beaux-parents japonais

Un dimanche midi chez les beaux-parents japonais

Les dimanches où nous allons manger chez mes beaux-parents japonais, je renonce (avec joie) à l’idée de petit-déjeuner. Je me délecte à l’avance de cette table digne d’un roi, couverte de petits plats fait maison, de fruits et de légumes du jardin. Chaque plat est préparé et présenté avec attention dans de la vaisselle en porcelaine.

Mes beaux parents n’habitent pas tellement loin, environ 45 kilomètres, et il nous faut 1 heure et demie porte à porte. Depuis que nous avons déménagé, notre ligne de train est même directe. Cependant, à l’aller nous préférons faire un rapide changement à Shinjuku pour monter à bord de l’express. C’est repus et le ventre rond que nous choisissons au retour le train direct, qui prend un quart d’heure de plus.

Nous apportons des cadeaux, souvent du chocolat, des wagashi ou encore des douceurs bio que je trouve dans les magasins d’importation. Cette fois-ci, ce sont des souvenirs ramenés de France : des tomates et pommes séchées, du chocolat noir à l’orange, du sel de Guérande. Ma belle-famille est très attentive à la qualité des aliments et privilégie le bio dès que possible. Ma belle-mère en particulier, lit de très près les étiquettes et est incollable sur les ingrédients à éviter. Au début de ma relation avec mon mari, cela m’était presque anxiogène tant elle craint les produits industriels (ce « poison« ) et ne peut même considérer l’idée de faire une exception. Maintenant que je suis plus informée et sensibilisée à ces questions, et depuis que j’ai appris qu’elle avait survécu à un cancer du sein, je comprends.

Ma belle-famille ne correspond sans doute pas du tout au stéréotype que l’on peut avoir de la famille japonaise. Philosophes, cultivés, ouverts sur le monde, ils sont très généreux et aussi franchement détendus. Que ce soit mes gaffes verbales du genre à faire des déclarations olé olé parce que je me suis trompée sur un mot, mon tatouage, mes manières un peu brusques et parfois caractérielles, ils ont toujours bien rigolé avec moi.

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Dans le train, nous finissons le plus souvent par somnoler, surtout l’hiver, lorsque le chauffage sous les sièges est allumé et que le wagon baigne dans une douce chaleur. Cependant, nous ne manquons jamais d’avoir à portée de main un livre pour faire passer les quelques 50 minutes de trajet.

À l’aller, le train est toujours très tranquille. Nous le prenons en fin de matinée. Ceux qui souhaitent visiter le Mont Takao et les travailleurs font le trajet plus tôt. Au printemps, il n’est pas rare de voir des équipes de football de collège ou de lycée ou des groupes d’élèves qui se rendent à leurs activités extra scolaires. L’école, au Japon, c’est souvent du lundi au dimanche selon les clubs rejoints par les élèves. Au retour, il faut parfois nous armer de patience et rester debout tout du long car tous les wagons sont occupés par des randonneurs exténués qui ne sortiront du train qu’arrivés à Shinjuku.

Chaque trajet est une nouvelle occasion de se rappeler à quel point le grand Tokyo est immense. C’est un défilé non-stop de paysage urbain. Ce n’est qu’au dernier arrêt, Takao, et ses petites rues villageoises surplombées par les montagnes, que l’on se sent enfin sorti de cette monstrueuse agglomération.

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Nous descendons quelques arrêts avant le terminus. La gare est le plus souvent déserte avec une seule sortie qui donne sur une grande place et la gare routière pour les bus des environs. À gauche de la place se trouve d’abord un magasin de chaussure qui a remplacé une librairie; une supérette 24h/24 et à l’angle, un restaurant chinois. À droite, une boulangerie pas trop mauvaise, une agence immobilière et si nous traversions la rue, un grand supermarché Keio. Il y a bien quelques immeubles mais très vite le quartier devient résidentiel avec de grandes maisons entourées d’étroits petits jardins. Beaucoup de ces demeures sont surélevées d’un mètre voir plus par rapport à la rue et il faut monter quelques marches pour arriver à leur porte d’entrée. Certains propriétaires n’ayant pas la main verte ont tout bétonné, ne laissant même pas de petite plate-bande.

Le quartier est très calme. La plupart des habitants ont acheté leur maison 30 ans auparavant, lorsqu’ils se sont installés pour y fonder une famille. Depuis, les enfants sont partis et la natalité japonaise étant ce qu’elle est, chanceux sont ceux qui ont des petits-enfants. Certaines maisons sont inoccupées. Si une heure de trajet ou plus dans un train bondé pour aller au bureau ne vous dérange pas, acheter un terrain et une grande maison neuve est probablement deux fois moins cher qu’à Tokyo.

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Impossible de rater la maison de mes beaux-parents. Le portail de l’entrée et le muret sont couverts d’affiches politiques. Deux concernent l’article 9 de la constitution japonaise, celui qui ôte au pays le droit d’en attaquer un autre et d’avoir une armée. Les autres sont celles des candidats politiques que la famille soutient. Mon mari rigole toujours un peu jaune. Afficher ainsi ses convictions lui semble assez agressif pour le voisinage. Impossible d’ignorer que la maison d’à côté souhaite la fin du gouvernement d’Abe Shinzo. Mais au fond, je pense qu’il est fier d’avoir une mère qui n’a pas peur de manifester, de prendre le micro pour défendre ses opinions, d’aller à des meetings du parti qu’elle soutient et d’avoir la rage du clavier sur internet contre l’extrême-droite japonaise. Un jour, on la retrouvera peut-être au poste.

Ils ont dû avoir une voiture, car passé le portail, il y a une place pour en garer une. Ils n’en ont sans doute pas vu l’utilité ces dernières années, ne voyageant que très peu ou alors par train et s’en seront débarrassés. Sur cet emplacement, se trouvent leurs vélos ainsi qu’une vieille niche, celle du chien de la famille, mort il y a 4 ans de cela. Derrière la maison, un jardin très coquet et très bien entretenu ainsi qu’un potager. Ils font pousser des kakis, des yuzus, des herbes et des légumes. Ils ont aussi de magnifiques roses lorsque c’est la saison.

La maison, à l’intérieur boisé, est vieille. Elle mériterait sans doute un peu d’être rafraichie, mais elle est néanmoins agréable à vivre. Elle a un étage, mais je monte rarement les escaliers, raides avec de grandes marches, où se trouve deux chambres. Celle de mon mari et celle de sa soeur, une pièce en tatami totalement encombrée de bric à brac, et enfin un petit bureau. La chambre de mon mari croule sous les livres et les caisses de vieux vêtements. On y trouve un ordinateur qu’il a monté tout seul et le télescope que son père a fabriqué pour pouvoir regarder les étoiles. Le prénom de mon mari a d’ailleurs pour inspiration la planète Saturne. Dans le bureau, tout aussi encombré de livres, traîne une guitare classique, car mon beau-père aime bien en jouer de temps en temps.

Au rez-de-chaussée, on trouve à droite de l’entrée une grande chambre qui était reliée à une petite cuisine. C’était le logement de la grand-mère qui ne partageait alors avec la maison principale, que les toilettes et la salle de bain. Depuis, la cuisine a été rasée pour agrandir le jardin. Les parents ont repris cette chambre, et libéré la pièce en tatami du bas, qui sert désormais à nous accueillir de temps en temps pour y boire du thé. La cuisine, pièce la plus grande de la maison, inclut un espace salon. Elle donne sur le jardin avec une terrasse en bois protégée par un toit.

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C’est souvent ma belle-soeur puis mon beau-père qui nous accueillent. Ils verrouillent toujours leur porte et viennent nous l’ouvrir. L’entrée est très grande et pleine de paires de chaussures, au milieu desquelles nous troquons les nôtres pour nos chaussons attitrés qui nous attendent une fois passé le genkan.

Nos salutations commencent toujours par le traditionnel « cela fait longtemps ». Le weekend dernier, nous avons échangé nos voeux de bonne année à la place. Puis, mon beau-père, souvent avec son tablier de cuisine, retourne vite à ses fourneaux. Car le chef de la maison, c’est lui.

La table est mise, le thé prêt à être versé. Il ne reste plus qu’à servir le riz, ce que fait mon mari. Il arrive aussi que ma belle-mère soit sortie pour une rapide course au supermarché avant que l’on arrive. Je suis alors toujours surprise de voir que nous n’attendons pas son retour pour commencer à manger. Les plats sont fins, parfumés avec des sauces que mon beau-père prépare. Parfois ils ont le malheur de mettre de la mayonnaise maison sur la table, ce qui a le don de dégoûter mon mari que la simple vue de cette crème blanche rend nauséeux. Cette-fois si, nous avons eu des légumes parfumés avec du yuzu du jardin. Un délice. J’ai beau me promettre de ne pas trop exagérer à table, il est difficile de resister à cette abondance de bonnes choses…

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Mon mari et ma belle-mère monopolisent la conversation qui dérive sur l’économie et la politique pendant que mon beau-père, ma belle-soeur et moi hochons la tête en silence. Nous ne parlons bien évidemment pas que de cela. Il y a les nouvelles de ma famille, de leur famille, des sujets plus triviaux et parfois nous parlons du passé, des personnes qui ne sont plus là.

Dimanche dernier, ma belle-mère a parlé avec tristesse de tous les enfants du quartier qui sont morts dans des accidents, renversés par des voitures. Une petite de 5 ans, près de la gare sur cette route qui n’avait pas encore de feu de circulation. C’est sa mort qui a poussé la mairie a mettre des feux. Elle ne voulait pas que ses enfants aillent à l’école en vélo, continue-t-elle, parce que c’était trop dangereux. Mémoire des détails phénoménale, elle se rappelle avec tristesse l’horreur qui a frappé la famille d’à côté, celle à l’angle et celle deux rues derrière, lorsque mon mari était adolescent. J’apprendrais aussi que sa grand-mère maternelle avait une petite soeur, renversée par une voiture de militaire américain lors de l’occupation.

Ce sujet plutôt sombre fait place à une conversation un peu plus légère. On aborde la physionomie des hommes du côté maternel de la famille. Apparemment, ils ont tous la même tête. Mon mari dit en rigolant que le gène de la préfecture de Gifu est très fort, qu’on les confondrait presque. Ce qui est arrivé aux réunions de famille alors que ma belle-mère pensant appeler son fils, réalisa avec stupeur que c’était son cousin. Je suis du coup un petit peu curieuse d’avoir peut-être un jour l’opportunité de les rencontrer, bien que mes beaux-parents japonais se soient, avec le temps, pas mal isolés de leurs proches.

Sur la table, le déjeuner a fait place à des fruits de saison et si possible du jardin (kaki, mandarine, pommes…) ainsi que des senbei, des crackers de riz. Parfois nous avons même du gruyère coupé en petit morceau dans une coupelle et du chocolat noir dans une autre. Les tasses de thé se vident et se remplissent. Je n’aime pas trop le thé vert, mais je n’ai jamais vraiment émis d’objection. Je finis toujours par en boire beaucoup trop ce qui me rend patraque. Une fois de temps en temps ne me tuera pas.

Plusieurs heures à écouter du japonais et à suivre des conversations parfois très complexes me fatiguent énormément. Arrive toujours ma limite, celle après laquelle j’ai beaucoup de difficulté à m’exprimer et à comprendre ce qui m’est dit. C’est alors l’heure pour nous de nous excuser et de rentrer, les sacs remplis de nourriture. Des senbei, de la purée de châtaigne, du porc mariné, des petits pains. Ou encore, dernière lubie de beau-papa, un gâteau à la banane et aux noix, qu’il cuit sans gluten exprès pour moi.

4 Comments to “Un dimanche midi chez les beaux-parents japonais”

  • crisitane

    quelle chance, tu as d’avoir des beaux parents si amicaux et si prévenants. Dommage qu’il n’y ait pas de photos. Amicalement

  • Plantier Devesa

    Adorables beaux parents! Quelle chance de partager sa vie au Japon!
    Merci pour ce rafraîchissement

  • Emilie

    J’ai eu l’impression de passer un après-midi avec tes beaux parents ^^ j’aurais été curieuse de voir le genre de cuisine qu’ils préparent 😉

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