365 Jours de Tokyo: Day 11

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11:20 J’espionne par le judas de la porte d’entrée. Le nouveau voisin se fait livrer une machine à laver flambant neuve. Les deux livreurs peinent à manoeuvrer le gros colis dans le couloir. Je m’apprêtais à sortir, mais ouvrir la porte maintenant reviendrait à écraser le pauvre gus de droite contre le mur et à dégommer la machine au passage. J’attends en silence.

Mine de rien, cela fait bientôt plus de 3 ans et demi que je prends le même chemin. Le vent porte le bruit du train qui passe. La même vue, ordinaire, banale. Et pourtant, il me suffit de me remémorer les années passées pour que mon oeil se laisse surprendre de nouveau. Ah, oui, c’est vrai. Cet endroit est unique. La magie est un peu revenue.

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Elle passe comme un nuage.

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Courant d’air. Le train. Je suis en retard. Ah. Lui aussi.

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11:57 Sur le quai, un salaryman joue à un jeu sur son portable. Activité favorite des nippons. Je prends une photo en douce.

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12:10 Je suis accueillie par la clim à 27°C. Je sais. Je sais que les japonais n’ont pas la même température corporelle que nous, occidentaux. Un degré de nuance (36 vs 37). Serait-ce la cause des réglages excessifs? Mystère.

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14:30 Je cours au conbini acheter de quoi déjeuner sur le pouce. La stagiaire m’accompagne, les yeux rivés sur son portable. BLONK. Je me retourne pour la voir qui s’est pris un poteau de plein fouet. Elle me regarde les yeux écarquillés une demi seconde avant de vite presser le pas pour fuir les lieux du crime devant un groupe de salarymen hilares. Je peine à masquer un rire et je la rabroue gentiment.

– 歩きスマホダメ!
(Regarder son portable tout en marchant n’est pas bien!)

Le ciel est vraiment beau aujourd’hui. Bleu. Soleil. Il ferait presque doux. Des élèves d’une école primaire privée courent sur le trottoir. Bataille de parapluies, discussions animées. Et puis ce petit déjà sage, plongé dans un livre.

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15:00 Le téléphone sonne. Pour ceux qui n’ont aucune notion de japonais, il me faut faire une courte paranthèse. Le japonais possède un niveau de politesse appelé keigo, qui modifie non seulement la grammaire et la conjugaison, mais aussi le vocabulaire. Si le vouvoiement vous fait suer, apprendre le japonais est un aller direct pour l’enfer. Une conversation au téléphone avec un client ou un fournisseur est semée d’embûches et de phrases longues comme votre bras. Mon collègue décroche joyeusement. Et puis, il se décompose et balbutie.

– Ah, euh. La responsable… La responsable n’est pas présente actuellement… Je suis désolé. Est-ce que vous pourriez rappeler plus tard?

15:25 Le téléphone sonne de nouveau.

– Oui, Coto Work bonjour! … Ah! Ah, Je suis désolé… Oui, elle n’est toujours pas là. Je suis vraiment désolé…

Notre chef, alors en réunion dans le bureau d’à côté, passe en coup de vent pour nous dire de prendre un message. La sueur commence à perler sur le front de mon camarade de bureau.

– Allez, va, file moi le téléphone la prochaine fois.

Je regrette aussitôt ma magnanimité.

16:30 La sonnerie redoutée retentit. Je suis prête. Je me suis coachée mentalement. ‘Tu peux le faire Amélie. Tu peux répondre à un japonais sans foutre la honte sur ton entreprise et pousser ton boss à se faire seppuku*.

– Bonjour, ici l’entreprise Coto Work. Merci beaucoup de votre coopération. Je suis terriblement navrée, la responsable est actuellement en déplacement. Elle devrait revenir d’ici 30 minutes. Puis je prendre un message?

Je respire. Les murs se referment sur moi. La voix se fait lasse et dubative.

– Non, je vais rappeler merci.

J’aurai tenté.

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19:23 Un élève nous a apporté des fleurs. Ému, il a les yeux humides.

– Ne m’oubliez pas s’il vous plait, parce que je veux que vous vous rappeliez de moi quand je viendrai vous voir!

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Un enfant court dans la rue. Je le vois s’éloigner au loin. Où sont ses parents? Les mafieux le regardent passer, tout en fumant leurs cigarettes. Un vélo me frôle. Une jeune femme. Elle boit son café d’une main, et regarde son téléphone, qu’elle tient en même temps que son guidon. Acrobate. Derrière elle, un siège enfant… Le petit se retourne. Il la fuit encore un peu. Il éclate de rire et joue avec son manteau qu’il a ôté.

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Au drugstore. Je pose mes articles sur le comptoir. Bip. Bip. Bip. J’ouvre mon porte-monnaie.

– Avez-vous l’application trucbidulemuchejechopepaslenomaupassage?

– …Non.

– Si vous l’installez aujourd’hui, vous ferez une économie de 105 yens!

– Non, c’est bon merci.

– … Vous êtes vraiment sûre!?

Je souris. Un flyer pour me vendre une appli. Bonjour l’interface 0.1 datant de l’ère d’AOL et où MSN était in. Je ne vais pas lui expliquer, à ce pauvre homme, que s’il a besoin d’un flyer avec le mode d’emploi pas à pas, c’est que c’est une bouse intergalactique. 105 yens d’économie. Une appli véreuse avec 15 minutes d’installation.

– Sûre!

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*Seppuku: suicide rituel japonais, attenté afin de se repentir de ses péchés…

4 Comments to “365 Jours de Tokyo: Day 11”

  • Siham

    Je découvre ton blog et c’est vraiment très bien écrit. Je suis amoureuse du Japon et commence à peine son apprentissage (pas forcément pour y vivre mais juste parce que ça me passionne). J’adore tes articles, ils sont très agréables à lire 🙂 Bon courage pour la suite et bonne continuation à toi!

    • ameliemarieintokyo

      Bonjour Siham, merci beaucoup de ton commentaire qui me va droit au coeur. Être passionné par le Japon – être passionné tout court!- c’est merveilleux et enrichissant. J’espère que cela va t’apporter beaucoup de bonnes choses.

  • Tony

    Juste un petit mot pour t’encourager et te remercier de nous faire voyager un peu tous les jours au Japon. J’aime plus particulièrement voir les photos de tes vues « ordinaires », qui sont pour nous extraordinaires 🙂 et comme tu prends souvent des photos vers le bas ça me permet aussi de redécouvrir l’espace public japonais, tellement différent de l’espace public parisien sur lequel je travaille.

    • ameliemarieintokyo

      Bonjour Tony. Et merci du fond du coeur! Cela me fait très plaisir. Je m’accroche pour essayer de raconter chaque jour quelque chose de nouveau ^^.

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