365 Jours de Tokyo: Day 10

365 Jours de Tokyo: Day 10

8:30 Le réveil sonne.

9:20 J’entends le réveil. La magie du cerveau humain. Aujourd’hui, je commence à 12:00. Là encore le génie du management japonais a frappé. Je peux trainer. Pas trop non plus. Dans la rue, le bruit d’un camion. Des cris. Je glisse un coup d’oeil furtif par la fenêtre. Un mec se tient devant mon nez, accroché au poteau électrique. Arg! Je referme aussi sec le rideau.

9:40 En sueur, j’éteins le chauffage. Je m’évertue à faire du sport 5 fois par semaine. Sérieux, j’ai même le tapis et de petites haltères. Je suis toujours aussi surprise de l’ingéniosité vicieuse des professeurs de fitness, pour inventer des exercices qui ne laissent pas un seul muscle en paix. J’angoisse à la perspective de la visite médicale du travail, lundi prochain.

Je n’ai rien compris aux options proposées, et on ne m’a pas laissé le temps de regarder le programme à tête reposée. Depuis, tout ce que je sais, c’est qu’il faut que je leur rapporte un échantillon peu glamour et que je remplisse une fiche d’information longue comme le bras.

10:30 J’enclenche le chauffage de ma petite salle de bain japonaise. J’adore ce système. J’ai le mode chauffage, le mode frais, le mode sèche linge (chaud/froid) et le mode ‘séchage de salle de bain’ pour éviter que l’humidité ne donne naissance à de la moisissure. Là encore, pourquoi isoler un logement pour y conserver une température agréable, quand on peut glisser des chauffages gadgets un peu partout? Je vous le demande.

10:05 Coup d’oeil à la fenêtre. Les ouvriers sont partis, je peux ouvrir les rideaux en tout quiétude. Pour voir le building d’en face. La vue sur Tokyo, ce sera quand je serai millionnaire. Ça tarde un peu d’ailleurs.

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11:45 Devant le marchand de fruits et légumes amical – celui qui me dit « hello » et « you’re beautiful » à tout bout de champ, une équipe de télévision. Évidement, une jolie fille en happi* bleu fait la présentation des lieux.

Le vieux marchand me fait un clin d’oeil. Je presse le pas. Non. Non, non, non. Je ne tomberai pas dans le panneau.

  1. La caméra, ça grossit.
  2. Les équipes de télé japonaises ont l’art et la manière de faire passer les gaijins** pour des abrutis finis. Réputation grillée dans tout l’archipel. Gif et même à gogo sur l’internet de ceux qui ont l’oeil et n’oublient pas. Jamais.

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J’attends mon train sous la bouche d’aération. Les courants d’air de la climatisation s’infitrent dans mon manteau, me chatouillent le dos. Je suis joie. Je suis paix et amour. Je souhaite que le train n’arrive pas. Pas tout de suite.

Tiens, encore une publicité pour de l’alcool. La même marque. Grande offensive sur le métro.

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11: 54 Devant moi, un adolescent rondouillard, assis à côté d’un papi. Je le remarque, parce qu’alors que les portes du wagon s’ouvrent à la station suivante, il se bouche les oreilles, tournant la tête sans cesse de droite à gauche. Intriguant. Durant le trajet jusqu’à la prochaine station, sa tête tourbillonne. Cette fois les mains  ballantes. Le papi, lui, continue de remplir ses sudoku. Imperturbable.

Autour du cou du garçon, une cordelette rattachée à ce qui semble être à la fois un pass de transport et une carte d’identité. Les portes s’ouvrent, et le cirque recommence. Plus angoissant cette fois, alors que l’agitation de l’adolescent semble s’accentuer. Je me sens touchée par cette vague d’anxiété. Dans ce pays, tout est toujours tellement « policé » que l’étrange, l’inhabituel surprend. On s’habitue mollement aux robots et au train train. La tolérance à la différence s’émousse.

Sur ma gauche, debout, trois salarymen. Ils sont entrés ensemble. Ils se tiennent silencieux. L’un est appuyé contre la barre métalique, regard dans le vide. L’autre, au milieu, regarde ses pieds. Le troisième enfin, est rivé sur son portable. Le silence, en vérité, est tombé brusquement. Comme si ayant soudain épuisé leur quota de sociabilité, ils se soient mis d’accord pour s’arrêter en pleine conversation. Un sens d’inachevé.

À l’approche de ma station, j’enlève mes écouteurs. J’aimerais savoir ce qui effraie l’adolescent dans le bruit des portes du métro. Quelque chose de tellement banal que cela nous échappe, à nous, les gens tristement normaux. Chuitement, sonnerie, annonce. Rien. Je suis déçue de ne pouvoir comprendre, ne serait-ce qu’un peu.

***

12:01 J’entre dans l’ascenceur à la suite d’un japonais. Une femme entre derrière moi. Elle presse le bouton de fermeture des portes. J’entends un bruit de valise, lointain, mais précipité. Je pousse sans réfléchir le bouton d’ouverture en jettant un oeil derrière moi. Premier plan, la femme courroucée. Je lui fais perdre 35 secondes dans sa journée. Deuxième plan, une jeune femme courant avec sa valise pour entrer à temps.

Alors que je marche dans le couloir de la station, quelque part, un odieux raclement de gorge. Un son gras, désagréable et me fait frissonner de dégoût. Je cherche du regard le personnage qui nous inflige la vision de ses mucosités.

***

– Dis moi la Stagiaire***, viens donc.

Elle s’exécute avec précipitation. Elle a un tel plaisir à aider les autres qu’on lui décernerait une médaille.

– J’ai une mission très importante.
– Oui!
– … Tu vas me dire comment on se sert de la nouvelle machine à café.

Rires dans le bureau. Je vous rassure, on l’occupe aussi avec des tâches importantes et riches en enseignement.

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14:00 Déjeuner dans notre restaurant QG. On discute de tout, de rien. Du TOEIC et du japonais entre autres. La mamie nous tend des oshibori****. Toujours dans le même ordre et toujours en nous disant sa devise – que nous reprenons en coeur: ladies first!

À la table d’à côté.

 – Je peux vous débarasser?
– Oui, oui, c’était très bon…
– Merci, c’est très gentil!
– … Mais pas le menu que j’avais commandé. Je suis vraiment désolé.
– Oh non! Je suis vraiment vraiment désolée. J’ai mal entendu. Alala, mes oreilles. Ah misère. Je suis désolée.
– Non, non, je suis désolé. Et puis c’était très bon…

On pouffe.

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Aux cuisines, un seul chef. Peu loquace, quand il parle c’est un instant qui n’a pas de prix.

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À la caisse, la petite mamie qui nous sert. Sa devise? « Ladies first »

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Notre table favorite.

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18:30 Direction l’université. Dernier cours du soir.

21:15 Instant émotion avec notre professeur canadien. On se promet de boire un verre. On parle de nos vacances de Noël. Le prof s’en va au Vietnam, tandis que nous rentrons en Europe. L’élève japonaise des étoiles dans les yeux, salivant déjà presque, nous demande à tous:

– C’est quoi la délicieuse nourriture traditionnelle de Noël chez vous?

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Happi: manteau traditionnel japonais à manches droites généralement de couleur indigo ou marron fait de coton et imprimé d’un blason distinctif.
**Gaijin, du mot « gaikokujin », signifie ‘étranger’ en japonais. L’emploi de gaijin au lieu du mot correct peut soulever des questions de respect vis à vis des étrangers, certains y percevant une connotation négative, voir une forme d’insulte. Mais les étrangers se l’approprient aussi et l’emploient régulièrement.
***Pour le respect de la vie privée, j’évite de mentionner les prénoms et noms des personnes qui m’entourent.
****Petite serviette pour les mains, chauffée en hiver (Day 4).

 

2 Comments to “365 Jours de Tokyo: Day 10”

  • tetoy

    Ah la propagande de bière… Je ne pensais pas qu’il y en avait autant dans le métro XD
    Toujours aussi chouette de te lire =)

  • Shinji

    La mamie du resto a une trop bonne tête ! Elle a l’air adorable! L’ambiance du resto est top … C’est ton quotidien mais ça rappelle les vacances pour bon nombre d’entre nous et ça fait du bien !

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