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Nommunication : boire pour communiquer au Japon

Bien que critiquée ces dernières années, la nommunication est encore bien répandue au Japon. L’expression est née de la combinaison du verbe japonais boire (飲む, nomu) et du mot communication. Elle recouvre principalement la pratique d’aller boire après le travail. Ainsi, si vous trainez dans un izakaya, vous ne manquerez pas de voir de larges groupes de salarymen aussi imbibés que des babas au rhum. Que vous ne vous y trompiez pas, les nomikai (飲み会, réunion pour boire) font quasiment partie du travail et sont cruciales pour le renforcement des équipes.

La nommunication comme lubrifiant des relations professionnelles…

La société japonaise repose sur les valeurs de confiance et de loyauté. Cependant pour souder le groupe, il est essentiel que les membres communiquent. Afin de s’intégrer dans une équipe, prendre un pot avec les collègues en sortant du bureau est presque une obligation. En effet, l’alcool déshinibe. Boire permet aux japonais de sentir à l’aise, plus ouverts et surtout, plus honnêtes à propos de sujets délicats.

Écrit 飲みニケーション en japonais, le terme date des années 70. Cela correspond à l’essor des salaryman, durant lequel le modèle de l’entreprise à vie battait son plein. La pratique est née d’une volonté de développer une mentalité d’entreprise lui permettant de fonctionner mieux. En effet, le rapport de pouvoir entre les chefs et les subordonnés devaient être rééquilibré. Si les chefs peuvent rabrouer les employés, ces derniers doivent pouvoir lâcher du lest pour rester loyaux (obéissants). Rien de tel que de les inviter en izakaya pour leur offrir un espace de parole et leur payer des bières pour les réconforter et les encourager.

Finalement, les japonais appliquent à merveille la locution latine in vino veritas (dans le vin, la vérité) !

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Bien que la pratique soit discutable, les japonais considèrent que boire en groupe est inévitable. Si vous êtes familiers avec les concepts de honne (sentiments, intentions personnels) et de tatemae (ce qu’on montre aux autres), vous comprendrez que l’alcool permet de faire le pont entre ces deux facettes d’un individu. Pour résumer, picoler c’est se donner carte blanche pour s’ouvrir l’espace de quelques heures, et lâcher ce que son moi véritable pense de la stratégie marketing de Tanaka (« se la carrer là où j’pense, hic ! ») ou du chef Satou (« il est un peu pet-sec, hic, non ? »).

Souvent, l’initiative d’aller en nomikai est initiée par le chef qui invite son équipe à boire un coup. La nommunication est indissociable de la vie en entreprise au Japon. C’est un espace de parole temporaire permettant au groupe de se souder. On se dit des choses qui ne passeraient pas au bureau. Participer à la nommunication est, tacitement, une quasi obligation. Aussi, si vous travaillez dans une entreprise japonaise, faites l’effort de vous joindre à vos collègues à l’occasion. Vous découvrirez une autre facette de vos collègues ! Par ailleurs, sachez que vous n’êtes aucunement obligé de boire ou de boire beaucoup. Ne vous sentez pas obligés de suivre la cadence, ce qui compte c’est de faire acte de présence.

Une étiquette professionnelle

Les japonais considèrent que la nommunication fait partie de l’apprentissage pour devenir une personne sociale/sociable. La pratique est née de la volonté de créer un lien entre le supérieur et les employés en dehors du bureau. Participer fait partie de l’étiquette et des manières d’un bon employé. Boire avec ses camarades de promotion, ses collègues, les membres de son club est une activitié sociale importante. Pour les japonais, avoir un verre de bière ou de sake à la main ouvre la porte à une communication franche.

… Mais aussi lubrifiant des affaires.

Bien que les japonais soient atteints de réunionite aigue, beaucoup de décisions délicates sont en réalité prises en dehors des bureaux. En effet, la prise de décision au Japon se fonde sur le consensus afin de préserver la sacro sainte harmonie. Discuter des sujets controversés de manière libre arrondit les angles et permet de résourde les frictions jusqu’à ce que tout le monde tombe d’accord. Les parties prenantes finissent de négocier autour d’une bouteille.

Peut-être n’êtes vous pas étonné.e. Après tout, ce n’est pas inhabituel d’aller boire après le travail. Néanmoins, au Japon, c’est bien plus qu’un « simple » verre après une réunion. Bien des commerciaux japonais passent des heures à divertir leurs clients afin de construire la confiance nécessaire pour mener des négociations. Parfois, le sake est le meilleur ami d’un homme d’affaires.

Le revers de la médaille, le « harcelement par l’alcool ».

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Le terme harcèlement par l’alcool (アルコールハラスメント raccourci a アルハラ) apparait dans les années 90 après une hausse des décès liés à une grande consommationd d’alcool depuis les années 80. Le parallèle avec le développement de la nommunication n’échappe à personne. Cependant, ce n’en est pas la seule cause car les universités sont particulièrement touchées.

Cette forme de harcèlement se caractérise principalement par le fait d’encourager / forcer, une personne à boire et de l’enivrer avec de grande quantité d’alcool. Est aussi inclut le fait de stigmatiser une personne qui ne souhaite pas boire. Au Japon, la hiérarchie sociale opère une pression à laquelle les membres de la société échappe difficilement. Ainsi il est difficile de refuser de boire si une personne ayant une position de pouvoir ou de domination (un étudiant plus agé, un collègue plus agé, un chef, un professeur etc.) vous y invite.

La nommunication au sein de l’entreprise est donc envisagée à la fois comme un outil pratique mais aussi la cause de pression, de stress et de problème de santé pour les employés. Cela touche principalement les hommes en raison du préjugé qu’un homme « doit pouvoir » boire beaucoup.

La nommunication, une pratique en déclin ?

Avec la récession économique qui n’en finit pas, le monde du travail au Japon est en pleine mutation. Pour être honnête, le système s’effondre – seuls les vieux croutons ne veulent pas ouvrir les yeux. Les jeunes japonais changent d’entreprise plus facilement, refusent le modèle traditionnel, travaillent avec des status précaires ou encore télétravaillent. Avec cette nouvelle donne, les jeunes générations d’employés commencent à délaisser les nomikai. Boire n’est plus forcément un outil pour améliorer leur perspective de carrière. Si l’employé modèle japonais allait picoler après le boulot, rentrait tard pour ne pas s’occuper de la maison ni de ses enfants, c’est de moins en moins le cas aujourd’hui.

9 Comments to “Nommunication : boire pour communiquer au Japon”

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