365 Jours de Tokyo: Day 9

Quand je passe devant cet immeuble, je me dis que je l’ai échappé belle. J’ai failli y déménager. Au 5ème. Une véritable cage à lapin. La vue, elle, me plaisait.

365 Jours de Tokyo: Day 9

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8:45 Devant moi, un père emmène sa petite fille à la garderie. Il lui tient la main droite et marche en sifflotant. La petite trottine. Baskets roses, collants à rayures grises et violettes. Au niveau des mollets, des petites têtes de chat noires. Ils passent dans le café Petits Fours, où je ne vois jamais aucun client.

Il se baisse et lui murmure quelque chose. Elle tourne la tête, et voyant son reflet dans la vitrine du café, elle se fait coucou de la main et éclate de rire.

Je m’amuse à compter les masques. Un, deux, cinq, dix. Passée la vingtaine, je lâche l’affaire. La foule est dense. Mardi matin. Un nouveau restaurant vient d’ouvrir dans la rue qui mène à la gare. Une chaine. Déprimant.

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365 Jours de Tokyo: Day 9

Dans le couloir de la station, brusque courant d’air. Le train arrive en gare. Deux, trois personnes autour de moi commencent à courir. Ce n’est pas la peine, les escaliers sont encombrés. Le train suivant arrive alors même que le dernier wagon du premier quitte la gare. Ils ne sont jamais à l’heure, ces foutus métros. De l’autre côté, sur le mur du quai, une publicité pour une agence matrimoniale. 100% de réussite. Vous trouverez l’âme soeur. Je me rappelle de cette tirade du mari.

– Tu sais, ce sont eux qui ont inventé le concept du mariage avec soi-même. Alors, ouais, ils peuvent bien se vanter de leur 100%. Si tu ne te trouves personne, ils te mettent en tête de te marier… avec toi. Mariage garanti sans divorce.

L’homme assis devant moi tient son iPad des deux mains. Grand format. Pas pratique. Il lève un regard courroucé sur la foule qui entre dans le wagon auparavant à moitié vide. Je réalise que j’ai peut-être cogné dans ses chaussures en cuir marron. Elles ont l’air neuves. Détends-toi gars, prends un Xanax. C’est ce que dirait ma collègue. Conseil applicable aux 36 millions d’habitants de la mégalopole.

À côté de lui, un homme avec des lunettes rondes. Vous savez, le genre scientifique fou. Il a la gueule qui va avec d’ailleurs. Il regarde la bourse sur son portable.

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11:37 Je glisse la carte bancaire dans la liseuse. Rien ne se passe. Je la glisse à nouveau. Rien. Changement de méthode. Je rentre la carte dans l’autre fente. La capricieuse se réveille. Entrer le code PIN. Je tends l’appareil.

Rien ne se passe. 30 secondes. Une minute. Sourires gênés. Erreur. Bordel. Elle me fait le coup systématiquement.

J’appelle la manager. Elle glisse la carte bancaire. Paiment accepté.

Je pense que j’ai la poisse avec l’électronique.

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13:30 J’écoute la stagiaire me raconter ses histoires. Je décroche. J’étais comme ça à 19 ans? J’espère que non. Je crois que non. Ou alors c’est l’orgueil de la vieillesse. C’est comme ça que débarque le clivage. L’incompréhension, la guerre des mondes. Ou en l’occurence, la guerre des bureaux. Elle nous aura donné du fil à retordre cette petite. Capable, fûtée, rapide. Mais un peu trop brut de décoffrage pour les japonais, avec qui j’arrondis les angles en douceur.

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14:30 On file au conbini acheter de quoi déjeuner. Au dessus des plats de spaghettis tout prêts.

– Ouh, cream-cheese, ça a pas l’air mauvais.
– Faut voir ce qu’ils mettent dans la crème…

Je suis dubitative.

Meat-sauce?
– Tu sais d’où vient la viande?

Dernier essai.

– Champignons et bacon.
– Ça se tente. Par contre, ils ont mis du nori*.
– … Faut vraiment qu’ils mettent du nori partout.

Le caissier nous les réchauffe dans les micro-ondes du magasin. 30 secondes top chrono. Les salarymen n’ont pas le temps d’attendre.

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15:00 Jongler avec les sensibilités.

– Elle est à quelle heure la réunion sur le contenu du site?
– Elle a été annulée à la dernière minute, vous êtes tranquille.

Elle a été décalée. Un autre jour. Ce n’est pas mentir, non. Omettre oui. Je dois manoeuvrer avec délicatesse la lutte de pouvoir qui depuis quelques semaines pèse sur le travail d’équipe. J’ai tenté d’expliquer une fois, deux fois. Sourde oreille. Depuis, on fait des réu’ de sioux.

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17:30 J’avais 4 semaines. Puis 3, puis 2. Puis un dimanche. Un lundi soir. Demain, je dois rendre mon compte-rendu d’une étude de cas en management. Je me glue à la chaise du bureau en compagnie du collègue.

– J’ai oublié comment on faisait les devoirs.

On pouffe. On a de nouveau 17 ans et la furieuse envie de faire tout, sauf de parcourir les pages du dossier.

20:00 Il reste encore demain. On claque nos ordinateurs portables en même temps.

– T’as bien éteint le chauffage?

On verrouille les bureaux et range le pass dans le boitier de l’entrée. Le collègue vérifie deux fois que c’est bien fermé.

– Tu sais, y a personne que ça intéresse de visiter nos bureaux, hein.
– J’ai acheté de belles plantes sur Amazon quand même.

Rires.

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365 Jours de Tokyo: Day 9

Vlan. Je reçois un coup de coude dans les côtes. J’oublie qu’à la station Waseda, à cette heure là, les étudiants s’engouffrent dans les rames pleines. Il l’enfonce encore un peu plus. J’ai le bras de son camarade, dans le nez. Il se tient à la poignée au dessus de ma tête. Ils parlent très fort. Pour des japonais. Vous savez, le respect de l’harmonie, la paix, tout ça. Ils jouent les beaux gosses. Deux jeunes étudiantes, guitares sur le dos, gloussent. Elles ont le rire qui sonne faux. Elles cachent leurs sourires derrière leurs mains. Midinettes. Sur les housses des guitares, des signatures et des dessins.

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*nori: différentes algues rouges comestibles, utilisées dans la cuisine japonaise. 

2 Comments to “365 Jours de Tokyo: Day 9”

  • V

    Bonjour..amelie
    Je souhaite rester anonyme si possible ^^
    Je vais me lancer enfin a en parler malgré une forte honte o_o
    Je suis francaise et y’a un an GT au Japon j’ai enchaîne des visas touristes et a mon 3eme aller/retour de Corée … Je me suis fait refusé l’entrée a Narita…
    On m’a donc placé une nuit de côté et forcé a m’acheter un aller direct pour la France…
    Bref cela fait 1an et 1mois.
    J’ai pu retourner a Tokyo 6mois plus tard du coup. Après quelques questions ils mont laisse passe GT la plus heureuse au monde…lol
    Maintenant j’envisage de revenir au Japon avec un visa étudiant…
    Le seul hic c’est que je me demandais s’il se peut qu’il soit refuse vu mon passé historique peu glorieux avec l’immigration japonaise.
    Car de même que 8mois plutôt de la même année on m’avait refuse mon visa de travail car j’avais un niveau BTS seulement…. Et 8mois plus tard on me refuse l’entrée suite a mon aller/retour éclair de 48h en Corée j’avoue….ils mont fit que CT très « okashi »

    M’enfin bon….j’aimerais vraiment participer au visa étudiant mais jai peur dun 3eme refus…

    Que faire?
    Pouvez-vous vous renseigner si possible avec vos supérieures sils ont eu des cas comme ça?

    J’aime bcp vos articles 365 !
    C’est magnifique et me rend très très nostalgique (car oui j’ai habité a Baba) ça me manque terriblement…

    Bien cordialement

    V.

    • ameliemarieintokyo

      Bonjour,

      J’ai édité votre commentaire afin de conserver votre anonymat (vous n’avez pas besoin de transmettre les coordonnées en commentaire, ni même à signer de votre nom ;)). Je ne crois pas que vous ayez à être gênée. Vous n’êtes pas la première à vivre cette mésaventure.

      Je suis navrée de ne pouvoir vous répondre. Mon école ne sponsorise pas les visa étudiants. En revanche, il faut vraiment que vous soyez claire avec vos envies de vie au Japon. Effectivement, l’immigration est stricte et n’apprécie pas les personnes qui font fi des règles (un touriste a le droit d’entrer 2 fois pour une période totale maximale de 180 jours par an). A priori, je ne vois pas votre visa étudiant être refusé, mais je pense que vous devriez vous renseigner auprès de l’ambassade à Paris et éventuellement auprès de l’immigration au Japon (ils n’ont pas toujours le même discours). Entrer sur le territoire d’un autre pays n’est pas un droit et si vous avez envie d’y vivre sur le long terme, je vous conseille de bien planifier vos objectifs.

      Bon courage!

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