tatouage au Japon

Le tatouage au Japon : vis ma peau de tatouée à Tokyo

La question du tatouage au Japon fait couler beaucoup d’encre. Loin d’être une spécialiste, et étant tatouée, je me suis posée des questions avant mon arrivée dans le pays. J’ai aussi fait quelques recherches – celles-ci restant encore bien superficielles ! Et si vous avez vraiment envie de creuser la question, je vous invite vivement à aller lire ce dossier de Le Coq et le Cerisier.

Plongeons nous dans l’histoire (raccourcie) du tatouage au Japon

Traditionnellement, l’art de l’irezumi, 入墨, insérer l’encre, ou紋身, décorer le corps selon les idéogrammes, remonte à plusieurs millénaires. Le tatouage marque alors l’appartenance à un clan ou une catégorie socioprofessionnelle. Cependant quel est le rapport avec le Japon du XXIème siècle ? Et bien, progressivement, les tatouages sont devenus l’apanage des criminels. Dès le VIIème siècle, le tatouage au Japon prend une connotation négative. Durant l’ère Edo, cette symbolique du tatouage se développe et celui-ci est utilisé pour marquer les criminels.

Tatouage au Japon

Archives des tatouages japonais utilisés pour marquer les criminels selon leurs crimes – http://www.japansubculture.com/

 

Images: (C)EDO WONDERLAND

Néanmoins, le tatouage reste encore décoratif. Cette période donne naissance à l’art du tatouage tel qu’on le connait aujourd’hui au Japon. Il est notamment réalisé à partir d’illustrations héroïques gravées sur bois avec des bêtes mystiques, des fleurs, des tigres… Ainsi, les graveurs devinrent tatoueurs, utilisant les mêmes outils pour marquer la chair humaine.

https://www.flickr.com/photos/blue_ruin_1/4833518400/

This is a Press photo from 1937 that has been trimmed down from a larger photograph sometime during its life. On the back is typed the following: “Tattoo / Tattooing. Because they believe that tattooing makes them beautiful many Japanese women endure the painful process without an opiate. They spend hundreds of dollars in this manner. » Roto 9/26/37. From an earlier newspaper article using another image from the same photo-shoot: “Deft coloration of their bodies with symbolic figures is considered by some Japanese women as an addition to their beauty, and they undergo painful applications of pigment despite the fact the practice is disapproved by authorities…” July 4 – 1937 Roto.

Vient l’ère Meiji, durant laquelle le gouvernement souhaite faire patte blanche auprès des occidentaux.

Le tatouage au Japon est interdit et la connotation criminelle est de plus en plus forte. Ce n’est qu’en 1948 sous la pression des américains, que l’art du tatouage redevient légal. En revanche, il conserve une image extrêmement négative et est associé aux Yakuza, ces mafieux locaux. Beaucoup de lieux publics – bains, centre sportif, onsen, interdisent les gens tatoués. Cela pour la bonne et simple raison qu’il fallait protéger les clients de harcèlement et empêcher que les mafieux ne viennent faire leurs petites affaires aux bains publics.

Le tatouage au Japon et notre époque

Je pense qu’aujourd’hui, le tatouage est de plus en plus populaire au Japon – ironie du sort, sous l’influence occidentale. Mais il garde les stigmates du passé, bien que le tatouage traditionnellement associé aux criminels soit bien différent. C’est un tatouage élaboré couvrant le dos, voir tout le corps et laissé à l’inspiration de l’artiste. Les jeunes japonais viennent aujourd’hui avec des modèles simples, plus communs ou inspirés de la culture populaire.

Tatouage dans un salon de Yokohama spécialisé dans les personnages d’animes – http://en.rocketnews24.com/2014/05/15/no-digital-ink-here-yokohama-tattoo-parlor-churning-out-amazing-anime-art/

Rien à voir, donc.

Tatouage et politique

Pourtant sur le plan politique, la question du tatouage est houleuse. On évoque une guerre au tatouage, celle-ci démarrant en fanfare en 2012 avec la campagne fracassante du maire d’Osaka, Toru Hashimoto (comparé à Adolf Hitler). Celui-ci souhaite le licenciement des gens tatoués en 2012. Ordonnant par courrier à tous les employés de la fonction public de déclarer s’ils avaient ou non des tatouages, leur emplacement et leur taille. Il a déclaré: « s’ils en ont, ils doivent se les faire ôter, ou trouver du travail ailleurs ».

Cette chasse à la sorcière – dirigée contre les Yakuza – menace les citoyens normaux mais aussi les touristes. Alors que le tatouage est de plus en plus à la mode. L’ironie réside d’ailleurs dans le fait que les yakuza sont de moins en moins tatoués. Ainsi, un artiste tatoueur a-t-il dit pour le site Japan Subculture: « tous mes clients sont des gens normaux. Plus aucun yakuza sensé ne se fait faire de tatouage. Vous ne pouvez plus faire d’affaires ainsi, ni gravir les échelles du petit monde du crime organisé ».

Il semble donc qu’un bout de peau encrée peut vous coûter votre travail, votre carrière, vous empêcher de fonder une famille, bref, vous y réfléchissez à 100 fois avant de vous tatouer dans l’archipel. Malgré tout, de plus en plus de jeunes japonais se font faire des petits tatouages discrets mais… Les effacent au laser aussi vite qu’ils sont venus. Les cliniques de chirurgie esthétique ont reporté en 2012 une hausse de 25% de demande de retrait de tatouage.

Cette véritable phobie sociale fait-elle véritablement consensus ? À Osaka des voix se sont élevées contre une « violation des droits de l’homme ».

Le travail de Manami Okazaki, auteur de « Tatouage au Japon: style traditionnel et moderne »

D’après cet auteur ayant étudié la situation actuelle, la popularité du tatouage est en constante augmentation. Tandis que les yakuza en font de moins en moins – ils n’ont ni le temps ni l’argent. Comptez 500 heures et plus de 5 millions de yens soit 34 330€ pour un tatouage traditionnel.

À Hakone, célèbre ville pour ses onsens – dont quasiment tous interdisent l’entrée des personnes tatouées, a eu lieu une prise de conscience. Les propriétaires comprennent la nécessité de différencier le tatouage traditionnel, effrayant les visiteurs japonais, et les tatouages modernes, décoratifs. Des discussions sont en cours dans tout le pays sur la ligne à tracer entre la mode et un irezumi traditionnel…

À Hokkaido, les propriétaires de bains publics sont en pourparler pour réviser les règles d’interdiction. Car « exclure les gens tatoués est discriminatoire« . D’ailleurs, plus de 75% des bains publics de cette région autorise déjà plus ou moins leur entrée, 19% pensant qu’ils perdraient sinon des clients.

Cependant, un autre problème surgit.

Il s’agit de la question de l’hygiène, cruciale pour les nippons (ndlr: en France avec nos douches, on passe pour des malpropres). « La raison pour laquelle nous devons gentiment demander à des clients de ne pas utiliser les installations publiques est parce que nous voulons avoir des bains propres, (…) les japonais se sentant inconfortables lorsqu’ils se baignent avec des gens tatoués ». Un professeur d’anglais britannique s’était ainsi vu refusé l’inscription à une salle de gym parce qu’il était tatoué, et de passage dans un onsen de Sapporo, il se fit proprement sortir des lieux. Ce genre de mésaventures n’arrive pas qu’aux étrangers, mais aussi aux japonais.

Les artistes tatoueurs sont confiants dans l’avenir, leur clientèle étant pour certains quasiment à 90% des gens normaux, dont quasiment 30 à 40% d’étrangers. L’art de l’irezumi datant d’Edo à de beaux jours à venir.

Horiyoshi III, célèbre artiste tatoueur, travaillant à Yokohama – http://www.japansubculture.com/

Un officier de police japonais a déclaré avec sagesse « si nous continuons de discriminer les gens tatoués, ou les anciens yakuza, nous ne pourrons jamais les reintégrer dans la société. Les tatouages ne sont plus un signe fiable de l’appartenance d’une personne au crime organisé. Il serait tant que les lois correspondent à la réalité ».

Et moi dans tout ça ?

Mon tatouage, je n’y pensais quasiment plus. Il fait partie de moi, c’est toujours « ma peau ». Il est quelque chose de privé, dont la symbolique, la signification m’appartient. Je connaissais déjà la culture japonaise. L’idée du rejet au Japon m’avait traversé l’esprit – bien qu’alors, je ne pouvais imaginer que je serai amenée à vivre à Tokyo.

J’ai réalisé que mon petit bout d’épaule allait me tracasser dès mes premières heures dans notre hôtel à Narita.

Après une vingtaine d’heure de voyage, nous nous sommes jetés dans la piscine de l’hôtel pour y barboter quelques minutes. En entrant dans la zone de la piscine, je lis les règles et suis surprise d’y lire qu’une personne tatouée peut se voir sortir des bains. Je réalise que cela pourrait m’arriver. Et que je n’ai rien fait de mal (ma peau, c’est ma peau !). Heureusement, je m’estime chanceuse. En effet, je n’ai jamais été virée d’un onsen, d’une piscine, d’une salle de sport où je suis allée. En revanche, on m’a une fois passé un haut de natation (piscine de Nakano) et on m’a interdit l’inscription à une salle de sport privée.
Ainsi pendant plusieurs mois, je me suis sentie mal. Je me suis remise en cause. Je me suis demandée si finalement il ne me faudrait pas passer par un laser. En clair, je n’assumais plus. Pourtant, je crois n’avoir jamais perçu de jugements dans les bains publics ou les onsen où je me suis rendue. Le premier hiver, je n’ai pas eu l’occasion de découvrir mes épaules. Mais dès le printemps, j’avoue avoir choisi des vêtements cachant mon tatouage… Alors même que les touristes s’affichant à l’aise avec leurs bras, jambes, que sais-je encore, tatoués, ne manquent pas à l’appel ! Je me souviens d’avoir angoissé une fois dans le métro. Après avoir ôté ma veste, je réalise que mon épaule est démasquée, visible de tous. J’avais très chaud et je ne me voyais pas me rhabiller. Pourtant ces 10 minutes ont été très longues, tant je craignais l’attention.

La piscine Sendagaya m’a un peu redonné confiance.

Je m’y suis rendue au début avec un t-shirt de natation. Puis j’ai laissé tomber – trop chaud. Et je suis allée nager en maillot de bain après avoir vu tellement de nageurs tatoués, étrangers comme japonais. Je ne crois pas avoir attiré l’attention. Ou plutôt, si j’attire l’attention, c’est parce que je suis une femme étrangère (en maillot de bain).
J’ai commencé à prendre de l’assurance et à profiter plus souvent des bains et sources chaudes disponibles dans les hôtels et ryokan, auberges traditionnelles japonaises. Beaucoup indiquaient que les gens tatoués n’étaient pas les bienvenus. Mais je n’ai eu aucun problème. Il parait que c’est une loterie, selon votre tête, l’humeur des employés et la saison. Tout au plus, dans les onsen de Kyoto, ai-je pu sentir des regards insistants, me mettant un peu mal à l’aise. Mon expériene, c’est beaucoup de sourires et de conversations. Des japonaises curieuses, sans jamais attarder leur regard sur mon tatouage.
Finalement, j’ai l’impression que la psychose était un peu dans ma tête. Un peu japonisée, je suis anxieuse de m’adapter à ma culture d’accueil. Ne dit-on pas que les pires prêcheurs sont les convertis ?

 

Enfin, si vous souhaitez vous faire tatouer à Tokyo, je vous invite à découvrir la talentueuse Hachi, tatoueuse artiste professionnelle.

8 Comments to “Le tatouage au Japon : vis ma peau de tatouée à Tokyo”

  • Astrid

    Bonjour !

    Je suis retombée sur ton article par hasard, et je voulais savoir si tu savais dans le domaine du travail, par exemple dans l’enseignement universitaire et la recherche, si les tatouages sont également la cause de licenciement ? Étudiante en japonais, j’envisage un métier d’enseignant au Japon, dans une discipline scientifique, mais ayant un tatouage visible, je me demande si je risque de ne jamais trouver un emploi à cause de cela

    Merci à toi 🙂

    • ameliemarieintokyo

      Bonjour Astrid, le tatouage est définitivement un frein à l’embauche au Japon. Il est préférable de le cacher – en particulier pour les métiers qui amènent à être en contact avec le public. Autant dire que pour l’enseignement, cela risque d’être vraiment difficile (définitivement impossible pour collège/lycée – l’université peut être plus ouverte).

  • Être un tatoué au Japon – Le Support et l'Encre.

    […] Tu peux aussi lire une autre expérience de tatouée à Tokyo via l’article d’Amélie-Marie. […]

  • Anaïs

    Bonjour,

    Je n’en connaissais pas votre blog mais j’ai beaucoup aimé vous lire alors je continuerai !

    Pour ma part, je n’ai pas encore eu la chance d’aller au Japon et je suis tatouée. J’ai trois tatouages dont deux (moitié haut dos et avant bras gauche) en rapport avec le Japon.. est ce qu’on peut parle de tatouage traditionnel à partir de là où est ce que ça concerne uniquement un style ?

    Depuis que je suis tatouée, je lis beaucoup d’articles sur le tatouage au Japon parce que j´ai peur de finalement insulter une partrie qui m’en passionne depuis longtemps.. et votre article m’a quand même rassuré même si je pense qu’il me faudra les couvrir parfois.

    Ma question serait : est ce que vous pensez que les japonais pourraient se sentir « insultés » ou « offenser » qu’un(e) étranger(e) se soit tatoué(e) quelque chose en lien avec leur culture, leur langage etc ?

  • Ato

    Bonjour,

    Je confirme que la psychose n est pas que dans la tete et que la discrimination est réelle. J habite Osaka depuis 10 ans et on m a chassé de onsens 5 fois comme un vrai criminel, poussé par trois personnes, encerclé alors encore nu devant les casiers et expulsé du bâtiment. Cela a réellement quelque chose qui peut provoquer la haine du Japon et à quelques années des jeux olympiques, si le Japon ne change pas cette loi absurde, cela ne pourrait-il pas coûter cher à leur image ?

  • Amelie Marie In Tokyo / À la découverte des yakuza

    […] parlant des tatouages, j’avais rapidement évoqué les yakuza, ces membres du crime organisé, traditionnellement représenté par leurs tatouages. Les yakuza […]

  • Steph

    Bonjour Amelie-Marie, Je suis aussi tatouee (pas tres gros pourtant) et a deux reprises on m’a demande de sortir de super sento.
    Je vais rarement dans les etablissements privees, mais quand c’est le cas je le cache avant de rentrer dans l’eau avec une serviette, et je n’ai jamais osee aller a la piscine…
    Heureusement aucun probleme avec les sento publics que je frequente plusieurs fois par semaine.

    • Amélie-Marie

      Arf, quelle misère tout de même …

      Je le cache aussi avec mes cheveux (quand ils étaient plus long en fait) ou avec une serviette posée sur l’épaule.

      Les établissements privés sont beaucoup plus durs que les établissements publics, j’avais bien senti cette différence. Par contre, pour la piscine, aucun problème si elle est publique (les piscines publiques n’ont pas le droit de discriminer les personnes tatouées, du moins c’est ce que l’on m’a dit à Sendagaya). Sur internet, j’avais trouvé des articles de gaijins référençant les piscines où les gens tatoués ont le droit d’entrer (mais j’imagine que cela dépend de l’endroit où tu vis!).

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