Le Japon interdit le retour des résidents étrangers sur son territoire
- Amélie Marie
- 23 juillet 2020
- Covid-19, Japon, Société et Culture Japonaise
La pandémie de coronavirus a forcé les pays du monde entier à repenser leurs frontières et a contrôler les voyageurs. Mais alors que beaucoup de puissances étrangères permettent à leurs ressortissants ainsi qu’à leurs résidents étrangers de circuler, le Japon a interdit l’entrée à toute personne non-japonaise.
Ainsi, les citoyens japonais peuvent rentrer au Japon moyennant un test PCR et 14 jours de quarantaine. En revanche, les résidents étrangers, eux, ne sont toujours pas autorisés à repasser la frontière pour rentrer chez eux.
Ce double standard a entrainé, et continue d’entrainer, de graves conséquences pour les personnes concernées. Les nombreuses critiques à l’égard de cette inégalité de traitement ont forcé le gouvernement japonais a se pencher sur la question. Cette semaine, le premier ministre Abe Shinzo a déclaré un futur assouplissement à l’égard des résidents étrangers. Mais aucune date, ni détail précis n’ont été communiqués.
Le Japon a fermé ses frontières à de plus en plus de pays dès la mi-mars
Avec la propagation de l’épidémie de covid-19 en Europe et en Amérique du nord, le ministère des affaires étrangères japonais a commencé à interdire l’entrée de voyageurs en provenance de plus en plus de pays. L’immigration a invalidé les visas déjà obtenus. Les ambassades ont suspendu tous les dossiers en cours. Un véritable cauchemar pour de nombreux étudiants et travailleurs préparant leur arrivée au Japon pour la rentrée du mois d’avril.
Et c’est le 3 avril que le couperet est tombé de manière fracassante. Les voyageurs étrangers ayant séjourné ou transité par des pays touchés par la pandémie, soit aujourd’hui une liste de 129 pays, sont interdits d’entrée sur le territoire japonais.
La transition s’est fait de manière très chaotique avec des voyageurs, partis la veille de la décision, refoulés à leur arrivée. Ce fut le cas de l’un de mes étudiants, alors que nous avions pourtant fait confirmé son voyage auprès de l’ambassade du Japon et vérifié une dernière fois auprès de la compagnie aérienne à son départ. Vingt heures de trajet avec escale pour se voir manu militari placé dans un vol de retour quelques heures plus tard.
L’interdiction de retour des résidents étrangers sans distinction
Le problème, c’est cette restriction drastique ne distingue pas les touristes des résidents. En pratique, ce serait environ 88,000 étrangers partis avant le 3 avril et 12,000 partis après cette date, bloqués à l’étranger depuis le printemps. La presse japonaise a recensé au moins 480 cas de résidents refoulés à la frontière comme l’a été mon étudiant.
Ces résidents sont des travailleurs en déplacement, des étudiants qui ont été sommés de rentrer dans leur pays le temps que la crise passe. Mais aussi des personnes appelées en urgence par leurs proches au tout début de la pandémie. Seules ces dernières peuvent sur dossier pour « raison humanitaire”, revenir au compte-goutte.
Actuellement, les rares étrangers autorisés à entrer sur le territoire sont les diplomates, les employés de compagnies aériennes et ceux dont le pays d’origine n’est pas sur la liste (encore faut-il réussir à choper un vol ne passant par aucun pays interdit d’entrée).
Quant à « nous », résidents étrangers sur le territoire japonais, nous ne pouvons sortir du territoire sous peine de ne pouvoir revenir jusqu’à on ne sait quand.
Cette situation angoissante nous force à faire une croix sur revoir nos proches, faire des déplacements professionnels ou assister à des séminaires. Je parle bien ici de déplacements essentiels.
Seuls les dossiers pour motifs humanitaires sont pour le moment considérés par l’immigration. Mais ces dossiers, comme l’a expliqué Laurent Pic, Ambassadeur de France au Japon, dans un email adressé aux français vivant dans l’archipel, sont complexes :
« (…) les autorités japonaises acceptent d’accorder des dérogations, au cas par cas et justifiées par des motifs humanitaires, dont elles ont une compréhension extrêmement restrictive. Elles évoquent notamment, parmi les possibles circonstances exceptionnelles, un retour pour assister à des funérailles à la suite du décès d’un membre proche de la famille, pour raisons médicales (…) ou encore pour une convocation par la Justice. Une procédure lourde et nécessitant de nombreux justificatifs très détaillés permet à l’ambassade de présenter des demandes et d’obtenir des autorisations de voyage, qui ne font cependant jamais l’objet d’une confirmation écrite par les autorités japonaises, les décisions d’admission sur le territoire appartenant, en dernier ressort, aux officiers de l’immigration à l’arrivée.«
Les japonais, eux, peuvent voyager du moment que les frontières leur sont ouvertes et ce, pour des raisons professionnelles ou personnelles, si l’envie leur chante d’aller voir ailleurs. L’absurdité va jusqu’à autoriser les japonais nés à l’étranger et vivant à l’étranger à entrer sur le territoire, mais à refuser l’entrée des étrangers nés et ayant mené toute leur vie au Japon.
Pourtant, le virus ne discrimine pas les nationalités, n’est-ce pas ?
Je ne suis pas une experte, aussi je peux me tromper, mais il semblerait que le Japon ne peut, en principe, entraver les déplacements de ses citoyens. Aussi l’immigration n’aurait pas les moyens pratiques de limiter le déplacement des japonais tant que les frontières des autres pays leur sont ouvertes.
L’interprétation du mot citoyen tel qu’évoqué dans la Constitution japonaise peut être exclusive aux citoyens de nationalité japonaise ou au contraire inclusive des résidents étrangers. C’est malheureusement la première interprétation qui a été choisie ici.
Or si contrôler au maximum les déplacements internationaux n’est pas insensé, en se basant sur le seul critère de la nationalité, l’administration japonaise a carrément fait l’impasse sur les conséquences redoutables pour les résidents étrangers.
J’ai été choquée de voir certains prendre la défense d’un choix administratif pris, sans doute plus par manque de réflexion que par volonté consciente d’exclure les résidents.
Il est absolument capital de réaliser que les résidents étrangers ont leur vie au Japon : leur famille, leur travail, leur domicile… Certains, sans y être nés, y ont grandit. Ne pas avoir la nationalité japonaise ne les empêche pas d’avoir leur maison, leur chez-soi, au Japon.
Quand bien même ces oubliés de l’immigration seraient à l’heure actuelle dans leur pays d’origine, ils n’y ont pas forcément d’attache. Parfois sans logement et sans moyens financiers, ces résidents continuent de payer leurs abonnements, de rembourser un emprunt immobilier. De même, ils ont toujours des obligations envers la société japonaise : impôts, retraite, assurance santé continuent d’être dûs et prélevés. Et que dire de leur travail ou de leurs études !? Enfin, certains se retrouvent ainsi séparés de leurs partenaires et de leurs enfants.
Un double standard qui fait des étrangers des résidents de “seconde classe”
Résidente permanente, je vis au Japon depuis 2013. Je paye des impôts, ma sécurité sociale et ma retraite comme les japonais. Mais aujourd’hui, si je sors du Japon, je ne sais pas si je pourrais rentrer chez moi. Mon mari peut lui aller et venir avec pour seule restriction d’être testé et de faire une quarantaine (qu’il pourrait ne pas respecter, en vérité).
Cette inégalité de traitement est absolument inacceptable. Heureusement la communauté étrangère, les autorités consulaires et les lobbies du monde des affaires n’ont eu de cesse de dénoncer cette situation auprès des membres du gouvernement japonais.
L’Allemagne a officiellement décidé de refuser l’entrée de citoyens japonais sur son territoire tant que les ressortissants allemands résidents au Japon ne peuvent rentrer. Une mesure qui pourrait bien inspirer d’autres pays européens.
【日本からドイツへの渡航について】
— ドイツ大使館🇩🇪 (@GermanyinJapan) July 7, 2020
ドイツから日本への渡航者への入国制限緩和が合意に至るまで、当面、日本からドイツへの渡航者の入国制限は継続されます。(詳しくは画像をご覧ください)
新しい情報は随時こちらに更新されます。https://t.co/icglHBo1WG pic.twitter.com/kI00FaYbZL
Quant au European Business Council in Japan, il a publié un communiqué mettant en avant qu’interdire l’entrée des residents étrangers va à l’encontre de l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 qui déclare « [nul] ne sera arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays. »
The @eb_cin says Japan’s strict (re-)entry ban on permanent & long-term residents may be in breach of Article 12 of the International Covenant on Civil and Political Rights, which clearly states that “[n]o one shall be arbitrarily deprived of the right to enter his own country.” pic.twitter.com/BNwNpOc4Hh
— magdalena osumi 💁🏼♀️ (@jt_mag_os) July 22, 2020
Un assouplissement de cette interdiction en vue
Des mois après la mise en place des mesures d’interdiction d’entrer sur son territoire, le gouvernement japonais a reconnu le problème et commencé à se pencher sur un début de solution.
Toutefois, l’assouplissement évoqué cette semaine est encore bien flou. Il ne vise pour l’heure, que les étrangers partis avant le 3 avril 2020. La priorité serait données aux étudiants et aux travailleurs d’entreprises… étrangères. Les employés de compagnies japonaises peuvent donc aller se brosser. Enfin, n’oublions pas les hommes d’affaires, qui seraient autorisés à entrer au Japon à la condition qu’ils s’y rendent… avec leur propre jet.
Cette correction des restrictions serait mise en place progressivement à partir du mois d’août.
Quant aux 12,000 étrangers partis après la mise en place des restrictions de séjour, ils ne seraient pas concernés. Tout comme les étrangers ayant un visa mais n’ayant pas encore activé leur résidence dans le pays.
On est encore loin de ce que souhaite la communauté étrangère, qui est, sans trop me tromper, une base cohérente et équitable pour établir les règles concernant les déplacements en dehors du Japon. Comme les citoyens japonais, les résidents étrangers peuvent parfaitement se plier aux règles de la quarantaine et passer les tests PCR avant leur arrivée.
Un F- pour le Japon
Il est ressorti des discussions menées avec les membres du gouvernement japonais, que les politiciens nippons étaient dans l’ignorance totale des conséquences des mesures migratoires qu’ils ont prises.
Cela révèle une fois de plus le manque d’intérêt de la classe politique japonaise pour la situation des étrangers, alors même que le gouvernement tente depuis plusieurs années de rendre le Japon attractif. C’est à mes yeux, un sérieux avertissement pour les nouveaux venus et ceux qui rêvent de venir s’installer au Japon.
Cathy
Bonjour Amélie,
Je vous confirme que la réalité et la règlementation (soit-disant « assouplie ») sont des plus tristes et parfois « cruelles » pour les Résidents et Conjoints de japonais. Les restrictions « covid » ne font qu’accentuer un état de fait dont j’avais déjà remarqué les amorces ces dernières années auprès de la société japonaise qui semble se refermer de plus en plus sur elle-même. J’ai connu le Japon à l’âge de 23 ans en 1994, j’en ai 49, et je ne reconnais plus le pays que j’ai aimé, la Culture et la langue que j’ai apprises, puis à mon tour enseignées avec passion de très nombreuses années. Des dizaines de séjours là-bas, j’y ai aussi vécu un an…
Cette année, je me bats depuis le printemps pour être aux côtés de mon mari japonais, atteint d’un Cancer de stade 4. (J’ai pu passer quelques mois à ses côtés chez mes beaux-parents…) Après une rémission en septembre (il avait même repris le sport), je suis rentrée chez nous en France où nous vivions pour préparer son suivi médical, dans un Institut de Cancérologie de ma région. Mon mari devait, avant de rentrer, finaliser la vente d’un bien. Mais à quelques jours de son retour, son état s’est brusquement dégradé. Il est rentré en clinique ce jour pour commencer un protocole de chimiothérapie. Malgré mon visa de conjoint d’un an (obtenue laborieusement au printemps pour le rejoindre alors), je ne pourrais prendre l’avion cette fois, que si le laboratoire d’analyses (un des deux présents dans ma ville ne le fait pas) ait la bienveillance de remplir le fameux « formulaire-type » covid en anglais fourni et exigé par les Autorités japonaises et l’heure du prélèvement doit être transcrit en JST (heure japonaise non pas européenne), que je serai re-testée à ma descente d’avion et mise en quatorzaine. (Je prévois même de rester deux jours à l’hôtel par précaution)
Passionnée par le Japon depuis mon enfance, écrire ce témoignage me coûte, mais la politique du Japon est en train de briser la passion qui était la mienne pour ce pays…
Le durcissement d’entrée sur le Territoire, envers les conjoints, ne jouent pas en notre faveur, ni le temps, mais je continue à me battre pour pouvoir rejoindre mon mari très digne et combatif dans la maladie, l’un est la force de l’autre et inversement. Il est ma raison d’être.
Toutes mes amitiés du Sud de la France.
tetoy
Costaud tout ça…
J’espère vraiment que des changements vont être effectués pour donner un peu « d’équitable » sur le territoire.
La situation est dure c’est un fait, mais la rendre encore plus dure sans réels décisions nécessaires et pinailler sur des bêtises ou chercher les soucis, je comprend pas. Le gouvernement est censé prendre de vraies décisions par creuser les inégalités quel qu’elles soit.
Je suis pas vraiment très claire dans ce que j’écris j’ai l’impression désolée ^^’
Amélie Marie
Costaud est le cas de le dire ! Finalement, la réouverture a lieu le 5 août pour les résidents étrangers. Je vais faire une petite mise à jour ce week-end :). J’ai tout à fait compris, ne t’inquiète pas !!
ramses
Par contre, ils aimeraient bien que Carlos Ghosn revienne au Japon !
Maye
Aux US c’est pareil, et d’ailleurs aucune exception n’est accordé. Il n’y a que les citoyens américains et les détendeurs de green card qui ont le droit d’entrer sur le territoire. (Les japonais ne peuvent donc pas y aller, petite erreur dans ton article). Il n’y a que les diplomates et les personnes qui travaillent pour endiguer la pandémie qui peuvent se voir accorder une autorisation.
Mais du coup oui c’est un vrai coup difficile a accepter pour nous expat. J’ai une fille qui vient d’avoir 4 ans, et a cet âge ne pas la voir pendant plusieurs années d’affilée c’est vraiment terrible, elle change tellement en si peu de temps. J’ai aucun problème avec le fait de limiter les voyages de tourisme, et globalement ça ferait pas de mal qu’on voyage beaucoup moins a l’autre bout du monde pour son simple plaisir en passant ^^’, mais ne pas accepter qu’on aille voir sa famille a l’étranger, ou même juste faire des voyages professionnel c’est quand même dur a vivre. Pour les US c’est d’autant plus navrant que c’est eux la menace par rapport a l’Europe, mais bon avec la politique de leur taré de président est-ce vraiment une surprise ? Récemment il a annoncé que tous les étudiants dont l’université avait décidé de faire du remote learning pour l’année scolaire 2020-2021 n’avait pas le droit de rester sur le territoire et devait le quitter immédiatement. Or beaucoup d’université ont fait ce choix, et beaucoup d’étudiants étaient déjà sur le territoire, avec une vie sur place. Ça a été un vrai coup dur.
ameliemarieintokyo
Merci pour le correctif ! Je me suis emmêlée les pinceaux avec l’histoire d’un japonais venu passer ses congés au Japon avant de retourner aux USA. Je pense qu’il devait du coup être détenteur de la green card.
Je suis tout à fait d’accord, cela pourrait être l’occasion de repenser le tourisme. Ces dernières années j’ai vraiment limité mes déplacements en avion (en fait, seulement pour aller voir la famille en France), car la pollution que cela créé est vraiment un souci.
J’ai vu passer cette terrible info sur les étudiants étrangers, j’espère que cela être révisé 🙁 c’est quand même pas possible…
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