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Les brèves de travail au Japon : épisode 2

Après les brèves de travail au Japon de la semaine dernière, je remets le couvert avec un épisode 2.

100% véridique (sauf noms).

150% japonais,

200% rage garantie. 

Et que ça saute !

– Tu te rappelles ce collègue que tu as croisé se promenant avec son épouse y a deux semaines ?

– Le petit couple tout mignon, dans le quartier français ? 

– Oui ! Et bien hier… 

Son regard catastrophé n’augure rien de bon. 

– Quoi hier ?

– Y a Chef Aoki de la section ABC qui a débarqué dans nos bureaux de bon matin et qui lui a dit « au fait, ce soir tu pars avec moi pour le Cameroun, on y reste un mois ».

– Mais… il n’était pas au courant ? Enfin, on ne lui avait pas dit ?!

– NON !

– Mais c’est dingue !? Et s’il a des choses de prévues avec sa femme ? Et le visa ? Sa valise ?

–  Rien à faire, les détails ils s’assoient dessus. Évidemment, il n’a pas eu le temps de repasser par chez lui, du coup on lui a dit de s’acheter le nécessaire à l’aéroport. Quant au visa, apparemment, il peut le faire à l’arrivée dans le pays. Tu te rends compte ? Non mais tu te rends compte !? « Allô chérie, m’attend pas pour diner, je rentre dans un mois ».

– …

– …

– Elle l’a mal pris ?

– Plutôt mal. 

Soirée obligatoire… Sauf pour le chef qui l’organise. 

Assis sur le canapé, il pousse de gros soupirs. 

– Que se passe-t-il ?

– Ben, y a que Chef Musekinin a appris le mariage de mon collègue et du coup, il a demandé à ce que l’on organise une soirée avec tout le département pour célébrer leur union… Au passage, il s’est dit que ce serait l’occasion d’inviter nos femmes pour qu’elles comprennent « notre travail et arrêtent de se plaindre lorsqu’on rentre tard ».

– Ça pue, son idée. 

– Bien sûr que ça pue ! Déjà, mon collègue ne voulait pas qu’on parle de son mariage. Personne n’a envie de se farcir une grosse soirée et encore moins d’inviter leurs femmes. Mais Chef Yopparai a trouvé l’idée absolument fantastique et a renchéri sur l’air de « mon épouse râle que je rentre tard parce qu’elle ne sait pas ce que je fais ». Il veut juste se bourrer la gueule comme d’habitude. 

– …

– Du coup, Chef Musekinin a donné le feu vert pour l’organisation, sauf que cet enfoiré de première, tu sais pas ce qu’il sort ? Que par contre, il ne compte pas s’y rendre, il a d’autres chats à fouetter. Il a ordonné à Kato de se taper l’organisation de l’évènement. 

– …

Et ta femme ?! 

– Je ne t’avais pas dit, mais l’autre soir, vers 21 heures, Chef Yopparai est revenu complètement bourré au bureau. Il a tenu à ce que nous ressortions avec lui pour remettre le couvert.

– Ah… C’est lui que je dois remercier ce soir là parce que tu es rentré tard et puant la clope en fait ? 

– … Ouais. Et je me suis rappelé que lorsque nous étions au bar, Chef Yopparai a demandé à Satou si c’était pas l’anniversaire de sa femme ce soir là. 

– Oh purée, il sort avec les collègues le jour de l’anniversaire de sa femme, c’est tellement typique des salarymen… Mais… Attends, comment il pouvait savoir une chose pareille ?

– J’y viens ! Du coup, Satou vérifie sur son portable, tu vois. Et bam, c’est effectivement l’anniversaire de sa femme. Il demande alors comment diable il sait ça, et voilà Chef Yopparai qui hurle dans le bar, hilare, « JE SUIS LE SECOND MARI DE TA FEMME ! ».

– Mais… ça veut dire quoi ?

– Honnêtement, je ne veux pas savoir.

Les langues étrangères, ça ne sert à rien. 

Retour arrière. Nous sommes quelques heures après l’entretien d’embauche que mon mari a passé avec cette entreprise. 

– Alors, ça s’est bien passé ? 

– Bof, j’sais pas… Les mecs n’étaient pas commodes. L’un d’eux m’a fait la remarque que c’est bien beau de maîtriser l’anglais, le russe, l’ouzbèque, de parler un peu de français. Mais les polyglottes ne valent rien dans une entreprise et ils sont particulièrement inutiles au travail. 

– Pfff, c’est nul ! C’est probablement pour te saper le moral, mais c’est d’une bassesse sans nom. Tu as répondu quelque chose ?

– J’étais énervé, tu t’en doutes, mais j’ai préféré jouer l’idiot à coup de « oh oui, c’est tout à fait moi, monsieur, je ne sers à rien. C’est pourquoi j’aimerais apprendre le métier à vos côtés ». 

– Et ?

– La flatterie a eu l’air de l’enchanter. 

La certification avant tout.

– Ils sont cons quand même. 

– Je suis bien d’accord, mais c’est quoi le contexte cette fois ?

– M. cherche du travail et ma boîte l’intéresse, alors je suis allé voir la RH. Elle me demande « son niveau d’anglais, ça donne quoi ? ». 

– M. ? Mais c’est pas celui qui a donné des cours à la fac ? Il a fait sa thèse de doctorat en anglais, non ? 

– Exactement. Du coup, c’est exactement ce que je lui dit. Thèse de doctorat rédigée en anglais, participation à des séminaires partout dans le monde, tout ça. Tu devineras jamais ce qu’elle me sort.

– …

– « Je ne t’ai pas demandé ce genre de détails. C’est quoi ses résultats au TOEIC ? »

– … 

Attention, subalterne = danger !

– Aujourd’hui, lors de notre réunion hebdomadaire, mon chef était tout content d’employer à toutes les sauces un mot qu’il vient d’apprendre. 

– Quoi donc ? 

Pawahara*, de l’anglais power harassment. Apparemment notre entreprise a mis en place de nouvelles règles pour prévenir le harcèlement moral. Il s’est empressé de nous faire la leçon mais…

– … Mais encore un qui n’a pas tout compris, c’est ça ?

– Ouais… Il a vraiment insisté sur le fait que le harcèlement peut aussi être commis par des employés à l’égard de leur chef. Et que c’est vraiment important de prendre conscience que les chefs aussi peuvent être en danger. Et puis, n’importe quelle action peut être qualifiée comme étant du harcèlement, donc nous devons tous faire attention à notre comportement, en particulier envers nos chefs… 

– Oh, mais c’est bien connu, ceux qui détiennent le pouvoir sont en position de faiblesse… 

– C’est encore un séminaire passé à côté de la plaque oui… J’ai lu les nouvelles règles et globalement, il y est mentionné qu’il n’est pas permis de gronder un employé en public, de s’attaquer à sa personnalité ou tout ce qui touche à sa vie privée et à son honneur… Rien de bien nouveau et surtout, rien de respecté !

8 ans.

– Tu te rappelles de Tomo ?

– (Absolument pas, mais) Oui ?

– Son manager lui a annoncé l’ouverture d’un bureau à Madagascar… Et qu’il l’avait recommandé auprès de la direction pour mener cette mission. Elle vient tout juste d’être approuvée.  

– Plutôt positif, non ? Enfin, à part cette fichue manie de mettre les employés au courant à la dernière minute. 

– 8 ans. 

– Quoi  ?

– Ils l’envoient en poste là bas pour 8 ans. 

– …

– Il doit se préparer pour y aller le plus vite possible. 

– …

– Alors qu’il vient de se marier, d’acheter un appart…

– …

– … Sa femme qui habitait encore Fukuoka a quitté son emploi pour le rejoindre sur Tokyo… 

– …

– Mais c’est pas encore fini. 

– Ah bah parce que ça peut être pire comme situation ?

– Son manager leur a réservé un studio pour les premiers mois là bas. Ils vont être ensemble 24 heures sur 24. 

– Oh putain. 

 

Vous aussi lâchez donc vos brèves de travail au Japon ou d’ailleurs, histoire d’exorciser la bêtise de nos quotidiens en entreprise. 

 

 

9 Comments to “Les brèves de travail au Japon : épisode 2”

  • Laura

    Salut Amélie ! Moi aussi j’aime beaucoup ton blog et je trouve tes articles super 😀
    Au sujet du travail, mon copain me dit souvent qu’il y a un écart entre la génération précédente (celle d’après guerre qui travaillait dur mais pouvait espérer des promotions) et les jeunes aujourd’hui qui semblent moins d’accord pour travailler dans ces conditions alors qu’ils peuvent espérer peu de promotions. Du coup, je me demandais si tu en savais plus sur la question… ?
    Merci !!

    • ameliemarieintokyo

      Bonjour Laura,
      Merci beaucoup de ton très gentil commentaire !
      C’est une remarque tout à fait juste. Le modèle du salaryman d’après guerre était celui de « l’employé à vie ». Le travail n’était peut-être pas passionnant, mais une fois embauché, un employé se savait en sécurité, avec un salaire augmentant progressivement au fil des ans. L’entreprise était aussi plus paternaliste et offrait d’autres avantages (tel que garantir auprès de la banque la stabilité du poste pour un employé qui souhaite faire un emprunt pour une maison). Aujourd’hui, le modèle s’écroule car l’économie est en rade et le modèle japonais ne survit pas à ce changement. Les employés sont traités comme des pions – avec des salaires qui stagnent (voir qui « baissent » car si le salaire n’augmente pas, le coût de la vie, oui !). Les jeunes japonais sont aussi dégoutés de la promotion à l’ancienneté (lente pour peu de reconnaissance) plutôt que la promotion à la performance (qui est valorisante). Récemment, une étude a mis en avant que les employés diplômés (les salariés donc) avaient moins d’espoir d’avancement et des salaires plus bas que les travailleurs manuels (beaucoup plus recherchés dans la pénurie actuelle et détenteurs d’un savoir technique).

  • tetoy

    Ah ouais quand même… C’est costaud dans sa boite Oo

    • ameliemarieintokyo

      J’en discutais avec des collègues étrangères en couple avec des japonais et, à mon grand regrets, elles mentionnaient le même genre d’histoires pour les entreprises de leurs compagnons. Du coup, je ne sais plus bien : est-ce son entreprise qui est chelou ou sont-ce toutes les entreprises japonaises à divers degrés ? x)

  • Mikael

    J’ai découvert ton blog il y a peu, et je trouve tous tes articles super intéressants 🙂 Merci beaucoup de partager tes expériences avec nous !

    Salutations depuis Montréal !

  • Chloé

    @ crisitane : Encore un coup des gaijin, pour sûr !

  • crisitane

    J’ai lu Fureur et Tremblement, alors je suis un peu au courant mais à ce point ! Je croyais les Japonais respectueux d’autrui au point que nous serions des barbares à côté d’eux.
    Lors de ma première escapade au Japon, notre guide, avant chaque sortie nous faisait un cours de ce qu’il ne fallait pas faire, comment se tenir, etc.
    La première chose qui m’a frappé en traversant un emplacement paysagé à Tokyo, a été des canettes de bière et des reliefs de repas que venaient de laisser un groupe de jeunes hommes. Les temps changent ?
    Amicalement

    • ameliemarieintokyo

      Bonjour, je crois que les japonais ont été très forts pour se créer une image qui a très bien marché à l’étranger. Nous avons une vision d’eux qui ne correspond pas tout à fait à la réalité. Et dans le cas de Stupeur Et Tremblement, nous avons typiquement une étrangère confrontée à cette réalité et qui en souffre. Je ne crois pas que les temps changent, je pense juste qu’entre ce qui est sur le papier et la réalité, le Japon est bien différent (comme n’importe quel pays, sans doute :)).

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