant cette théorie a de sacrées ramifications dans la vie quotidienne. À commencer par vos conversations avec les japonais. Ils n’hésitent pas à vous demander à brûle-pourpoint votre rhésus. La majorité d’entre eux connaissent le leur et ils n’estiment pas cette information comme privée. Ils ont aussi une fâcheuse tendance à justifier leur comportement à partir des stéréotypes liés à leur groupe sanguin.
Côté business, les entreprises tiennent là un excellent filon. Certains sites de rencontre nippons proposent par exemple de vous mettre en contact avec un partenaire au groupe sanguin est compatible avec le vôtre. Boisson, alimentations, compléments alimentaires mais aussi préservatifs et sels de bain sont adaptés “aux besoins” des groupes A, B, AB ou O. Tout une industrie s’est développée autour de cette théorie (bidon) et profite de la superstition des consommateurs.
Eugénisme nazi à la sauce japonaise.
La découverte des groupes sanguins ABO remonte aux travaux du scientifique autrichien Karl Landsteiner en 1901. Ses travaux, d’une importance vitale pour la médecine (ils permettent les débuts de la transfusion sanguine moderne) sont malheureusement détournés par les scientifiques nazis pour justifier l’idée d’une suprématie raciale et mener une politique eugéniste. Gloups.
Ce détournement inspire en premier lieu le professeur Takeji Furukawa qui publie un ouvrage déterminant sur le sujet en 1927, Étude du caractère selon le groupe sanguin. Bien qu’à sa suite le gouvernement japonais avait mené une étude démentant cette théorie, les travaux de Takeji Furukawa marquent les esprits. Cet universitaire inspire même les méthodes d’entraînement de l’armée japonaise pour faire de meilleurs soldats.
Si cette théorie tombe dans l’oubli dans le Japon de l’après guerre, Masahiko Nomi, journaliste sans aucune formation médicale, la remet au goût du jour avec un ouvrage en 1970. Bien que critiqué, le livre fait mouche. Son fils, Toshitaka Nomi reprend ensuite le flambeau en publiant une série d’ouvrages sur le sujet, puis en fondant l’institut Blood Type Humanics, et plus tard, le Human Science ABO Center.
Avec une littérature conséquente consacrée aux personnalités selon les groupes sanguins, cette pseudoscience décriée par le corps médical reste fortement ancrée dans les mentalités nippones.
Dis moi ton ABO, je te dirai qui tu es.
Groupe sanguin A : Gardien de la paix
C’est le groupe sanguin le plus populaire et apprécié au Japon. Et pour cause, la personnalité du groupe A correspond à TOUS les stéréotypes qui courent sur les japonais.
Ainsi, les A sont organisés, timides, polis, consciencieux, doux et dévoués. Dotés d’un fort esprit d’équipe, ils sont d’excellents médiateurs et savent offrir une oreille compatissante à ceux qui ont besoin de s’épancher. En revanche, les membres du groupe A sont malheureusement aussi de grands stressés. Il faut dire que, afin de préserver l’harmonie et la bonne entente, ils évitent d’exprimer leurs opinions, surtout si celles-ci peuvent donner lieu à des controverses !
En amour : armez-vous de patience et soyez doux, car les A n’ouvrent pas facilement leurs coeurs. Sensibles et facilement blessés, le meilleur partenaire pour un A est un autre A. Car ils peuvent mutuellement se comprendre et partager leur amour de l’organisation.
Au travail : dévoués à leur travail, ce groupe sanguin les prédestinent à être de sérieux et méticuleux employés. Ils mettent les bouchées doubles au bureau et accomplissent leurs tâches en temps et en heure. La vocation parfait d’un A ? La comptabilité ou encore l’économie.
Groupe sanguin B : Le casse-couille casse-cou
Aïe, aïe, aïe. Il va en falloir des points de popularité pour remonter la réputation du groupe B, aux antipodes de l’image du nippon parfait.
Leur personnalité présente pourtant d’excellentes qualités : créativité, passion, curiosité, dynamisme. Capables de faire face à n’importe quel problème, les B sont des aventuriers avec un fâcheux défaut. Ils n’aiment ni les règles, ni les limites. En clair, au pays de la conformité où le clou qui dépasse appelle le marteau, une personne de ce groupe sanguin est forcément irresponsable et égoïste.
En amour : développer une relation amoureuse entre un A et un B est le bingo gagnant du drama (série télévisée japonaise) pour s’assurer une saison complète de rebondissements. Les B, peu sentimentaux et instables, sont des briseurs de coeur. Brut de décoffrage et égoïste, seul un B – éventuellement un O, peut sortir avec un autre B.
Au travail : destinés à être musiciens, journalistes ou auto entrepreneur, les B ne font pas bon ménage en entreprise.
Fort malheureusement, cette pseudoscience entraîne des conséquences bien réelles, avec une discrimination à l’embauche.
Certains employeurs n’hésitent pas à exiger le groupe sanguin des candidats sur leurs C.V.. Anecdote notable, le ministre de la reconstruction après le tremblement de terre de 2011, Ryu Matsumoto, démissionna 9 jours après être entré dans son ministère. Il avait scandalisé l’opinion par des remarques insensibles à l’égard des zones sinistrées. Lorsqu’il présenta sa démission, il se justifia publiquement en déclarant :
“Je voudrais présenter mes excuses pour avoir offensé les habitants des zones sinistrées. Je pensais être émotionnellement proche des victimes de la catastrophe, mais j’ai manqué de mots adaptés et mes commentaires étaient trop durs. Mon groupe sanguin est B, ce qui signifie que je peux être irritable et impétueux, et mes intentions ne sont pas toujours comprises”.
Oui, oui, c’est cela.
Traduction : “c’est pas ma faute, c’est dans ma nature (sanguine)”.
Groupe sanguin AB : Gémeaux équilibriste
S’il vous fallait des arguments pour dénoncer la théorie des groupes sanguins, la fiche du groupe AB est un bon début.
Comme on mélange des couleurs en peinture, leur personnalité est le résultat… de l’addition de A + B (ndlr : mes yeux roulent dans leurs orbites). En somme, ce groupe est la version rhésus du signe astrologique gémeaux. Équilibre et harmonie, pour chaque qualité, le AB a un défaut correspondant : amical, il est timide, confiant en soi, il est aussi hésitant à agir, spirituel, il garde les pieds sur terre avec un besoin de rationalité.
En amour : franc et ouvert, le AB est un bon partenaire car il comprend mieux que quiconque tous nos petits défauts.
Au travail : ce groupe sanguin est plutôt rare au Japon, et c’est bien dommage. Ils font de parfaits professeurs, avocats et travailleurs sociaux.
Groupe sanguin O : Le meneur de troupe
(Psst, c’est moi ! Toute mon enfance, ma famille m’a surnommée le “petit dictateur”. Peut-être avaient-ils mis le doigt sur quelque chose…)
Nés pour diriger, les O sont d’éternels optimistes, prêts à prendre en charge le monde sur leurs épaules avec enthousiasme. Meneurs de troupe, ils sont particulièrement attentionnés avec les plus jeunes. En revanche, il leur faut un assistant (et une montre), car ce ne sont pas le sens du détail et la ponctualité qui les étouffe. Ils se révèlent aussi un peu tête de mule sur les bords.
En amour : il a beau être dictateur en public, en privé le O aime être gâté et protégé par son partenaire. Quoiqu’il fasse, il est vite pardonné, car c’est un éternel grand romantique.
Au travail : politique, politique, politique. Ou dirigeant d’entreprise. Capables de contrôler leurs émotions, les O gardent le cap lorsqu’ils affrontent des situations stressantes.
Bilan (sanguin)
Le saviez-vous ? La répartition des groupes sanguins au sein d’une population change d’un pays à l’autre. Ainsi, au Japon, le groupe A représente pas loin de 40% des japonais. Le second groupe le plus présent est O, avec 30%. Du fait de leur présence minoritaire, les deux derniers groupes, B (20%) et AB (10%) font le plus l’objet de discrimination.
Dans les années 90, plusieurs publications académiques propagent des stéréotypes négatifs et dégradants. Très vite des voix s’élèvent pour critiquer leur totale absence de fondements scientifiques. En 1998, des travaux de recherches sur les conséquences sociales de cette théorie évoquent pour la première fois le ブラハラ (bura-hara pour blood harassment). Le harcèlement au groupe sanguin. En particulier source de harcèlement scolaire, le bura-hara entraînerait aussi une perte de chance professionnelle et amoureuse.
Aujourd’hui encore, et malgré de nombreuses tentatives de démystifications scientifiques, beaucoup de japonais persistent à croire à ces “horoscopes sanguins”. Petite consolation, ces croyances n’ont au moins pas d’impact sur les dons du sang.
Eugénie
Aïe aïe aïe, j’ai ri et en même temps… Je suis B, et je correspond vraiment bien à la description (sauf en amour). Et tous les trucs avancés sur le non respect des limites, des règles, et la difficulté pour moi de bosser en entreprise et en équipe étaient toutes les raisons qui m’ont retenue d’avoir envie d’aller vivre au Japon un jour. Comme quoi… ^^ »
ameliemarieintokyo
Merci de ton gentil commentaire ! J’avoue que ce n’est pas à côté de la plaque pour O non plus, ce qui est bien mystérieux ! 😀
Daniel
Bonjour de Provence !
Votre article est intéressant, j’ignorais que les japonais rattachaient le groupe sanguin à la personnalité de l’individu !
J’espère quand même que cette mention n’est pas obligatoire dans les CV ?
Par contre, O comme vous, je me retrouve dans les traits de caractère que vous décrivez !
En France, on se fie plutôt à la graphologie ou à l’astrologie.
Joyeux Noël et bonne année !
ameliemarieintokyo
Merci d’être passé par ici et d’avoir laissé un gentil commentaire 🙂 cela me fait très plaisir ! Heureusement, en général, non, le groupe sanguin n’est pas demandé et je ne suis pas sûre que le réclamer soit tout à fait légal. Cela n’empêche pas certains employeurs d’enquêter !
Un Joyeux Noël et une excellente année à venir !