365 Jours de Tokyo: Day 8
- Amélie Marie
- 28 novembre 2016
- Japon
00:17 Je claque le Macbook, le pose au pied du lit et m’enterre sous ma couette. Demain, premier jour de classe pour la session de Décembre. Cela signifie beaucoup de boulot en perspective. Nous devons vérifier que le matériel de cours soit prêt, accueillir les élèves. Je suis en charge de l’orientation de l’école. Une dizaine de minutes pendant lesquelles je m’évertue à résumer le fonctionnement de l’établissement dans un anglais intelligible… J’appelle Morphée, une boite de mouchoirs à ma droite, des pastilles pour la gorge dans les poches du pyjama, et un masque sur le visage.
1:15 Morphée, où es-tu? Je t’attends au milieu d’une mer de moutons. Et de pyramides de mouchoirs usagés.
2:31 Bruits de talons. Dans l’appartement du dessus. Agitation. Rires étouffés. Cavalcades. La porte d’entrée claque. Ils sont dans le couloir à glousser. Sortie du lit, je vais à ma fenêtre et soulève un coin de rideau. Le couple sort de l’immeuble. De sa main gauche, l’homme tient le parapluie, tandis que son bras droit enlace sa copine. Ils sont joyeux et s’en vont dans la nuit, pressés.
2:34 Morphée est en grève. Le salaud. Je me tourne, et me retourne. Me mouche. Mon lit Ikea me fait comprendre que sa retraite approche. Je me bats avec mes oreillers. Les lance à travers la pièce. J’ai perdu mes pastilles pour la gorge dans la bataille.
2:45 J’allume la lumière, et attrape un manga. Lire des idéogrammes devrait m’assommer rapidement.
3:57 Trois manga plus tard, le plan a échoué lamentablement.
4:05 Le sommeil frappe enfin à ma porte. PIM-POM-PIM-POM PIOU PIOU PIOU.
« ECARTEZ-VOUS DU CHEMIN KUDASAI* ECARTEZ-VOUS DU CHEMIN KUDASAI ECARTEZ-VOUS DU CHEMIN KUDASAI »
4:07 Morphée a pris la poudre d’escampette face au vacarme assourdissant des sirènes de police. L’angoisse de la taule sans doute. Je zone sur Twitter. Lis deux, trois articles.
5:00 J’éteins la lumière, mais l’aube est déjà là.
7:20 Bzzzz. Bzzzz. Bzzzz.
***
8:47 Je suis à l’heure. Vraiment à l’heure. Pas à l’heure sur mon retard. Le train s’arrête. Je monte avec la foule. Manteau sous le bras, j’ai chaud, très chaud. Devant moi, une japonaise explore un site internet dédié au TOEIC sur son portable. Elle a un sac à dos noir et un manteau crème. Les cheveux courts. L’homme assis devant elle a toute la panoplie du salaryman. Il porte un imper gris et d’une main, empêche sa mallette noire de glisser de ses genoux. Il est absorbé par la lecture de son livre. De temps en temps, il renifle derrière son masque.
La sueur dégouline lentement le long de mes omoplates. La climatisation est en marche, mais nous suffoquons dans les miasmes et l’humidité créée par la chaleur humaine. Le conducteur s’excuse du retard du train.
Sur ma droite, à quelques pas de là, une étudiante envoie des messages LINE. Elle tape de son pouce uniquement, à une vitesse fulgurante. Pour un pouce bien sûr.
Je parcours les publicités. Le même bullshit habituel. Et puis cette pépite. « Dans la vie, il n’y a pas d’expérience inutile. Il y a des réunions inutiles ». Je retiens un rire nerveux. Combien de réunions furent nécessaire pour approuver ce slogan?
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9:06
« Bonjour tout le monde et bienvenue… Je suis française, vous me pardonnerez mon accent… La procédure d’évacuation en cas de séisme – croisons les doigts, rien ne va arriver! … Personne ne vient à vélo? Super, parce que je vous le dis tout de suite… Nous n’avons pas de parking. Ahahah… Nous organisons des évènements culturels. Ce mois-ci, je vous encourage à nous rejoindre pour le bounenkai. Vous connaissez cette tradition japonaise? Ce n’est pas une soirée pour célébrer l’année à venir. Non, c’est une soirée pour oublier les évènements de 2016. Et je crois qu’on en a besoin, donc venez boire un coup avec nous… »
Sans le masque, je serai plus drôle. Je tente de dérider les nouveaux venus, je fais le clown de service. Je ressors des blagues. Parfois, j’ai du succès, parfois, les élèves sont trop inquiets de leur premier jour. Certains ont atterri la veille.
9:17 J’ai fini l’orientation. Savez-vous combien de demandes je traite par mois? Près de 250 en moyenne. Et elles augmentent. Je m’en occupe à 98%. Des noms, des histoires. Des demandes comiques. Des demandes touchantes. Des demandes tristes aussi. Quand les élèves arrivent, je peux enfin mettre des visages sur tous ces dossiers que je traite. Je ne me rappellerai pas de tout le monde, non. Mais je fais de mon mieux.
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11:46 Je reçois une réponse que j’attendais depuis quelques semaines. J’ai vraiment la banane.
« À quel point êtes-vous cool? ». Cette question m’a marquée. Je me rappelle m’être demandée comment y répondre. Un employé japonais serait passé complètement à côté, soit en l’ignorant, soit en y répondant une banalité. En y repensant, non, un japonais n’aurait pas perçu la perche. J’ai appelé l’équipe internationale à la rescousse.
– Bon, les gens. L’heure est grave. On répond quoi?
– Et si… Enfin, je propose ça à tout hasard… Et si on prenait une photo de l’école et…
Crise de fous rires. Je l’envoie, non sans mettre les collègues nippons dans la confidence. Ils sont hésitants. « Il ne faudrait peut-être pas l’envoyer? ». L’humour, c’est culturel. Moi j’espère donner le sourire à quelqu’un à l’autre bout du monde.
13:03 Laissant une trainée de mouchoirs dans mon sillage, j’arrive au bureau. Des gâteaux – omiyage** d’un collègue, trainent sur la table.
14:37
– Si t’as fini ton travail, enfin, si t’as fini, tu peux y aller. Il a pas l’air top ton rhume.
Euphémisme.
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15:05 Je m’éclipse ayant reçu l’accord de la chef. Je tombe de sommeil. Dehors, les rayons de soleil caressent les immeubles. Il se couche et déjà, le ciel rougit. À cette heure-ci, ce sont les lycéens qui envahissent les wagons. Un concert de reniflement m’accueille. L’homme à côté de moi renifle tous les 4 secondes, sans sourciller. D’autres nez lui répondent en coeur. Un unisson insupportable. C’est culturel. Oui. Mais je suis à deux doigts de craquer, de sortir mes mouchoirs et de les tendre à la ronde. Mouchez-vous, nom d’une pipe.
– Les tokyoites ont froid. L’hiver est venu beaucoup trop brusquement. C’est pour ça que tout le monde est malade.
Le mari est philosophe aujourd’hui.
Je commence à m’endormir accrochée à ma poignée. Les pieds solidement ancrés sur le sol ne semblent plus faire qu’un avec le wagon. Les yeux fermés, j’oscille avec les mouvement du train. Mon téléphone portable commence à glisser doucement de ma main gauche. Le jeune homme assis devant moi a les cheveux décolorés. Roux. Il sort son portable de la poche de sa veste kaki. Change la chanson qu’il écoutait. Je referme les yeux. Surtout… Surtout… Ne pas rater…
Takadanobaba, Takadanobaba
Je sursaute. La foule déjà me pousse vers la sortie.
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15:16 Dans le couloir de la station, un couple de lycéen. Le garçon tient leurs deux sacs de cours. Il est grand et maigrichon. La jeune fille rigole. Ses dents ne sont pas trop mal foutues. De petites perles blanches, pas trop de travers. Elle n’a pas encore appris à cacher son rire d’une main. Il baisse la tête, rougissant.
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15:38 Passage au drug store. Paquets de mouchoirs. Comprimés. Bouteille d’eau. À la caisse, la pharmacienne a l’air aussi malade que moi. On tousse toutes les deux en s’échangeant monnaie et ticket de caisse.
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*Kudasai: impératif poli, ici comprendre « écartez-vous s’il vous plait ».
**Omiyage: petit souvenir typique d’une région qu’on ramène au retour d’un voyage. Une véritable institution dans la culture japonaise.
Quentin
waaaaa c’est trop cool t’es petits articles quotidien la, je meurt d’envie de faire la meme chose en version audio !
dis, je peux ? je peux ? 😀
シルヴァン
BONJOUR
Je suis actuellement…. au même endroit que toi apparemment. Je suis a l’école de Toshin pour la saison de 3 mois. Je suis tombé sur ton blog. J’aurais aimé avoir des conseils pour vivre au japon ! n’hésite pas a me contacter par mail. Merci
Pauline
Fan de tes récits, ma petite lecture du soir. Soigne toi bien
Shinji
C’est cool d’avoir un nouvel article à lire tous les matins ! Sacré défi que tu t’es lancé quand même … J’espère que tu tiendras le coup ! Ganbare!