365 Jours de Tokyo: day 23

365 Jours de Tokyo: L’Entretien De Stage

Aux alentours de 4 heures du matin…

Un bruit terrifiant me tire du lit. Tiktikbroumtiktikbroumtululu! Fichue imprimante de malheur! Dans le noir, à tâtons, je cherche la prise tandis que l’imprimante du diable continue son varcame. Schlak. Le silence revient alors que je tiens le cordon dans la main. Gelée, je me roule en boule dans le lit pour retrouver Morphée.

***

8:30 Un chien aboie dans la rue, me tirant péniblement de mon sommeil. Je retourne l’oreiller et remonte la couette pour m’y enterrer, vite, avant que je ne sois trop éveillée pour retrouver le monde des songes. « Rendors-toi » me dis-je, en tentant de faire abstraction de l’acharnement du clébard à réveiller le quartier…

Je hais les chiens. Je pousse la couette d’un coup de pied, regarde l’heure, 8:35. Voilà de quoi me mettre de très mauvaise humeur. Je me lève, frissonnante et allume le chauffage. Bon dieu de nouilles, je vis dans une glaciaire. L’appartement a beau être récent, tout beau, tout propret, l’isolation c’est zéro pointé. Voire en dessous de zéro, ahah, pour la blague.

La porte du frigidaire grince un peu quand je l’ouvre, le néon clignotant plusieurs fois avant de se stabiliser. C’est un modèle spécial gaucher, ce qui me perturbe toujours lorsque je dois l’ouvrir. Devant moi, trois patates, un oignon, quelques carottes rabougries. Un yaourt entamé que j’aurai dû jeter partage la tablette du haut avec une dizaine de bouteille de Zima*. J’étouffe un bâillement. Aujourd’hui, j’irai petit déjeuner au café du coin**.

9:03 Je glisse mes pieds dans mes bottes, un genre de UGG, qui n’a de confortable que l’intérieur en fausse fourrure. Je ferme la porte d’entrée d’un coup sec, commence à descendre les escaliers. Pour les remonter quatre à quatre afin de récupérer mon portefeuille, au chaud dans un autre sac. La veille, après avoir perdu une bonne quinzaine de minutes à peser le pour et le contre, je m’étais poussée à ressortir vers 21h pour aller acheter des manga. Je n’étais pas certaine de finir le tome entamé dans la soirée, mais j’ai préféré m’éviter la frustration de manquer la suite. Le fait est que je me suis à moitié endormie au cours de ma lecture.

9:06 Je claque la porte, définitivement cette fois-ci. Dehors, un grand ciel bleu augure d’une journée glaciale. Le soleil m’éblouit. Le café est en face de la petite gare de Shimo-ochiai. Il ne paye pas de mine et l’intérieur a des murs jaunis par le temps. Sur tous les murs, des cadres sont accrochés avec dessins, des peintures et des photographies. Mais son atmosphère a un je ne sais quoi d’unique. Moyenne d’âge des habitués? La soixantaine, en étant généreuse.

La porte vitrée automatique glisse silencieusement alors que je m’approche de l’entrée. À l’intérieur, sur ma droite, un gros moulin à café, et une petite vitrine réfrigérée. Sur ma gauche, la caisse enregistreuse et autour, un bric-à-brac d’étagères où sont entreposés de gros sacs de grains de café. Déjà quelques clients sont attablés. Je me dirige sur la droite, vers la banquette. C’est l’espace non fumeur. Personne n’a encore allumé de cigarette, mais ça ne saurait tarder. Situé près de la gare, il offre aux salarymen un repère idéal pour un dernier café ou un petit-déjeuner.

Je commande un café moka accompagné d’une tartine à la cannelle, et pose mon manga sur la table, le temps de savourer la tranquillité des lieux. Dans une minute, je me plongerai dans un tourbillon d’idéogrammes qui, couplé à la caféine, devrait réveiller mes synapses. Du moins je l’espère.

365 Jours de Tokyo: day 25

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12:10 Je vis une journée de flemme comme je n’en avais jamais eu auparavant. Je perds dix minutes à jouer avec l’horloge intelligente du bureau. Si l’on passe près d’elle, si l’on toussote ou tape des mains, l’écran affiche l’heure ainsi que la date. On ne sait plus qui l’a commandé, ni vraiment pourquoi, mais depuis, elle trône sur l’étagère.

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13:57 Mon collègue manque de trépasser à chaque quinte de toux. Ce qui rallume systématiquement l’horloge au passage. Puisqu’on vous dit qu’elle est intelligente.

– Mais rentre je te dis!

– Oui, oui… Mais j’aimerais bien la rencontrer.

– Qui donc?

– La stagiaire.

Les brumes de mon ennui se dissipent. Aujourd’hui, 15 heures, entretien Skype avec la potentielle future stagiaire. Pour un peu et j’oubliais totalement le rendez-vous fixé une semaine auparavant.

On a reçu plusieurs candidatures, mais notre choix s’est vite porté sur une jeune fille prometteuse. Il est vrai qu’on aurait préféré embaucher un garçon pour une fois. Mais il faut croire que notre entreprise ne les inspire pas. Ou presque. On a bien reçu la candidature gentillette d’un jeune singapourien au visage portant encore quelques traits de l’enfance. Mais les fautes d’anglais dans son CV et sa spécialité (comptabilité) l’éliminèrent d’office. Que voulez-vous, c’est la loi de la jungle. La petite aligne les récompenses, les activités extra-scolaires et étudie le commerce international, spécialité marketing.

14:10 Nouvelle quinte de toux du collègue. La moitié du bureau est en train de passer l’arme à gauche. Moi je vais mieux, à part l’état comateux dans lequel je baigne. J’envoie un rapide email à notre jeune candidate pour savoir si elle aurait la gentillesse de décaler le rendez-vous à, genre, maintenant.

14:11 Elle est d’accord. Je l’apprécie déjà.

14:47 L’entretien s’est fini dans un fou rire magistral. Alors que nous avons les larmes aux yeux, nous la remercions chaudement de sa gentillesse.

– On est vraiment désolés. C’est notre avant-dernier jour avant nos vacances de Noël et je crois qu’on a déjà l’esprit festif. Mais tu vois, c’est ce qu’on expliquait: on fait notre travail sérieusement, hein, mais on est des gens vachement sympa.

L’entretien avait démarré sur les chapeaux de roues. Elle nous demanda avec candeur « est-ce que je peux me présenter en japonais?« . « Mais of course, lance-toi ».

Elle portait un tailleur noir et avait tiré ses cheveux en une queue de cheval impeccable. On discutait de son CV de manière décousue, mon collègue et moi, faisant un duo à la Laurel et Hardy, version recruteurs de stagiaire. Elle nous détailla avec un grand sourire son expérience de vendeuse chez un marchand de yaourt glacé. Sa candeur toucha là sans doute une corde, et quelle corde! Nous voilà partis dans un fou rire incontrôlable. Il faut avouer qu’elle arborait un sourire radieux. Et alors qu’elle s’attardait sur l’importance de la présentation des pots de yaourt afin de ravir les clients, ses yeux se mirent à pétiller. Diantre.

14:50 Ping. Une notification sur mon bureau. Je clique. « Merci beaucoup de cette opportunité… Je vous souhaite de passer d’excellentes vacances« . En pièce jointe, des photographies de ses pots de yaourt glacés.

– Elle est chouette non? On la prend, hein?

– 10/10 pour le sourire, je prends.

365 Jours de Tokyo: day 25

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*Zima: boisson produite par l’entreprise américaine Coors Brewing dans les années 90. C’est la première boisson malternative, un mot valise (malt + alternative) et néologisme se référant aux bières mélangées à d’autres alcool ou parfums (whisky, vodka, tequila…), par exemple la Smirnoff. La Zima n’est plus en vente aux États-Unis, en revanche le marché existe encore au Japon.
** 山ゆり自家焙煎珈琲
〒161-0033 Tokyo, Shinjuku 下落合1丁目16−7 山ゆり自家焙煎珈琲

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