brèves de travail en entreprise japonaise

Les brèves de travail en entreprise japonaise : épisode 3

Résumé des épisodes 1 et 2 : mon mari travaille pour une grande entreprise japonaise qui gère des projets internationaux complexes (avec des budgets colossaux).

Sur le papier, elle fait rêver. Vantant le respect de la vie de famille, la formation continue, une ouverture internationale et culturelle, cette entreprise pas comme les autres attire les candidats comme le miel attire les mouches… Pour mieux les jeter dans le vinaigre de la réalité. Ouch, ça pique !

Ah, les femmes !

En route pour une réunion à l’extérieur, un de ses chefs pousse un gros soupir : 

– Y a pas photo… C’est quand même mieux de bosser avec des hommes. 

– (Mon mari choqué) Enfin tout de même, à notre époque… !

– Ah… bon… 

– …

– … Quand même, les hommes, ça se plaint moins.

Ah, les femmes ! Bis

– Amélie, tu te rappelles mon chef qui m’a dit mardi dernier que bosser avec les hommes c’est plus « facile » ?

– Ouais ?

– Alors en fait, ce matin là, il avait informé Mlle Jajauma qu’elle était assignée à un projet.

– À l’étranger, je suppose ?

– Aux Philippines. Elle devra y vivre 6 mois par an pendant les 3 prochaines années à partir du mois prochain.

– J’imagine qu’on ne l’avait pas prévenue… 

– Exactement ! Mais surtout, Jajauma, elle est japonaise, mais a grandi en France. Donc…

– … Elle a râlé ouvertement que ce n’était pas une façon de traiter les employés parce qu’elle a du caractère.

– Oui ! D’ailleurs, elle travaillait chez nos concurrents, mais elle souhaitait venir chez nous pour de meilleures conditions de travail. En fait c’est pas mieux. 

– … 

Cache donc tes heures de travail ! 

Alors qu’il se rendait dans les bureaux d’une autre section de son entreprise :

– Eh, dis donc. T’as enregistré trop d’heures supplémentaires pour le mois dernier. Arrondis à 120 maximum. 

Vexé dans son orgueil

Un manager de mon mari, au sujet d’une cliente : 

– Pfff… Peut-être qu’elle est diplômée de Gaidai (Université de Tokyo des études étrangères, dont le point fort est le droit international), peut-être qu’elle parle parfaitement anglais, français et arabe, mais elle a rien dans la tête et elle ne sait pas faire de maths. Son seul intérêt c’est de montrer ses cuisses aux hommes. 

C’est bien connu, y a qu’au Japon qu’on apprend des trucs… 

Première soirée alcoolisée au boulot. Son patron : 

– Eh, petit nouveau, t’as fait quoi comme études ?

– J’ai fait un Master de Sciences Politiques en Russie. 

– Ah ah ah ! T’es allé en Russie pour les femmes, surtout, hein, avoue !

– … Ah… Ah…

– Non, parce qu’en Russie, à part draguer les femmes, y a rien à apprendre. Maintenant, tu sais comment parler aux escorts russes de Tokyo !

… 

Remarque attrapée au vol tôt un matin par mon mari, mortifié au plus haut point :

– Hmm… Je n’avais jamais fait attention aux femmes noires, mais depuis que la sénégalaise a rejoint mon bureau, je m’habitue au physique des noires et je me dis qu’elle est bonne. 

Un an après

– Aujourd’hui, mon chef m’a dit qu’il m’a recommandé pour un projet au Tadjikistan. Ils ont besoin de quelqu’un qui parle russe et tadjik. 

– Mais c’est fantastique, pile ce qu’il te plait, non ? 

– … Oui… … … Mais le projet est mené par le département de Madame Waruguchi et il a appris qu’elle s’était plainte de mon travail, alors ils savent pas trop quoi faire de moi. 

– Attends, attends, c’est pas cette harpie qui terrorise son département et qui t’envoie paître si tu oses poser des questions ? 

– Si… Elle a été voir les chefs pour dire que mon travail était mal fait l’année dernière. 

– Mais elle n’a jamais voulu t’expliquer ce qu’il fallait que tu fasses ! Quel culot alors ! Et en plus, ils ne t’en ont jamais parlé ? 

– Ben, à vrai dire, tous ses subalternes ont changé de département durant l’année parce qu’il est impossible de travailler avec elle… Ils ont pas jugé utile de me le rapporter. 

– …

Les dix commandements du salaryman : boire, boire, boire, boire, boire, boire, boire… 

Un jour, aux alentours de 20 heures. Le comptable, la cinquantaine, vient d’être invité par le président de l’entreprise à aller picoler au karaoke. Il s’adresse à mon mari : 

– Eh, toi, viens avec moi. Je sais que t’es pas invité, mais je ne veux pas être entouré de tous ces directeurs éxecutifs, ça me stresse trop ! 

– Je suis désolé mais j’ai déjà quelque chose de prévu… Si vous n’avez pas envie d’y aller, n’y allez pas. Dites « non ». 

Le comptable s’énerve : 

– Pfffff, c’est pour ça qu’ils disent de toi que t’es un morveux pourri gâté !

– … 

À ce jour, mon mari ne sait toujours pas qui dit cela de lui dans son entreprise. Cependant, la morale de l’histoire est qu’une fois qu’un employé a refusé de boire avec ses collègues ou ses chefs, il est considéré comme un mauvais salaryman. 

Brèves de travail du fiancé d’une amie

– Amélie, j’ai lu ton article, et franchement, c’est exactement ce que vit mon fiancé dans son entreprise japonaise. Et pourtant, c’est sensé être une petite entreprise avec une bonne ambiance !

– Ça semble être le quotidien classique de l’entreprise japonaise, quoiqu’on en pense…

– Ça me révolte ! Il cherche ailleurs, mais tu vas halluciner. À la suite d’une dispute, son patron ne lui a pas adressé la parole pendant un an !

– Pendant UN AN ?!

– Une année. Entière. Et là, il leur a dit qu’il pensait démissionner, vu qu’il est mal traité, mal payé et ignoré par dessus le marché. Devines pas quoi ? Son patron fixe une réunion et lui sort : « nan mais tu déconnes, tu vas quand même pas partir ? On a besoin de toi tu sais ! ». 

– … 

 

Envie de témoigner sur votre quotidien dans une entreprise japonaise ? Faites le moi savoir en commentaire ou via le formulaire de contact

 

4 Comments to “Les brèves de travail en entreprise japonaise : épisode 3”

  • tetoy

    Une autre ! Une autre ! \o/

  • Free

    C’est en effet un triste et pas très étonnant. Surtout, c’est bon à savoir surtout pour les français qui idéalisent un peu trop le Japon.

    Mais par contre, je trouve qu’aujourd’hui, quand on accepte de pareilles conditions, c’est qu’on y trouve un minimum son compte. Y a vraiment beaucoup de travail au Japon, et beaucoup de choses nouvelles en terme de management, de boîtes etc.
    Dans le Japon actuel, on peut trouver des boîtes sans nomikai trois fois par semaines, sans heures supp’ à gogo ni mutation non désirée, c’est clairement possible.

    J’ai eu beaucoup d’amis japonais qui avaient eu des boulots glauques dans ce genre : pour certains qui avaient les dents longues, ça leur allait, mais ceux qui n’aimaient pas ça ont eu le courage de se barrer ou de chercher en parallèle, et ont tous trouvé bien mieux après.

    À un moment il faut aussi que les gens aient le courage de partir et dire non à ce genre de pratiques. Quand toutes ces boîtes plus ou moins « black » seront désertées ou peuplées seulement de quelques passéistes qui ne savent pas évoluer, elles finiront bien par se remettre en cause.

    • ameliemarieintokyo

      Merci du commentaire ! J’aurai été 100% d’accord il y a de cela 2/3 ans, avant que je ne vois le phénomène de l’intérieur.

      Le parallèle est fort, mais je perçois la situation comme celle d’une femme battue par son mari. Beaucoup s’insurgent « pourquoi n’est-elle pas partie ? Pourquoi ne s’est-elle pas défendue ? C’est pourtant pas compliqué ! ». Et bien si, « partir » c’est compliqué.

      De telles entreprises font vivre un enfer à leurs employés. Un enfer psychologique qui détruit la confiance en soi, la confiance que l’on peut avoir en ses compétences, mais aussi la confiance que l’on peut avoir pour le travail. Un employé psychologiquement abattu aura tendance à se dire qu’il est nul et qu’il a au moins la chance d’avoir ce travail. C’est exactement le message que ces boites font passer pour garder leur main d’oeuvre. Il y a de cela 40 ou 50 ans, c’était complètement l’inverse.

      Autre point, en imposant un rythme de travail intense et en privant les employés de leur temps pour récupérer et faire autre chose, on les prive aussi de chercher du travail. Au Japon c’est particulièrement compliqué, parce que les processus d’embauche sont longs, pointilleux, particulièrement pour certains domaines, et il faut avoir le temps de faire son CV, ses lettres de motivation, parfois à la main, etc.

      C’est personnel, mais dire que l’employé « y trouve son compte » me semble passer à côté de la violence psychologique qu’une entreprise peut exercer. Je comprends que sans le recul, on puisse le penser.

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