Élever un enfant au Japon, les premières années.
- Amélie Marie
- 9 novembre 2023
- Vie quotidienne
La question est tombée dans un groupe de copines : pensez-vous vouloir élever un enfant au Japon ?
Oui, oui, oui !
Heureusement, parce que le fait est accompli.
À ma propre surprise, ma réponse a été un cri du coeur : oui. Notez que je n’ai pas l’expérience d’un autre pays (non, je n’ai pas d’enfants cachés…). De la grossesse, en passant par l’accouchement, jusqu’à la recherche d’une crèche, mon parcours de nouveau parent n’a pas été à 100% la joie. Mais le positif l’emporte de manière flagrante sur les désagréments que j’ai pu rencontrer. Nous n’en sommes pas encore à l’étape école, aussi je ne m’exprime qu’au sujet des toutes premières années. Je pense qu’il me faut ajouter en toute honnêteté que ma grossesse s’est déroulée à Chiba, et les premières années de mini nous dans le centre de Tokyo. Mine de rien, être dans cette région urbaine pèse dans la balance de mon expérience.
Élever un enfant au Japon : services au top durant l’incubation…
J’ai tiré le gros lot avec une grossesse 100% en forme. Pas de nausées. Pas de dégout alimentaire trop prononcé, ni son pendant inverse avec des obsessions alimentaires à tout heure du jour. Pas de prise de poids excessive. Je faisais un jogging quotidien deux semaines avant terme. Rien à signaler. Et heureusement, parce que le parcours soin de la maman ici (à condition de s’en soucier) est très contrôlé. Rendez-vous mensuels, puis bihebdomadaires, monitoring de tout ce petit monde pour être sûr que le Japon va gagner un citoyen de plus en bonne santé.
Tant que maman est en mode incubateur, elle est l’objet de toutes les attentions. C’est du moins ce que j’ai vécu. Tout le monde au petit soin pour moi de A à Z. Est-ce que les médecins japonais ont abordé la question de la prise de poids ? Oui. Mais je m’y attendais, je connaissais cette question épineuse hautement culturelle. Je me suis énervée cinq minutes et puis j’ai lâché l’affaire. La péridurale, je n’en souhaitais pas. Les difficultés pour l’obtenir ne me sont donc pas apparues comme un obstacle majeur. La maternité que j’ai choisie l’offrait, d’ailleurs.
Le jour J n’est jamais venu pour moi. L’équipe médicale a tout tenté, peine perdue. Mini nous était trop bien au chaud. Je suis donc passée en urgence sur le billard. J’ai eu le droit à la péridurale, ironie du sort. Désavantage : aïe. Avantage : mon mari a pu voir la bouille du bébé dès sa sortie. Croyez-moi ce n’est pas encore au programme dans bien des maternités japonaises qui claquent leurs portes aux maris condamnés à faire le poireau sur le parking.
Le séjour à la maternité, je vous en parle avec des étoiles dans les yeux. Quel service, j’y serais bien restée des semaines. Quatre repas 4 étoiles par jour, une chambre super mignonne, des classes quotidiennes pour les nouvelles mamans (le bain, la couche, l’allaitement…). La sortie pique lorsque l’on se retrouve tout seul à faire survivre un bébé d’une semaine. Qu’à cela ne tienne, la mairie vous envoie des sages-femmes à domicile pour vérifier que tout se passe bien. Pour les cas les plus délicats il est même possible de faire un retour arrière et de séjourner dans des établissements hôtels avec pouponnières. Le séjour est même en grande partie subventionné par la ville si la mère est isolée, rencontre des problèmes de santé ou est à risque de dépression post-partum.
… Conditions pas trop foireuses la première année…
Le congé parental japonais est fantastique. Sans entrer dans les détails, il faut d’abord différencier le congé maternité (産前・産後休業) de la maman (jusqu’à 6 semaines avant l’accouchement, 8 semaine ensuite) et le congé parental (育児休業) à proprement parler. Cette deuxième période est disponible pour la maman et le papa et peut être étendue jusqu’aux deux ans de l’enfant à condition de ne pas obtenir de place en crèche. Les six premiers mois vous recevez 67% de votre salaire. Cette compensation descend ensuite à 50% du salaire jusqu’à la fin du congé.
Seule ombre au tableau, cependant, cette compensation n’est pas mensuelle mais trimestrielle, et n’est pas débloquée immédiatement. Les parents doivent donc s’assurer d’un petit pactole avant l’accouchement pour tenir le coup les premiers mois. En effet, les frais médicaux liés à l’accouchement ne sont pas négligeables. Telle qu’elle est prévue, la sécurité sociale japonaise exclue la grossesse de la couverture médicale. Elle n’est pas considérée comme une maladie, seul objet de l’assurance santé dans ses grands principes. Les parents doivent au préalable avancer les 4 à 6000€ que coûte un accouchement et attendre le remboursement par le gouvernement dans le cadre de son programme de soutien aux familles. Heureusement, ma clinique prenait en charge la demande d’aide financière directement, je n’avais donc rien à débourser ou presque.
L’enfant est l’objet de toutes les attentions, avec un contrôle de santé à 4 semaines, 4 mois, 6 mois, 10 mois, 1 an et 1 an et demi, 3 ans… La maman est aussi contrôlée au passage avec des questionnaires visant à détecter un risque de dépression. Bon, en matière de détection ils ne poussent pas forcement loin non plus.
Les crèches japonaises : la galère, puis le graal !
Ma ville ne déplore pas un manque de place par rapport aux nombres d’enfants. Elle n’est donc pas classée dans les zones avec une attente monstre pour une place en crèche. Le problème c’est que les crèches ayant des places disponibles sont toutes loin de chez nous. Le système est un peu compliqué. Je ne suis pas sûre de m’y retrouver mais en gros vous avez les crèches publiques (avec des règles strictes), les crèches privées reconnues par la ville et subventionnées (parce qu’elles appliquent les mêmes règles strictes), et les crèches privées en totale fête du slip (des règles ? quelles règles ?). La crèche c’est de 57 jours après la naissance, jusqu’à l’âge d’aller au primaire (à 6 ans). Le style éducatif est complètement Montessori sans fioriture, ni l’annoncer. Je ne m’explique toujours pas que des parents soient prêts à débourser des millions de yen pour des crèches huppées Montessori quand le public fait… exactement la même chose.
Vient ensuite un système de point : est-ce que papa travaille ? Et maman ? Y a-t-il des grands parents ? D’autre enfant ? Des personnes à charge ? Etc etc. Nous avions le maximum de point (20) car à plein temps tous les deux, mais sans aucun bonus (parent à charge, autres enfants…). Les crèches près de chez nous reçoivent au minimum 100 dossiers pour une place. La ville actualise l’état des places disponibles et le nombre de famille tous les mois en ligne.
Nous avons laissé tomber le public après 6 mois d’attente. Nous avons déposé un dossier pour une crèche privée mais officiellement sur la liste des crèches de la ville. Elle maintient un niveau de qualité égal (je dirai même supérieur) à ce que la loi requiert. Nous avons passé deux entretiens et nous avons exprimé notre très, très fort souhait d’être choisis. Le coup de fil tant attendu est finalement arrivé, j’en ai pleuré de joie.
Le premier mois de crèche, il est recommandé au parent (ne nous leurrons pas : à la maman, hein) de ne pas reprendre le travail dans l’immédiat. La loi est bien faite puis qu’effectivement un mois (plus exactement 30 jours) de battement est autorisé entre l’entrée en crèche et la reprise de l’emploi.
Ce mois n’est pas une sinécure : l’enfant passe par une période d’apprentissage de la crèche (慣らし保育). D’abord deux heures, puis trois heures. Puis l’enfant reste jusqu’au déjeuner sur quelques jours. Ensuite, la sieste, étape la plus dure car beaucoup (pas toutes) de crèches n’autorisent ni doudous, ni tétines. Cette période a duré plus de 4 semaines pour nous. Mini nous n’était pas du tout, mais alors pas du tout d’accord avec le programme. Six mois plus tard à peine déposée dans l’entrée, voilà l’ingrate créature partie à cavaler dans le couloir pour retrouver ses maîtresses.
Si nous avions été dans le public, nous aurions payé environ 20,000¥ par mois. Nous payons 39,000¥, après subvention de la ville, somme à laquelle s’ajoute 3,000¥ de couches, bavoirs jetables et lingettes à volonté. Les parents peuvent choisir de fournir les affaires eux-mêmes. Cela coûte d’ailleurs moins cher si l’on calcule au yen près. Mais compter les couches à amener le matin n’est pas ma tasse de thé. La communication avec la crèche se fait avec une application (celle-ci pour les curieux : CoDMON).
Chaque jour je m’émerveille d’avoir la chance d’être en télétravail à temps plein. C’est un privilège que de laisser mini nous dormir jusqu’à 8h30 s’il le faut pour un démarrage à 9h-9h10. Nous avons choisi le créneau 9-17:00 qui peut être poussé jusqu’à 18:00 sans frais, du lundi au vendredi avec la possibilité d’utiliser la crèche sans frais le dimanche. Ce que nous n’avons jamais fait, comme deux parents gagas qui culpabilisent de ne pas profiter de leur marmot le weekend.
Le Japon n’est pas trop mal, mais nous sommes aussi privilégiés…
Nous avons la chance de ne pas prendre le train. Je pense que mon expérience de maman serait peut-être complètement différente si j’étais exposée au stress quotidien d’avoir à prendre le porte bébé ou la poussette dans les transports. Dans l’ensemble, je trouve Tokyo relativement parent friendly. Les magasins et gares ont des toilettes avec des tables pour changer les bébés, voire des baby corners pour allaiter pour les grands magasins, les administrations, les musées. Je me suis écroulée de nombreuses fois dans des fauteuils confortables et isolés avec mini moi qui fait sa sieste dans le porte bébé (notamment le jour où j’ai déposé nos dossiers de crèches à la mairie, c’était assez épique). L’allaitement, même si je n’ai pas pu le faire, est encore la norme et très encouragé. Bon, pas forcément en public, malheureusement, mais des lieux conçus pour se trouvent assez facilement en ville pour que les mamans puissent allaiter en toute tranquillité. Il est normal de voir des bébés et de jeunes enfants crapahuter dans les restaurants (pas tous, hein !). Jusqu’ici les gens dans la rue ont toujours été super sympa avec nous et notre enfant et l’ambiance de notre quartier est très famille.
Alors pourquoi la natalité dégringole si c’est si idyllique ? me direz vous.
Sur le papier pas mal de choses sont idéales entre congé parental, qualité des crèches et système d’aides aux familles. Malheureusement c’est loin de pallier un gros nombre de problèmes : les entreprises qui poussent les mères à démissionner, empêchent les pères de prendre le congé légalement autorisé, les salaires stagnants en pleine inflation galopante, et les difficultés qu’ont beaucoup de famille monoparentales, les aides insuffisantes, les crèches insuffisantes, inégalité des aides fournies aux familles sur le territoire… Je pense que si l’on pouvait résumer la situation au Japon, c’est qu’il offre malgré ses tares, encore d’assez bonnes conditions pour être parents pour tant qu’on soit (financièrement, professionnellement) privilégié.
La crèche japonaise : quel bonheur ! | Amelie Marie In Tokyo
[…] mon précédent article, j’ai abordé les grandes lignes de notre première année avec un enfant au Japon. Un bilan positif, car malgré les difficultés vécues et probablement très communes, mes […]
Véronique
Bonjour Amelie Marie,
Quelle surprise d’apprendre cette magnifique nouvelle ! Félicitations à vous.
Cela fait si longtemps que je ne lisais plus d’articles, que je pensais que tu avais mis le blog de côté…
La prise en charge de la maternité et de la surveillance sont très proches de ce que l’on connaît ici. L’aspect financier semble, cependant, plus lourd à gérer. Et je me demande quels problèmes rencontrent les parents quand ils habitant en milieu rural… Je m’interrogé évaluent m également sur un éventuel manque de pédiatres, comme ici en France.
Merci encore pour cet article très détaillé, qui nous montre un aspect de ce magnifique pays (que je ne désespère pas un jour de visiter).
Beaucoup de joies et de découvertes à vous.
Amélie Marie
Bonjour, merci de ton si gentil commentaire. Je suis passée par une période batterie à plat mais je sens revenir l’envie de partager des choses ! Côté médecin, aucun problème que ce soit en ville ou en campagne. Il y a bien sûr moins de pédiatre en zone rurale, mais contrairement à la France le système ici est sans rendez-vous. Tant qu’on est prêt à attendre, on peut en général voir un pédiatre (ou tout autre médecin) dans la journée.