365 Jours de Tokyo

365 Jours de Tokyo: Day 2

5:59 Dans les bras de Morphée.

– Hmm?

Pourquoi suis-je assise? Une demi-seconde. Plus ou moins. Le lit tangue, mon lustre – oui, lustre, se balançe dans la pénombre de la pièce. Les murs craquent. Séi -prendreletéléphoneôterlemodeavionouvrirTwitter-me. Le cerveau humain est magique.

6:00

L’adrénaline redescend. Mon voisin s’agite un peu. Mais qu’est-ce qu’il fait ? Puis le silence. Dans ces moments là, je regrette de ne pas avoir de télévision. Le petit écran et moi, c’est une drôle d’histoire. Je me rappelle ne pas en avoir eu pendant longtemps. De toute manière, j’avais le nez fourré dans les bouquins. Des livres parfois tellement compliqués pour mon âge qu’ils ne compteront pas pour du beurre lors de ma future thérapie. Mais pour ça, j’attends la quarantaine. La fin de l’âge bête.

La télévision est entrée dans ma vie un peu brutalement. Bien sûr, j’en connaissais l’existence. Quand même. Mais un jour, la voilà qui trône dans le salon. Royale. Et puis à force de luttes féroces pour la télécommande, la voilà dans ma chambre. Je vois déjà vos grimaces. Soyez rassurés. Je n’ai jamais autant lu de livres que durant mon adolescence. 80% du CDI du collège. J’parle pas d’un CDI avec 10 livres, hein.  80%. Mon nom était sur quasiment toutes les listes d’emprunt.

Séisme. Pas des moindres. Pas de quoi fouetter un chat – expliquez-moi l’origine de cette expression en commentaire. On a les paniqués, les mitigés. Ceux qui se sont rendormis. Ceux qui ne se sont pas réveillés. L’information se propage. Le safety check est lancé.

7:00. Adieu sommeil, je te retrouve ce soir. Lovée dans la couette encore tiède, je pianote à la recherche d’une chaine d’information. Lance la NHK. Les mêmes informations tournent en boucle.

« Ce matin, à 6:00 un séisme a frappé les côtes de Fukushima (« encore eux, les pauvres »)… Risque de tsunami… Evacuez… Allez voir vos voisins agés… Fuyez s’il-vous-plait… Réfugiez vous en hauteur… ».

C’est le même texte, en continu. Je me demande si c’est enregistré une fois et diffusé en boucle. L’annonceur déglutit, toussote et reprend. Merde, il répète bien la même chose depuis 45 minutes.

Twitter se déchaine. Qu’est-ce qu’un tsunami? Y-a-t-il des dégâts? Que faut-il faire en cas de séisme? Il s’passe quoi à la centrale?

Ah. Ouais. La centrale, tiens. Très peu d’information filtre. Et puis « le système de refroidissement est en panne ». Allons bon. « Mais tout va bien ». Bien sûr. « En fait, ce serait peut-être à cause du séisme ». Sans blague. « On a un visuel sur la centrale, mais pas d’anormalité visible ». Et le spécialiste, au téléphone, de dire « T’façon, faudrait 7 jours pour que ça devienne dangereux ». Le spectre de 2011 glace le sang.

8:20. Le temps d’enfiler mes chauss…

Je remarque qu’elles ne sont pas en très bon état. Je cherche une autre paire. Mais bleu c’est mieux. Tu crois? Hm. Faudra penser à en racheter.

8:35 Eh merde.

365 Jours de Tokyo

Une brume flotte sur la ville. Le soleil éblouissant. J’ai tellement chaud, que je fini bras nus dans le métro. Regards outrés des voisins qui évitent soigneusement d’être collés à moi. Le wagon est bondé. L’étudiant à côté de moi pianote sur son portable fissuré. Bordel. Comment ils font pour péter leurs écrans à ce point? Ça ne m’est jamais arrivé.

Et puis tu te souviens l’épisode de la machine à laver. Et ton regard horrifié lorsque tu réalises que ton téléphone est en train de faire des tours de tambour.

9:06

– Mon dieu tu es bras nus?! Mais tu n’as pas froid?!

Comme tous les matins. Ajouter sur mon curriculum vitae: résistance exceptionnelle au froid. Ne tolère pas les températures chaudes. Arroser toutes les heures… Ah! Putain! les plantes du bureau… !

Mon ordinateur s’éveille, proteste et mouline. L’enceinte ne se connecte pas. Je réinstalle l’application. C’est presque devenu un rituel. Mes collègues s’entêtent à l’éteindre et à la rallumer. Et puis j’arrive, et je réinstalle tout. Et la musique fut. Un enfant court à travers la réception. Une professeure lui court après. Je me frotte les yeux.

– Vous lui donnez un cours?

– Non, non. Je veux devenir amie avec ce petit bout!

 – …

Je me glisse dans la salle de repos quelques minutes. L’horloge sonne. Carillon typique des écoles japonaises. Nostalgique. Sur la table des biscuits trainent. Un paquet de chips est ouvert. Le téléphone sonne. La personne mélange l’anglais et le japonais.

Tous les jours je jongle. Pas une, pas deux. Trois langues. Vous avez déjà vu un train dérailler? Parce lorsque mon cerveau ne prend pas le bon embranchement, que plus aucune mot ne me vient à l’esprit, je me dis qu’on en est pas loin. Je sais pas. Une synapse quelque part, qui se casse lâchement en vacances.

J’attrape mes affaires et m’engouffre dans l’ascenceur. Clac, clac, clac. Mes talons résonnent. Dans la rue, les hommes dominent le paysage. Conbini. Je regarde avec tristesse les rayons dégarnis. Aujourd’hui ce sera… ? Allez, une petite douceur pour se donner du courage. Oui, mais quand même pas n’importe quoi. Clac, clac, clac.

13:45 Assise dans la salle de réunion, je mange machinalement ma salade. Distraite, je parcours les notifications. Une photo de chat se glisse de temps à autre dans le fil.

15:00 Réunion.

Ah l’amour du Japon pour les réunions. Les réunions qui préparent des réunions. Les réunions qui préparent les réunions qui préparent des réunions. Soupir. Je crois entendre la pluie tomber. Mirage urbain. Dommage. Je prends des notes. Toujours les mêmes. Le surplace est une spécialité maison.

18:00 Evasion.

Il fait nuit. Au loin, une sirène. Je m’engouffre dans la bouche de métro. Mes écouteurs sont emmêlés. Ah p. , allez quoi. Les portes du wagon s’ouvrent. Je suis toujours là, à tenter de démêler le bordel. Gnn.

Une station.

Enfin. J’écoute la même piste. La petite, là, devant moi, elle a de belles jambes dis donc. Ou le petit. On ne sait jamais trop ici. Dans la rue, une hotesse déguisée en lycéenne. Voix fluette. Pour 2500 y l’heure, les hommes fantasment. S’enivrent. Deux mètres plus loin, les masseuses philippines. Racolage décontracté. Un policier passe à vélo. Rien à cirer. Les rires fusent. Le tango des bourrés est lancé.

Le séisme? Quel séisme?

2 Comments to “365 Jours de Tokyo: Day 2”

  • Rill

    J’aime j’aime j’aime. Et je suis ravie(désolée?) de savoir que rien n’a bougé dans ta vie pour cette fois. 😉

  • Yolaine

    Oh purée à une semaine prêt j’y avait le droit au séisme. Je pense que j’aurais fait un arrêt cardiaque O.o

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