Mes cours de japonais ont rythmé ma vie au Japon
- Amélie Marie
- 13 décembre 2016
- Vie quotidienne
Je ne saurais dire combien de cours de japonais j’ai eu au total. Mais cela ne m’a pas toujours paru évident ! Après avoir étudié dans plusieurs écoles pendant plusieurs années, je ne prends désormais plus de cours. Cependant, avoir des cours de japonais a rythmé ma vie au Japon pendant plusieurs années. Je pense aussi qu’ils ont été essentiels pour mon intégration – notamment après mon arrivée.
Octobre 2013, 13:45, cours de japonais en école, Takadanobaba.
Je me tourne vers mon voisin. Récemment arrivé dans notre niveau, c’est un français de plus noyé parmi les vietnamiens et les chinois.
– T’écoutes quoi ?
– Des chansons japonaises. Tu veux découvrir ?
Il me tend un écouteur et m’explique qu’ils sont de très bonnes qualités. D’ailleurs, c’était un véritable investissement. Je veux bien le croire, le son est incroyable. J’écoute quelques pistes. Jusqu’ici je n’ai jamais vraiment prêté attention à la pop nipponne. Je connais les classiques, Utada Hikaru et Ayumi Hamasaki. Quelques tubes qui ont atteint les côtes européennes. Le rocker Miyavi entre autres, dont l’androgynie a beaucoup fait couler d’encre…
Par ailleurs, en 2012, alors que nous étions en Ouzbékistan, mon mari avait entrepris de m’enseigner le japonais à travers des chansons qu’il aimait. Je ne connaissais déjà que moyennement les kanas**, alors mémoriser des paroles qui ne faisaient que peu de sens… Sans compter gérer les idéogrammes. J’ai vite saturé. Et vite oublié.
Le japonais en chanson, ce n’était pas (encore) mon truc
– Ah ah, je ne comprends rien aux chansons, c’est terrible. Tu arrives à suivre les paroles, toi ?
– Ben… Oui. À peu près.
Il a l’air ennuyé de celui qui ne veut pas paraître vantard. Je suis surprise de sa gêne. Avec une différence de niveau aussi écrasante, pourquoi l’équipe pédagogique l’a placé dans une telle classe ? Ce n’est pas que nous soyons nuls, mais presque, hein.
– Ouah, franchement c’est super ! J’espère qu’un jour j’y arriverai.
– Mais bien sûr !
Il est enthousiaste, néanmoins je reste alors assez dubitative. J’apprends sérieusement le japonais depuis deux mois. Un mois en solitaire, assez angoissant. Et je suis des cours depuis un peu plus de 3 semaines. Mais j’ai l’impression que je n’en verrai jamais le bout.
Février 2014, bibliothèque municipale Chuo, près de Waseda, cours de japonais autodidacte
Je m’installe sur la table, au fin fond de la dernière salle de la bibliothèque, entre la section architecture et les vieux plans de la ville de Tokyo. Un silence pesant règne. Autour de moi, les étudiants bûchent dur. Alors que je sors mes manuels, certains relèvent la tête et s’attardent sur ma présence. Les étrangers, pardon, les étrangers visibles, comprendre les occidentaux blancs, se font rares dans cette vieille bibliothèque poussiéreuse et bondée. Je superpose un livre de grammaire, de vocabulaire, d’idéogramme, de lectures, et d’écoute. J’ajoute le dictionnaire à côté, des cahiers, un manga pour me reposer. Dans le fond de mon sac aux lanières épuisées par le poids du savoir, une banane et une bouteille d’eau. Je m’installe confortablement sur ma chaise.
Je vais rester là trois, quatre heures, si possible. Mon mari travaille. J’ai arrêté l’école. Elle était nulle. Depuis un mois je viens tous les jours. J’ai une bonne demi-heure de marche et je dois arriver au plus tard vers 13h si je veux espérer trouver une table de libre. Le vieux gardien me sourit. Je suis une des seules à dire « bonjour », « au revoir » et à le remercier quand il me glisse un gentil mot. La plupart des visiteurs ne prêtent même pas attention à sa présence. Toute la journée, il se tient debout dans le froid. Tout l’après midi, je griffonne avec applications mes exercices de japonais.
Cours de japonais à Coto
– Pardon professeur ! Je m’excuse d’être en retard.
J’ai couru des bureaux au troisième étage de l’école. J’ai déjà le manuel sous le bras et je lance mon sac et mon manteau sur le siège d’à côté. Je m’assois tout en tendant des caramels à mon professeur.
– Hop, cadeau. On a reçu cela au bureau.
– Oh !? C’est une marque célèbre ! Merci !
J’ai « séché » les cours pendant trois semaines. Lors de mon dernier cours de japonais, nous avions passé l’heure à discuter marketing. En japonais bien sûr. Je redoutais d’avoir à ouvrir un nouveau chapitre, la tête prête à exploser. Ces derniers mois j’ai vécu dans un tourbillon de réunions et de dates butoirs. J’allais à reculons en classe, saturée d’information.
– Est-ce que tu as rencontré des difficultés en japonais dernièrement ? Au travail ?
– Au travail, non. En revanche, avec cela…
Je sors un manga de mon sac. J’en lis énormément. C’est le seul domaine où je m’applique à pratiquer le japonais. Je ne m’attarde pas avec un dictionnaire. Je manque de patience, mais à force de lire, je me dis que ça finira bien par rentrer.
La méthode Coué avec assiduité.
– J’ai lu des manga difficiles auparavant. Des manga pour un public adulte. Mais celui-ci, je ne sais pas pourquoi, j’ai mal à la tête au bout de deux pages. J’ai mis beaucoup de temps à comprendre le contexte de l’histoire.
– Oh, je le connais ! Enfin, je le connais… Je l’ai un peu lu il y a de cela 4 ans. C’est très intéressant. Cela parle de shogi***. C’est bien que tu lises cela.
– Ce ne sont pas les explications du shogi sur lesquelles je bute – non, ça je sais d’avance que c’est très difficile, mais même les conversations, l’histoire, j’ai la sensation que beaucoup de situations m’échappent. Regardez, là et là, le personnage parle, mais c’est déconnecté des images. Je trouve aussi les kanji assez particuliers…
– Hmm…
– Est-ce que par hasard l’auteur utilise un patois ? Un japonais spécial ?
Je lui lance un regard plein d’espoir. Il me faut une réponse. J’avais demandé à mon mari qui m’avait rétorqué un peu froidement, « ah, tu n’as pas le niveau pour parler avec des adultes quoi« . Snif. Un japonais, parfois, ça manque cruellement de tact. Elle feuillette le volume avec attention et soin, cherchant ce qui peut me gêner à ce point. Il est vrai que je suis par ailleurs fatiguée et que plus je travaille, moins je m’investis dans la langue locale.
– Hmm… Certains kanji et deux, trois expressions sont effectivement peu usités. Sinon, je crois, comment dire… Que l’auteur est poétique. Beaucoup de passages évoquent des ressentis. Tu y trouves des monologues intérieurs. C’est un peu décousu et sans doute dur à suivre pour un non-natif. Mais c’est un très bon entrainement.
Je range le manga.
Il est temps de passer aux choses sérieuses.
Je dois me pencher sur le cas d’Ichimura, pauvre salarié japonais qui a un graphique à présenter en réunion. Texte à trou et CD à écouter. Je me concentre. Bizarrement, le sujet me semble assez facile. Je résume l’écoute un peu incrédule. À vrai dire, je cherche le piège, parce que ça me semble limite suspect, cette facilité.
– Bravo ! Tu as tout compris. Tu n’as même pas pris de notes. Génial !
– Ahem, en fait, c’est-à-dire que j’ai oublié de prendre un stylo…
On travaille rapidement sur le vocabulaire. Je suis soulagée de voir que ce chapitre n’est pas aussi chiant que le premier. Pour être honnête, le japonais des affaires ce n’est pas ce qu’on trouve de plus passionnant. Elle ferme son carnet d’un petit coup sec, le visage satisfait.
– Pour la prochaine fois, tu vas t’entrainer à faire les deux styles de présentation.
– D’acc’.
– À la prochaine fois alors !
Elle commence à se lever. Je regarde la petite horloge sur le coin de la table, 18:16. Déjà ?! Je n’ai pas vu l’heure passer. Cela faisait très longtemps qu’un cours de japonais ne m’avait pas autant emballée. C’est une sensation agréable, qui m’insuffle un peu d’espoir.
Tout n’est pas perdu.
– Professeur, je crois… Je crois que je vais arrêter de me forcer pour le N1****. Je me demande si ce ne serait pas utile de repasser le N2 et tenter d’avoir le maximum de points !
– C’est une façon de penser intelligente. Je te crois capable de passer le N1, si tu le voulais, mais revoir les bases, c’est aussi plus motivant.
Ce petit bout de femme m’enseigne le japonais depuis presque deux ans. Elle est toujours bien habillée – en tailleur, reste de ses années en entreprise et sans doute de son passage dans la stricte société coréenne. Les cheveux courts, elle a toujours un maquillage discret et des bijoux assez chics. Elle est dévouée à la cause du japonais. Récemment, elle s’est même mise à bloguer. Avec passion même ! Je suis de loin ses articles réguliers sur la linguistique, l’anglais, mais aussi l’apprentissage du japonais… On s’incline.
18:39 Mon regard glisse sur les enseignes, les panneaux, les affiches. Depuis quand suis-je capable de comprendre sans prêter attention à la langue ? Je me surprends moi-même. Plus j’ai l’impression de régresser, plus je me débrouille. Mais dans mon esprit, le japonais me semble encore pour beaucoup tenir du hiéroglyphe indéchiffrable.
***
*Kpop : genre musical originaire de Corée du Sud (Korean Pop). Il recouvre principalement les genres dance-pop, pop ballad, électronique, rock, hip-hop et R&B.
**Kanas : syllabaires japonais, hiragana et katakana.
***Shogi : jeu de société combinatoire abstrait traditionnel japonais, se rapprochant du jeu d’échecs, et opposant deux joueurs.
****N1 : référence au JLPT, Japanese Language Proficiency Test, un examen d’aptitude en japonais divisé en 5 niveaux (N1 étant le plus élevé, N5 le plus faible), certifiant le niveau de locuteurs non-natifs.