mon mari japonais

L’histoire de ma rencontre avec mon mari japonais

J’ai rencontré celui qui allait devenir mon mari japonais à 15:32 le samedi 19 Février 2012, un café shokoladnitsa dans Moscou.

Hi, nice to meet you everyone!

J’y vais, j’y vais pas ?

J’avais beaucoup hésité. J’envisageais de partir apprendre l’arabe en Egypte. Mais entre une situation politique tendue et les supplications familiales, j’ai cédé pour un choix plus sûr. Alors j’ai embarqué pour Moscou et l’Institut Pouchkine, université spécialisée en langue et littérature russe. Je suis arrivée un vendredi soir, tard, accueillie par la neige, -19°C et un drôle de chauffeur de taxi. Je ne le savais pas, mais 6 mois plus tard, je serai au Japon. Pour la deuxième fois.

365 Jours de Tokyo: Day 19

10:02 Je loge dans un appartement avec cinq autres élèves, au huitième étage des dortoirs de l’université. Nous avons une grande cuisine commune par étage. Notre appartement est divisé en deux chambres, avec une petite salle de bain, et un frigidaire dans l’entrée. Ma colocataire autrichienne, assise à son bureau – temple de son érudition depuis déjà 6 mois, se tourne vers moi.

– Hey Amelie, je vais voir des amis japonais. Ils ont promis de nous faire visiter leur Université, MGU. Tu viens ?

J’hésite. Je suis là depuis à peine une semaine. Je n’ai pas encore fait mes marques… Allez, venir à Moscou, c’était un peu me forcer à dire « oui » à l’aventure.

– Okay.

– I’m so sorry!

Aujourd’hui, nous n’aurons pas l’occasion d’aller explorer les dortoirs de la célèbre université russe. Les garçons, tout nippons qu’ils sont, auront oublié de « signaler » notre venue aux gardes de l’entrée. Les établissements universitaires sont strictement controlés en Russie. Les visiteurs doivent venir munis de leurs passeports. Les deux gardes hilares seront intraitables. « Emmenez les donc au café ». Nous pataugeons dans la neige. Il fait vraiment, vraiment froid.

Notre petite troupe avance péniblement en direction du centre commercial. Il faut faire gaffe de ne pas glisser sur le trottoir ou de finir avec de la neige jusqu’au genou en marchant par mégarde sur la route. On a prévu de se réfugier dans un café au doux nom de shokoladnitsa. Après quelques minutes, nous apercevons l’entrée de cette grosse galerie marchande dans la grisaille moscovite.

– On se présente !

Les japonais sont souriants. C’est drôle cette manière qu’ils ont de se présenter tour à tour. On se donne nos prénoms, nos âges mais aussi la raison de notre venue en Russie. L’amour des langues étrangères, une bourse d’études, pour le plaisir, les profils sont variés. Les japonais ponctuent la conversation de pause, le temps de tapoter de drôles d’appareils. J’apprendrai par la suite que ce sont des dictionnaires électroniques. J’achèterai mon premier, un EXword rose bonbon, 7 mois plus tard, dans une ruelle d’Akihabara.

Mes doigts se réchauffent peu à peu et reprennent de la couleur alors que je parcours le menu. Les chocolats chauds du shokoladnitsa me paraissent terriblement chers. J’hésite un peu et puis je commande comme ma voisine, un café simple. Nous devisons sur la magie des langues, la difficulté de la traduction, la linguistique. Et puis bien sûr, on s’enseigne les insultes de nos langues respectives et d’ailleurs. Chacun, armé d’un petit calepin ou d’un bout de serviette en papier, écrit des mots qu’on analyse et dissèque.

Le japonais, j’en ai de très vagues souvenirs. C’est vrai que j’avais un peu touché au sujet au lycée et puis plus tard, lors de mon premier voyage. En 2007, cela fait déjà 5 ans! Je suis la seule à connaître le Japon, alors les japonais sont très curieux. Et tu as vu ça ? Tu as été où ? Tu as fait quoi ? Quelques mots me reviennent en tête. Pas de quoi aller bien loin, mais cela suffit pour la galerie qui s’extasie. Tout le monde ici est trilingue, au minimum, plus ou moins. Des amoureux de la langue de Tolstoï, fous au point de venir affronter les bourrasques enneigées de l’hiver moscovite.

Un vendredi après midi, Avril 2012, au coeur de Moscou.

– I have to go. 

La rentrée universitaire japonaise est en avril. Je maudis ce calendrier étrange. Mon copain japonais s’en va. Il va retrouver ses cours de politique, son club de judo, ses amis. Loin, très loin, à Tokyo. Nous avons passé l’après-midi à discuter dans un café. Une activité affectionnée par les russes et adaptée au climat. Encore qu’avec le printemps, la neige a fondu. Les températures sont redevenues agréables. Tic-tac, l’heure tourne et le temps est impassible face à la détresse des amoureux.

Le quai du métro est bondé mais nous ne faisons guère attention aux gens qui passent. Teatralnaïa, une très belle station du métro de Moscou. Piliers de marbre, plafond vouté, elle est sobre et élégante. Les passagers se pressent autour de nous, gênant les adieux maladroits.

– Sayonara.

J’y vais, j’y vais pas ?

14:17, dimanche 19 mai 2012, aéroport de Narita.

Après avoir traversé Moscou avec ma valise cassée, 4 heures d’escale à Abu Dhabi et un total de 17 heures de vol, je pose les pieds au Japon pour la seconde fois. Je n’ai pas d’hôtel. Je n’ai pas de plan. Mon billet de retour est dans deux mois et demi. Tout au juste ai-je pris le temps d’un email pour annoncer à la famille que je changeais de pays, au moins pour quelques temps. J’ai délaissé le cyrillique pour les kanas. J’ai troqué les verbes de mouvement russes pour les particules du japonais. Un véritable saut dans le vide.

Je déchiffre péniblement 日本へよこそ, « bienvenue au Japon », dans le couloir de désembarquement. Mon vol était vide. Véritablement vide. J’ai passé du temps à discuter avec les hôtesses. Quelques japonais avec moi. Je récupère ma massive valise et passe la douane sans aucune difficulté.

– J’ai pris des tickets de bus. 

Le bougre. Il a appris le français en deux temps trois mouvements. Nous traversons le hall et sortons sur le quai. Celui-là même où j’avais tourné en rond, 5 ans auparavant, dans l’écrasante chaleur d’août. C’est la saison des pluies. L’air est saturé d’humidité. Nous transpirons à grosse gouttes en trainant la valise cassée. Le bus pour Shinjuku arrive. Il me cède le siège contre la fenêtre, pour que je puisse voir le paysage défiler. La ville. Un peu de verdure. Les tronçons de voies express. Je redécouvre Tokyo à travers le bétonné et le gris. Nous nous approchons des buildings.

Tu as entendu parler de la Sky Tree ? C’est une tour de 634 mètres ! Elle ouvre dans 3 jours… Malheureusement je n’ai pas pu avoir de ticket…

13:20, 2016.

Après avoir déjeuné avec les collègues, je fais un rapide détour pour faire une course à Kagurazaka. Je passe dans les jolies rues du quartier dit « français ». J’ai un pincement au coeur en passant à côté de mon tout premier appartement à Tokyo. C’était quand déjà… Ah oui, en 2012 ! De mémoire, la météo m’avait paru intolérable. Ma première saison des pluies… C’était un studio étroit, mais de construction récente. Il était assez comfortable.

Enfin, comfortable. Une fois ma valise posée, on ne pouvait plus mettre le pied nul part. Imaginez. Des livres jusqu’au plafond. Un véritable chaos de stylos, cahiers de cours et vêtements. Trois jours. Il aura fallu de trois jours et une patience infinie pour faire revenir l’ordre et l’espace dans le studio de mon mari japonais.

– Tu te rappelles, le premier jour ?
– ?
– Tu sais, après la Russie !
– Ah, oui. Et quoi ?
– Le bordel chez toi.
– …
– Oh, je rigole. M’enfin, t’avais prévu de m’accueillir quand même.
– Quand je suis rentré de la fac, je me suis dit, « wow, mes livres sont organisés, mes vêtements sont sur des cintres et j’ai une boîte avec tous mes briquets à côté de la fenêtre… Elle, je vais l’épouser« .

Je lève la tête. Le balcon est encombré, et un rideau est tiré à la fenêtre. Je me demande qui habite désormais l’appartement 302.

5 Comments to “L’histoire de ma rencontre avec mon mari japonais”

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