365 Jours de Tokyo: Day 7

9:47 Bruit de ville. Bruit de rue. Rires. Voitures. La soufflerie poussive de la climatisation réversible. Je monte la température. Bip. Les pas feutrés sur le parquet. Clic. La lumière est allumée. Mettre l’eau à chauffer. Retourner sous la couette. Grincement du lit. Ils faut le changer. Mais je projette de déménager. Autant commander un nouveau sommier une fois dans le nouvel appartement. Mais le déménagement tarde… Les voisins bougent des meubles. Crissement sur le parquet. Clac. L’eau est chaude.

Informations du jour. Manifestations à Shinjuku contre le projet de construction à Henoko. La route réparée à Fukuoka s’affaisse de nouveau. Petits rires. Le mythe de l’efficacité japonaise écorné. Fukuoka encore, et son attraction d’un goût particulier… Pensez donc, une patinoire avec plus de 5000 poissons et autres créatures marines prises dans la glace. Cruauté. Un clic plus tard, et l’on comprend que le problème réside plus dans la communication autour du projet, que dans le concept lui-même. Les poissons, déjà morts, n’étaient pas destinés à la consommation. Je me demande qui va être viré. Comment ont-ils mis ce projet en place? Ont-ils même réalisé les réactions négatives que cela pourrait susciter à l’étranger?

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13:02 Alors que je sors, quelques gouttes de pluie. Je remonte prendre mon parapluie. Croise le voisin du premier. Il baisse la tête. Se précipite vers sa porte. Je vais pas te manger nom de Dieu! Dans sa main droite, un sac plastique marron clair. J’y entrevois un bento* acheté au conbini du carrefour. Un conbini parmi les 55,000** que compte l’archipel nippon. Dimanche paresse. Il est en chausson, tenue débraillée.

13:13 Dans le train. La jeune fille a des cheveux multicolores. Bleus, verts, oranges. Les racines brunes. Elle s’appuye contre la barre et regarde par la vitre. Mine boudeuse et regard blasé. Son sac est couvert de badges. Des groupes de musique qui me sont inconnus. Les portes s’ouvrent et elle ne se pousse qu’avec mauvaise grâce, pour laisser un homme monter. Les autres sont des ennemis.

Le quartier étudiant. Le quartier coréen. Terminus, Shinjuku. La foule se presse dans la brume de ce début d’après-midi. Quel temps de chien.

365 Jours de Tokyo: Day 7

13:21 Je traverse le centre commerciale souterrain. Subnade. Quel nom étrange. Séance de dédicace dans le hall. Une centaine de personnes fait la queue. Les employés de la librairie supervisent. Je slalome entre les gens. Je passe devant les boutiques. Deux vendeuses se montrent leurs pointes de cheveux décolorés. Elles sont absordées par leur conversation.

Les souterrains de Shinjuku m’appartiennent. Je connais bien des passages et bien des sorties. Shinjuku, c’est le Poudlard du Japon. Parfois un passage semble avoir disparu tandis qu’une sortie inconnue se présente à vous. Je sens la fraîcheur me fouetter le visage, les escaliers ne sont pas loin. Le vent s’engouffre dans le souterrain. Une fine pluie tombe sur une mer de champignons transparents. Il fait un temps de dimanche de Novembre.

365 Jours de Tokyo: Day 7

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14:16 J’explore un centre de jeux d’arcades. Musique assourdissante. Rires. Des couples se pressent contre les vitres des machines attrape-peluche***. Les mains s’agitent sur les boutons. Je me lasse vite. La peluche tombe. À côté évidement. Je glisse encore quelques pièces. Et rentre bredouille. J’applique la règle des 1000 yens. Pas plus. Les arcades de Shinjuku, ce n’est pas vraiment le bon plan. À Nakano, elles sont plus faciles. Parait qu’à Akihabara, les réglages des pinces sont tellement truqués qu’à moins d’être un expert, on ne gagne rien. Ou alors faut claquer facile, 3000 à 4000 yens. Voire plus. Je suis une petite joueuse.

La pluie s’est transformée en bruine.

Le dimanche, l’armée des clones cède la place aux zombies consommateurs. La course au Vuitton. Sacs à la main, ils sont pris d’une frénésie d’achat compulsif. Vite, vite. Ne pas réfléchir à la vacuité de notre existence. Consommer, exister. Claquer le salaire durement gagné en dormant sur le bureau 20% du temps. Les jeunes japonais n’économisent pas. Plus. Ils sont les plus pessimistes au monde. Ils savent que le système de retraite va être mis à mal avec le vieillissement de la population. La dette du Japon, n’en parlons pas. Mais ils dépensent à corps perdu.

Soudain, dans cet ennui, une scène. L’écran au loin diffuse un live de courses hippiques. Ces agents d’entretien, immobiles, observent avec attention, le souffle coupé. Ont-ils parié? Le commentateur s’excite. Des résultats sont affichés.

 365 Jours de Tokyo: Day 7

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Un homme, la bouche entre-ouverte, dort à poings fermés dans le train. Pull-over bleu, pantalon gris. La trentaine. Peut-être un peu plus vieux? Le coup de frein du train et l’annonce de la station ne le réveilleront pas. Devant la station de Takadanobaba, une femme n’a pas l’air vraiment bien du tout. Elle est accroupie à côté des barrières, près de l’arrêt de bus. Son sac traine par terre. Elle a les yeux clos et se balance. Comme une enfant. Alors que je m’avance à travers le hall de la gare, je la perds de vue. Après quelques minutes à la chercher du regard, la voilà, cachée. Dos au monde, entre la boite aux lettres rouges et des vélos. Recroquevillée. Je ne sais pas quoi faire. Je me dis que la police, à quelques dizaines de mètres de là, finira bien par jeter un oeil, alertée par d’autres passants.

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18:47 Le visiophone sonne alors que je suis plongée dans mon travail. Je tourne la tête pour observer la video. Un livreur. Je décroche.

– C’est la poste, vous avez un colis.
– Hai!

J’appuie sur la petite clef et le laisse entrer dans l’immeuble. Si j’avais la flemme, je pourrais l’ignorer… Dans mon immeuble, nous avons des casiers pour la réception des colis. Le livreur n’a qu’à déposer le paquet et verrouiller le casier à l’aide d’un code numérique. Le code est écrit ensuite sur l’avis de passage. L’année dernière, je me rappelle, un voisin les avait utilisés pour y entreposer ses effets personnels…

Je tiens la porte entrouverte. Le froid rentre dans l’appartement. Il sort de l’ascenseur.

– Bonsoir.
– Nishizawa…?
– Ouaip.
– Signez s’il vous plait.

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*Bento: plat tout prêt.
** Donnée 2015.
***Traduction de UFO Catcher, une expression bien plus cool…

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