365 Jours de Tokyo

365 Jours de Tokyo

Warning Advisory: cet article est une version romancée du quotidien. Je vous rassure, je ne bois pas plus que de raison, et il m’arrive de cuisiner (des trucs à moitié brulés). La vie est belle!

Le réveil sonne. Il est 7:30. Gnn. Snooze. 8:00. Je m’extirpe pour faire chauffer de l’eau. Je n’aime ni le thé, ni les infusions. Et le café, même si j’en bois trois gouttes, je finis disjonctée, nuit blanche assurée. Alors je bois de l’eau chaude. D’ailleurs, boire froid ce n’est pas très bon.

8:10. Je tente tant bien que mal de m’habiller. Il fait chaud. Il fait froid. Il pleut. Il vente. Il fait doux. 365 jours.

8:20. Il faut que je parte. Mais.

8:30. Eh merde.

8:35. Putain.

Dans la rue, c’est l’armée des clones. Tiens je l’ai pas croisé hier celui-là? Elle a son collant de filé. C’est pas grave, je l’imagine aller au conbini s’acheter une paire. Putain de passage à niveau. Un train. Deux trains. Trois trains. 8:43. Tant pis, je marche jusqu’au pont. Ça rallonge, j’ai le souffle court de marcher si vite.

Ah, la voilà. Sourire. Je croise cette femme depuis 2 ans et demi. Elle prend la même rue tous les jours. À la même heure. Je n’ai même pas besoin de regarder ma montre. Si je la croise au passage à niveau, c’est que j’aurai le train de 9:08. Si je la croise à côté du café, je peux espérer monter dans le train de 8:48. Je pense que l’univers l’a placée là, à cet endroit précis, pour me rappeler la monotonie de la vie. Elle marche toujours au même rythme, je connais sa garde robe sur le bout des doigts. Je me demande bien quel travail elle fait. De temps en temps, elle se fend la fantaisie de se faire boucler les cheveux.

Eh?! Bordel, y avait un immeuble ici? Quand est-il sorti de terre celui-là? Tiens, cette maison de retraite – la quatrième du quartier, est bientôt finie. Mais l’école d’à côté a fermé. En même temps, l’enfant, c’est un peu une espèce en voie de disparition.

Le ciel m’éblouit. Je me suis toujours demandé si la luminosité était plus intense au Japon ou si c’était mon côté hikikomori qui ressortait le matin.

Ce soir je me couche tôt. Allez. Et puis, un peu de sport ne me ferait pas de mal.

– Putain j’ai grossi. Enfin j’crois. C’est peut être de la rétention d’eau, tu penses?

– M’étonnerais pas. Le Japon, c’est connu pour sa nourriture salée.

– Ouais… Y a l’alcool aussi.

– L’alcool ça pardonne pas.

Les bouteilles de la semaine trainent encore dans l’entrée. Faudra penser à les déposer au vide ordure. Hmm. Et arrêter de boire aussi.

8:47. Putain, ils m’énervent. Au rythme des feux piétons, la rue s’emplit, se vide. Cette rue est un champ de guerre. Mais la bouche de métro est à côté.

Les parapluies s’entrechoquent. Je me suis encore pris un coup d’ombrelle. Tiens, un incendie. Trois petits chats se cachent contre un mur fissuré. « Hello ». Le marchand de légumes me regarde passer. Avant je souriais. Maintenant, je cours froidement après les minutes.

Un doute m’emplit. J’ai fait le lit? Ouais. Ouais, j’ai fait le lit. Dernièrement, aussi en retard que je puisse être, si je ne fais pas le lit exactement comme la veille, je ne peux pas sortir.

8:49. Le feu est rouge. Je piaffe d’impatience de traverser.

Le train est toujours en retard. Le lundi la station est plutôt calme, mais le mardi et le vendredi je me noie dans la marée noire.

J’ai pas envie d’y aller bordel. Soupir. J’écoute la même piste pour la 15ème fois. Je ne sais pas pourquoi mais l’application ne me laisse plus mettre une piste en boucle. J’comprends rien à la nouvelle interface. J’ai l’impression que mon téléphone est greffé à ma main. Je pense donc je suis. J’ai un portable donc j’ai une main.

8:50. Il fait chaud dans cette station, nom de… ! J’étouffe. J’ôte ma veste, je tire la langue. Un aveugle arrive à se frayer un chemin dans la foule sans être bousculé. J’admire la performance pendant une demi seconde.

La file est longue. je suis derrière. Je suis en tête. Le train arrive. Ou il est déjà parti. Jamais à l’heure. 365 jours. Bienvenue à bord du train des zombies. Pardon, j’étais partie sur les clones. On peut se mettre d’accord sur les clones-zombies.

Les écrans diffusent des publicités sans queue ni tête. La bière qui vous rafraichit en été. Le maquillage de la femme parfaite. Nouveau complexe immobilier, image de famille comblée. La bière qui vous réchauffe en hiver. Savez-vous comment bien prendre soin de votre peau? Avez-vous songé à vos funérailles? L’école maternelle parfaite pour les enfants qui souhaitent  (vraiment) avoir une carrière.

Pour vous dire la vérité, je ne sais pas si on peut dire que je suis en retard. Depuis le premier jour, j’arrive à 9:06. 6 minutes, c’est rien du tout. Enfin sauf en cas de tremblement de terre. Imagine, le Big One. 6 minutes. Parfois, je me sens coupable. Je me dis, « j’aimerais bien le vivre ». Ces quelques secondes où l’on expérimente la fin du monde. Qu-est-ce qu’on ressent après? Je me le demande.

Je grapille quelques secondes de musique dans l’ascenceur. L’angoisse, tous ces mails. L’enceinte est repartie dans son délire. Il faut que je réinstalle l’application. Qu’il est lent cet ordinateur. En même temps, Toshiba, ce n’est plus ce que c’était.

Échanges de sourire. L’école s’anime. Le téléphone sonne. Y a pas quelqu’un pour le prendre? Non. Merde. Je décroche. On parle vite à l’autre bout du fil. Je mets en attente, pars chercher la comptable. « Excusez moi, c’est la banque ». Tic, tac.

Mon esprit s’évade, je réfléchis au sens de la vie. Parce que si elle se résume à taper des emails, j’envoie une réclamation au service client de l’univers. J’étouffe un soupir. Deux, trois conversations ensoleillent ma matinée. Un onglet s’agite. Mon collègue m’a envoyé une vidéo de chiot qui éternue dans la farine. Je fais circuler dans la salle des professeurs. Tout va mieux dans le meilleur des mondes.

Note: en cas de délire philosophique fiévreux et angoissant, prendre une dose de chiot. Les cas extrèmes iront directement à la case chatons qui ronronnent.

13:00. J’ai faim. Mais pas d’appétit. Tiens, on va au restaurant. Aujourd’hui ce sera indien. Parfois, on pousse jusqu’au restaurant de poisson ou à cette petite cantine traditionnelle. C’est le choc des cultures à chaque repas. J’ai rendez-vous avec l’Espagne, les États Unis, le Canada, le Japon et Singapour. À force de baigner dans les eaux internationales, je n’arrive pas à imaginer une vie sans être jamais sortie de la France. Aujourd’hui, personne n’a le temps. Ce sera des onigiri sur le pouce. Je hais ces midis froids.

Mécaniquement, j’avance sur mes tâches. Merde, j’ai oublié le rendez-vous chez le dentiste. C’était quand déjà? Attends… Ah jeudi dernier. La honte. Ce qui me fait penser que j’ai la facture de gaz à régler avant demain. Je m’étais jurée de ne plus être en retard, mais ça fait 5 mois de suite. Je pense qu’on est face à un grave cas d’acte manqué.

– À demain! Je pousse la porte des bureaux.

– À demain. Répondent-ils à l’unisson.

On va boire un verre? Ouais, je suis au bout du rouleau. Tu finis à quelle heure? On s’fait un karaoke? La voix cassée, je me dirige vers le métro. Il est temps de rentrer. 365 jours.

Je mange quoi ce soir? Pourquoi faut-il manger déjà? Ah ouais, pour vivre. Quelle idée. Tout est fade. Bon. Je cuisine. Les néons du supermarché ont été créés pour nous faire acheter n’importe quoi. Cuisiner, hmm. Demain. Demain je cuisine. Là, j’ai vraiment besoin de prendre le temps de me reposer. J’ai la sensation que mes batteries ne se rechargent pas.

Je jette un regard sur l’écran de mon portable (qui lui, se charge). 3:30. C’est l’insomnie qui frappe à ma porte. C’est pas grave, j’peux décoller à 8:35.

4 Comments to “365 Jours de Tokyo”

  • Yolaine

    Oh oui! Je suis bien contente de pouvoir te lire ailleurs que sur Twitter 140 caractères c’est pas assez pour ma boulimie littéraire.
    J’aime beaucoup ton style d’écriture.

  • Fanny

    Comme quoi c’est pas parce qu’on change de pays que tout va mieux, que tout ira mieux et a jamais. Si j’avais ton talent a l’écrit je pourrai probablement écrire quelque chose un peu dans ce goût là version Canada. Alors je l’aime bien ton texte même si je ressens de la peine a le lire, ton monologue interne fait un peu écho au mien. Moi je suis juste fatiguée de me dire qu’il faut que je trouve ma place dans la société, fatiguée de changer souvent de job et d’en être lassée au bout de 6 mois pis plus savoir ce que je veux faire. De cette routine qui me sort par les yeux. Heureusement il a les fins de semaine pour se changer les idées pis ouais, les chatons hahaha. Bref bon courage, la roue tourne lâche pas, surtout que le mauvais temps et le changement de saison n’aide pas! Je suis sure que tu vas bientôt rebondir 🙂 je te souhaite de passer une bonne semaine <3 j'adore tes articles soit dit en passant !

    • Rill

      J’approuve. Mais je peux vous garantir que le retour forcé à la vie française est bien au dessus de tout question train-train. Pour moi en tout cas. Cette impression affreuse, pis encore que de ne pas avancer, celle d’avoir reculé sans raison.
      Il faut te trouver de nouveaux projets chère Amélie. Une asso, une quatrième langue, une réalisation ambitieuse, une nouvelle raison d’avancer. 🙂

  • audrey891

    Merci pour cet article, un petit moment de dépaysement 🙂 Comme quoi, la vie japonaise ou française peut se ressembler dans son train-train quotidien. Bon courage pour les 364 jours restants (et les années suivantes) 😀

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