osakini shitsurei shimasu

Osakini shitsurei shimasu : quitter le bureau après sa journée de travail au Japon

Cela faisait un moment que je songeais à écrire un article au sujet de l’expression osakini shitsurei shimasu. L’idée me trottait dans la tête après avoir abordé son pendant, l’expression otsukaresama desu. En effet, ces petites phrases, si utiles pour les apprenants de japonais, permettent aussi de vous donner une vision de la société japonaise et de ses valeurs.

Osakini shitsurei shimasu est une expression pour dire au revoir au travail

Bien qu’au revoir ne soit pas tout à fait correct, il n’existe pas en français de traduction plus précise. Cette expression, comme bien d’autres et dans de nombreuses langues, a une forte connotation culturelle intraduisible. Faisons le point.

Rappelons qu’au Japon, le monde du travail est frappé d’une maladie terrible : l’excès de travail. Dans cette culture fortement hiérarchisée, les employés ne peuvent quitter leur poste tant que leur chef est présent. Il ne s’agit pas d’une règle officielle, écrite ou encore fixée par l’entreprise. Simplement, tant que leur supérieur poursuit ses tâches, les employés ne se sentent pas libérés de leur fonction. Cela n’a pas toujours été le cas et les longues heures supplémentaires au bureau sont apparues durant la crise économique.

Les temps changent lentement au Japon, si bien qu’encore aujourd’hui, dans les entreprises les plus traditionnelles, si un chef fait du zèle ou impose trop de tâches à son équipe, les employés sont condamnés à faire des heures supplémentaires jusqu’au dernier train. Loin de moi l’idée de vouloir aborder la question de la productivité ou de l’effectivité d’une telle manière de travailler. Il existe par ailleurs d’autres facteurs poussant les employés à rester très tard, en particulier, obtenir de l’avancement ou gonfler son salaire.

Toujours est-il que c’est dans ce contexte qu’est apparue l’expression débattue osakini shitsurei shimasu pour saluer vos collègues encore au travail lorsque vous quittez votre bureau.

Rapide étymologie de l’expression

Osakini (お先に) signifie « devant » ou encore « avant ». Shitsurei (失礼) se traduit par « impolitesse », « discourtoisie ». Le mot est composé de 失 (perdre, faute) et de 礼 (salut, cérémonie). Plutôt clair, non ? Combiné avec le verbe faire (します), le mot donne « être impoli » ou encore « faire quelque chose d’impoli ». En d’autres termes, vous vous excusez de partir avant / devant les autres « qui sont toujours à travailler ». Vos collègues vous répondent alors « otsukaresama desu » (merci pour ton travail, bon travail). Une autre manière polie de dire « au revoir ».

Est-ce vraiment poli ?

Je vous ai mentionné en début d’article que les japonais accordent beaucoup d’importance aux salutations. Cependant, osakini shitsurei shimasu fait l’objet de doute et de débat. Il suffit d’une rapide recherche pour comprendre que cette expression est « difficile à dire », « me dégoûte », « fait partie de la culture des heures supp ». Bref, les japonais eux-même ne sont pas à l’aise et définissent cette expression ainsi :

  • 皆さんより先に帰ってしまうという礼儀知らずな行為をお許しください
  • « S’il vous plait, pardonnez-moi d’aller à l’encontre de la politesse en partant avant tout le monde »

Se sentir coupable…

Premièrement, certains employés mentionnent leur difficulté à dire osakini shitsurei shimasu. Partir du bureau avant les autres n’est pas si facile !

  • Certains se sentent mal. « J’ai envie de rentrer, mais dire ça à mon collègue qui fait des heures supplémentaires est dur… »
  • D’autres se font rabrouer. « Mon chef m’a dit que je ne pouvais pas encore partir ! »
  • Parfois, ce sont les remarques désagréables des collègues. « Si tu pars maintenant, je vais devoir rester à faire des heures supplémentaires… »

Aussi, internet regorge d’articles expliquant que pour partir du travail à l’heure (à l’heure !!) il faut des excuses – à la fois pour se convaincre soi-même de partir, mais aussi pour son chef, telles que :

  • un rendez-vous amoureux,
  • un séminaire ou des cours du soir,
  • des activités sportives ou culturelles.

Se savoir impoli…

Deuxièmement, certains évoquent la signification à double tranchant de l’expression. D’une certaine manière, en s’excusant de partir avant ses collègues, on reconnait que c’est impoli, car ils sont encore en train de travailler, mais on passe outre l’impolitesse. La recherche sur le langage et la communication menée au Japon considère que cette expression appartient à la ネガティブポライトネス, une politesse « négative ».

Conclusion : mieux vaut rester travailler.

Cela mène au troisième point. Au Japon, le groupe prime sur l’individu et le travail est réparti entre tout le monde (en théorie…). Quitter son poste à l’heure, aussi légitime que cela soit, implique d’abandonner sa part de travail aux autres. Comment partir si l’on se sent déjà coupable d’abandonner ses collègues et que le langage nous rappelle notre impolitesse ?  Eh bien on ne part pas et on se retrouve avec une culture de l’excès de travail. CQFD selon les linguistes.

De ces discussions apparait l’envie de certains japonais de faire comme les étrangers et de ne plus dire « je suis désolée de partir avant vous », mais « à demain ».

Qu’en pensez-vous ?

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