L’onde de choc Charlie s’arrête aux frontières japonaises

Morose depuis les tragiques évènements, j’ai du mal à me remettre du drame qui touche la France, et je n’ai pas le coeur d’écrire à propos de trivialité. De ce tragique évènement, je ne peux que constater à quel point le dialogue interculturel n’est pas une évidence.

J’ai pu lire dans la presse que certains journaux n’étaient pas tendres avec la France, et cela ne m’a finalement pas choquée outre mesure. Ce n’est pas l’horreur de l’attaque qu’ils ne mesurent pas, c’est là l’expression d’une autre perception, ainsi que d’autres valeurs. Je n’y lis pas d’indélicatesse, mais plutôt ce décalage un peu brusque entre des cultures différentes.

On aurait tendance – avec tort, à s’imaginer que le monde est comme nous autres, attaché aux mêmes idéaux, aux mêmes valeurs fondamentales, s’exprimant dans des canaux similaires. Il n’en est rien.

Voyager et me confronter à d’autres cultures – civilisations, m’a appris à me décentrer. Certainement que cela ébranle un peu notre vision du monde. Ce que l’on croyait universel ne l’est finalement pas tant que ça. Ce que l’on voudrait universel, on l’impose sans le réaliser, à ceux qui n’ont pas les mêmes racines, les mêmes langages, les mêmes codes.

Ainsi, la douleur de voir que le Japon ne s’est pas mobilisé plus que cela, la douleur de voir qu’ici, les hommes et les femmes ne se sont pas ébroués, un crayon ou une bougie à la main, ne m’a pas empêchée de comprendre que c’était aussi normal.

Ce n’est pas l’éloignement des kilomètres, ce n’est pas le décalage horaire, c’est ici la fracture entre des cultures aux modes d’expression différents. On se rappelle alors que la France, le monde occidental, s’était outré du manque de réaction des japonais lors des tragiques évènements qui ont fait trembler le Japon en 2011. Il ne s’agit pas d’un manque de réaction mais bien d’une autre manière de voir la vie, de s’exprimer et de se contenir.

Pour les habitants de Tokyo, l’institut français situé à Iidabashi a mis à disposition un espace de commémoration, où l’on peut notamment signer un livre de condoléances.

De la rédaction de Dozodomo, on apprend que le dispositif policier se renforce à Tokyo, autour des services français (ambassade, AFP). Je me demande si vraiment le bras de la folie pourrait atteindre le Japon. J’en doute.

 

9 Comments to “L’onde de choc Charlie s’arrête aux frontières japonaises”

  • Sandrine

    J’ai découvert votre blog par hasard en faisant une recherche sur les pancakes パンケーキ et ホットケーキ (merci d’ailleurs pour les termes qui m’ont permis de poursuivre ma recherche)
    Et maintenant pour préparer un voyage au Japon, j’ai vraiment beaucoup de plaisir à lire vos articles.

    Bien évidemment n’étant pas japonaise… j’ai été comme beaucoup de français choquée et le suis encore, parce les événements en France.

    En lisant votre article, je suis totalement d’accord avec vous sur le fait que nos croyances et convictions ne sont pas universelles. Chacun pensent dans le monde en fonction de son histoire, de sa culture et ses convictions.
    Si les japonais n’ont pas réagi, comme nous français pensions que l’on doit réagir, c’est que eux sont japonais et nous français.

    J’ai pas mal de japonais(e)s dans mes connaissances, je travaille aussi pas mal avec des japonais(e)s qui ont ou pas vécu en France. C’est assez amusant ou déconcertant parfois. Je pense que parfois je les choque et vice versa :o)

    Personnellement je ne ferrais pas le tri de mes amis japonais juste parce qu’ils ne se sont pas sentis concernés ou que leur opinion sur les événements sont différents de ce que j’ai ressenti ou de mes opinions. Et il ne m’appartient pas de prêcher la bonne parole, ce qui serait leur donner des leçons, alors que nous français en avons à recevoir tout autant (maintenant que je connais un peu la culture japonais, j’ai honte parfois de certaines de nos attitudes !! et cela ne m’arrive pas qu’avec des japonais – comme vous dans un autre de vos articles c’est au contact des autres que je tente de devenir un meilleur-moi).

    En Asie comme vous l’indiquez la liberté d’expression n’est la même que chez nous, pas aussi libre dirons nous. Certes, mais l’actualité de par le monde n’est pas non plus transmise de la même façon d’un pays à un autre.
    Nous croyons trop nous français que grâce à la liberté d’expression nous sommes parfaitement informé et connaissons la vérité sur ce qui se passe dans le monde. Malheureusement, l’information quelle qu’elle soit est une orientation, soit l’orientation personnelle de la personne qui l’écrit avec ses propres convictions, ou de ce qui va faire le buzz dans l’actualité (J’en veux en ce moment les actualités sur la Russie et ce retour au discours de guerre froide…. je travaille quotidiennement avec des russes…. et je suis effondrée par l’actualité que l’on nous fait avaler ! J’en veux aussi lorsque je regarde le week-end les actualités au travers de différentes télé étrangères – c’est à mon avis la meilleure façon de se faire une opinion, qui restera quoi qu’il en soit personnelle).
    Il n’y a que lorsque nous quittons nos frontières pour nous intéresser à ce que disent et pensent les autres que l’on peut tenter de se faire une véritable opinion sur ce que se passe dans le monde que dans notre propre pays.

    Mais combien de japonais, quittent vraiment leur pays pour aller à l’étranger (sans prendre en compte les voyages blizz qui ne montrent que les stéréotypes) combien de japonais parlent une autre langue que le japonais (enfin sauf mes collègues ;o))… et combien le veulent ?

    Face aux événements de Fukushima que j’ai vécu de loin, mais de très près aussi et encore maintenant, (car beaucoup de nos clients (enfin leurs employés – notamment dans la centrale de Fukushima) ont été victimes de ce cauchemar). Je m’étais permise des mails de soutien à mes collègues japonais, leur exprimant ma peine… et j’ai été étonnée de leur réaction. Cela m’a déconcerté et parfois choquée (les japonais seraient-il insensibles ?). Puis j’en ai discuté, et j’ai encore découvert une nouvelle différence de culture.

    Voilà tout cela pour dire que nous réagissons tous à notre manière et selon nos moyens (culturels, historiques…). On peut vouloir faire de la pédagogie pour expliquer comme le souhait Julie, mais n’avons pas nous même à recevoir un peu de pédagogie ?

    Sur ce, je vais poursuivre la lecture de votre blog.

    • ameliemarieintokyo

      Tout d’abord, merci pour ce long et très beau commentaire, plein de philosophie et de très justes observations. Je suis assez d’accord sur la conclusion: n’avons nous pas à recevoir un peu de pédagogie, avant d’aller critiquer notre ami nippon. D’ailleurs, j’ai depuis encore bien réfléchi à cette question de Charlie, de Une et de religion. C’est là qu’on se rend compte à quel point la tolérance est une clé importante entre plusieurs cultures, car il n’est pas toujours possible de réussir à vraiment comprendre l’autre.

      Je suis ravie que mon article sur les pancake ait pu être utile. Je suis retournée à ces adresses et ma foi, je me régale à chaque fois.

      Si vous passez par Tokyo, faites moi signe ! Je serai ravie d’offrir une quelconque assistance.

  • Julie Blanchin

    Bonjour,

    Amélie, j’ai ressenti la même chose que toi.

    Je suis athée, j’ai toujours lu Charlie hebdo de temps en temps, (du moins jusqu’à ce que j’habite au Japon, depuis 5 ans), comme je lisais le canard Enchaîné, Libé… sans en être une fan, je me suis toujours bien marrée avec les dessins de Cabu, Charb…

    Je suis illustratrice, et j’avais même rencontré Charb sur un salon du livre… un bon souvenir.

    De tous mes amis japonais, une seule personne m’a envoyé un message de soutien, je me demande maintenant si j’ai vraiment des amis japonais…
    À part mon chéri (il est japonais), j’ai l’impression qu’aucun n’ont compris l’enjeu de la tragédie de Paris. Sans être un lecteur de Charlie hebdo, j’ai du mal à comprendre que l’on ne puisse même pas s’associer à la peine, la tristesse ou l’incompréhension générées par ces actes terroristes odieux.

    J’entends des journaux japonais critiquant la politique d’immigration du gouvernement français… en oubliant de dire que les terroristes étaient nés en France, de nationalité française!

    Est-ce que les japonais ne seraient pas au courant de ce qui s’est passé? Mais ne n’est-ce pas à eux d’aller chercher l’information? L’information ne tombe pas comme ça, comme de la pub dans la boîte aux lettres, cela demande un minimum d’effort, non?
    Pourquoi quasiment personne ne fait cet effort-là?
    Plus simplement : la plupart des japonais ne se comporteraient-ils pas comme de grands enfants vivant au pays de Bisounours?
    Est-ce qu’il n’y aurait pas un travail de pédagogie ou d’éducation populaire à faire au Japon? De la part de qui?

    Du coup, je me suis posée beaucoup de questions et aussi j’ai fait le ménage dans mes soit-disant amis.
    Une amie française me disait :
    « […] mais ne sois pas triste, c’est juste que tu dois trouver les bons amis et aussi ceux qui connaissent un peu les choses, comme toi! Et ça, ça prend du temps, pas en 4 ou 5 ans.[…]»

    Alors maintenant j’ai envie d’expliquer, de faire de la pédagogie, mais mon japonais n’est pas assez bon pour traduire ou raconter en détail. Alors je vais faire ce que je peux, avec ce que j’ai, et puis tenter de progresser en japonais 🙂

    Je suis éditrice d’un fanzine qui s’appelle LABO, «laboratoire de création littéraire & artistique», alors Amélie (et les autres qui me lisent), n’hésite pas à me contacter si tu souhaites participer (le numéro 2 va bientôt sortir)!
    Des explications ici :
    http://www.illus.julieblanchin.com/labo01.php

    • ameliemarieintokyo

      Merci beaucoup de ce commentaire si détaillé et intéressant. Mon japonais n’est pas assez bon non plus, et c’est alors très frustrant d’aborder – ne serait ce qu’effleurer, le sujet avec des japonais. J’ai peu d’amis nippons autour de moi, et le manque de compréhension n’a fait que creuser un éloignement.

      Je m’empresse de jeter un oeil à ce fanzine et pourquoi pas, une participation serait très intéressante.

  • Flore d'éco-créateurs

    Je trouve ça plutôt normal personnellement qu’il n’y ait pas plus de réaction que ça car comme tu le soulignes, nous n’avons pas la même culture et nous ne sommes pas le centre du monde. Ils ne connaissent pas le terrorisme de cette manière chez eux à ce que je sache et leur politique très fermée aux étrangers montre bien qu’ils ne sont pas prêt à comprendre malheureusement. J’aime beaucoup les japonais et leur culture, cependant leur politique n’est pas la plus ouverte. Voilà, ici en France nous sommes triste, d’autres ont la haine malheureusement.

  • lazulirondoudou

    de mon point de vue j’ai l’impression que liberte d’expression, democratie, droits de l’homme etc ce sont des composantes assez profondes et importantes de la culture francaise au final…et qui ne se retrouvent pas forcement dans la culture japonaise
    la presse jap a du presenter ca comme un autre attentat dans le flux de news a propos des querelles islamistes qui sont tres presentes dans les medias en ce moment
    n »oublions pas non plus la non objectivite/universalite des news…il y a enormement de choses non reportees dans les medias francais qui se passent en Asie

  • ladyelle134

    Il n’est déjà pas toujours facile de se comprendre les uns les autres dans son propre pays, alors effectivement les réactions et/ou le manque de réaction dans d’autres pays peut paraître difficile aussi…
    A l’heure où je t’écris, ça continue, il se passe encore des drames en France 🙁 J’ignore si tu es déjà au courant

  • Anne

    On peut imaginer que les problématiques posées ici soient en plus assez lointaines pour les japonais…

    • ameliemarieintokyo

      Je sais que les japonais ne comprennent pas nos affrontements idéologiques, surtout religieux. Au Japon, toutes les religions sont acceptées et sont d’ailleurs en collusion, sans que personne ne soit gêné (les japonais déclarent souvent ne pas avoir de religion, alors que sans le réaliser, dans la vie de tous les jours, ils accomplissent des « actes » dont la symbolique est religieuse).

      Et concernant la presse, la liberté de la presse est moins forte en Asie (on pense à la Chine, à Singapour, mais le Japon n’est officieusement pas « mieux »).

      Alors c’est vrai que ce n’est pas pour eux, un choc bouleversant et les raisons bien que perçues nous donnent plutôt les torts (comme au Brésil, ils auraient plutôt tendance à dire que les caricatures allaient trop loin).

      N’oublions pas non plus qu’il y a de cela quelques mois, le Charlie Hebdo a choqué le Japon avec des dessins sur Fukushima …

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